Jeanne de Constantinople. Edward le Glay

Jeanne de Constantinople - Edward le Glay


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mon cœur; je vais incontinent lui envoyer le comte de Salisbury, mon frère, et le plus de chevaliers et d'argent que je pourrai[19].» Il donna en même temps aux chevaliers flamands qui étaient près de lui congé de retourner vers leur seigneur, afin de lui prêter assistance. Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, et Hugues de Boves se trouvaient aussi au camp du roi. Ils voulurent se joindre à l'expédition.

      Huit jours avant la Pentecôte, elle partit de Douvres sous le commandement de Guillaume Longue-Epée, comte de Salisbury, «lequel montait un navire si grand et si beau que chacun disait qu'il n'en existait pas de pareil[20].» On eut peu de vent durant toute la traversée; de sorte que la flotte n'aborda que le jeudi suivant en un lieu appelé la Mue, à deux lieues de Dam. Là, les chevaliers et sergents s'appareillèrent; on quitta les navires de haut bord pour entrer dans les bateaux plats, et on se précipita sur la flotte française dégarnie de troupes; car le roi de France avait imprudemment appelé près de lui la plupart des hommes d'armes qui devaient défendre ses vaisseaux. Quatre cents barques, dispersées le long de la côte, parce que le port, quoique fort vaste, ne pouvait les contenir toutes, tombèrent au pouvoir du comte de Salisbury et des chevaliers flamands; mais ils ne purent s'emparer du reste, composé de gros navires qu'on avait échoués à sec sur le rivage[21].

      Le lendemain vendredi, le comte de Flandre, ayant appris la venue des secours d'Angleterre, arriva près de Dam avec une escorte de quarante chevaliers seulement. Aussitôt qu'on le vit venir, les comtes de Salisbury et de Boulogne descendirent à terre et se rendirent à sa rencontre. Dans cette entrevue, ils le requirent de rompre tout lien de vassalité et d'obéissance envers le roi de France, et de s'unir plus étroitement que jamais à la cause du roi d'Angleterre. Fernand jura, sur les reliques, qu'il aiderait toujours et de bonne foi le roi d'Angleterre, qu'il lui serait toujours fidèle et ne ferait ni paix ni trêve avec le roi de France sans son consentement et celui du comte de Boulogne[22]. Renaud de Dammartin avait juré une haine mortelle au roi de France, depuis que celui-ci l'avait expulsé de sa terre pour différentes exactions commises contre des seigneurs voisins, et notamment contre l'évêque de Beauvais, cousin du roi. Mais l'origine de sa colère, s'il faut en croire un chroniqueur, remontait plus haut.

      Un jour, se trouvant dans les appartements du roi, à l'hôtel Saint-Paul à Paris, une querelle s'éleva entre lui et Hugues de Saint-Pol. Hugues le frappa du poing au visage et le sang jaillit; Renaud tira sa dague et en allait frapper le comte de Saint-Pol, lorsque le roi et les barons présents se portèrent entre les deux antagonistes. Renaud, furieux de n'avoir pu se venger, sortit du palais, remonta à cheval et regagna son pays. Le roi lui envoya bientôt après frère Garin, son conseiller, pour l'apaiser et l'engager à faire sa paix avec le comte de Saint-Pol; mais Renaud de Dammartin répondit qu'il ne pourrait oublier l'injure et la pardonner, tant que le sang qui avait coulé de son visage ne fût remonté de lui-même à sa source[23]. En conséquence, il s'était livré contre son ennemi et les parents de ce dernier à des actes de violences tels que le roi avait été obligé d'envahir le comté de Boulogne et de chasser Renaud. Le comte alors, plus que jamais irrité, s'était jeté dans le parti du roi d'Angleterre et avait, par ses intrigues, puissamment contribué à former la grande coalition que l'on connaît, et à laquelle Fernand, de son côté, venait de se vouer corps et âme.

      Le samedi, veille de la Pentecôte, le comte de Flandre, le comte de Boulogne et les autres chevaliers qui avaient débarqué se levèrent de grand matin, entendirent la messe, et puis s'armèrent et montèrent à cheval pour s'approcher de Dam. A une demi-lieue de la ville, on s'arrêta pour tenir conseil et aviser aux moyens d'assaillir les murailles du côté de la terre. Robert de Béthune et Gauthier de Ghistelles s'étaient portés en avant afin de reconnaître le pays. Ayant traversé la rivière qui coule de Bruges à Dam, ils montèrent sur une éminence et regardèrent du côté de Male, château appartenant au comte de Flandre et situé aux environs de Bruges. Ils y aperçurent une grande multitude de gens et crurent d'abord que c'étaient les bourgeois de Bruges qui sortaient de la ville pour venir au-devant de leur seigneur. En ce moment une bonne femme, qui connaissait Gauthier de Ghistelles, accourut vers les deux chevaliers et s'écria tout essoufflée: «Messire Gauthier, que faites-vous ici? Le roi de France est entré avec toute son armée dans le pays, et ce sont ses gens que vous voyez là-bas[24].» Les barons rejoignirent les princes en toute hâte et leur apprirent la nouvelle. Le comte de Boulogne dit alors à celui de Flandre: «Sire, tirons-nous arrière; il ne ferait pas bon de rester ici[25]

      En effet, le roi de France, ayant connu à Gand la destruction de la flotte, accourait vers Dam avec toute son armée. Il était à peu de distance, et déjà ses arbalétriers d'avant-garde faisaient siffler leurs carreaux aux oreilles des chevaliers flamands. On essaya de leur faire résistance; ce qui donna le temps à la chevalerie française d'approcher. Grand nombre des gens du comte, qui avaient été assez téméraires pour vouloir soutenir le combat, furent tués ou jetés à la mer; plusieurs braves chevaliers tombèrent au pouvoir des Français, entre autres Gauthier de Vormezele, Jean son frère, Guillaume d'Eyne, Guillaume d'Ypres, Ghislain de Haveskerke. On dit que le comte de Boulogne lui-même avait été pris sur le rivage; mais, reconnu par des parents et des amis qui redoutaient avec raison que le roi ne lui fît un mauvais parti, on le laissa s'échapper. Il laissa au pouvoir des Français son cheval, ses armures et son heaume surmonté de lames de baleines formant deux aigrettes élancées[26]. Renaud eut le temps de gagner le grand vaisseau royal avec les comtes de Flandre et de Salisbury. Ce fut Robert de Béthune qui contraignit son maître le comte de Flandre à se jeter dans une barque. Personne ne voulut quitter le rivage avant que Fernand fût en sûreté sur le vaisseau. Les princes se dirigèrent vers l'île de Walkeren pour attendre les événements et se préparer à une nouvelle lutte[27].

      En arrivant à Dam, le roi de France fit décharger les vivres et munitions de guerre existant sur les navires qui lui restaient, après quoi il mit le feu à la flotte afin de ne pas la laisser au pouvoir des ennemis, et livra aux flammes la ville elle-même et les campagnes environnantes. Il partit ensuite à la lueur de cet immense incendie, et, traversant la Flandre en exterminateur, il prit des otages dans les principales villes conquises, telles que Gand, Bruges, Ypres, Lille et Douai; rendit ceux des trois premières pour la somme de trente mille marcs d'argent, saccagea Lille à cause de l'amour que les habitants portaient au comte, leur légitime souverain, garda Douai, et rentra en France laissant derrière lui un pays en ruine et une mémoire exécrée.

      La Flandre alors respira un peu. Les barons du comté s'assemblèrent à Courtrai; ceux du Hainaut vinrent à Audenarde, et tout ce qu'il y avait de Flamands capables de porter une pique accourut se ranger chacun sous la bannière de son seigneur respectif. Mais on ne savait quelle résolution prendre en l'absence du souverain, et, au milieu du trouble et de la confusion causés par les derniers événements, on ignorait de quel côté le comte Fernand avait porté ses pas après la déconfiture de Bruges.

      Les barons congédièrent leurs vassaux jusqu'à nouvel ordre et chargèrent trois nobles hommes, Arnoul de Landas, Philippe de Maldeghem et le sire de La Wœstine, d'aller à la recherche du comte. Ils se rendirent à Nieuport, où était Robert de Béthune, et lui demandèrent s'il savait quelques nouvelles des princes. Robert leur apprit qu'un pêcheur venait de lui annoncer qu'il les avait vus dans l'île de Walkeren, et le comte de Hollande avec eux. Robert de Béthune et les trois barons s'embarquèrent le lendemain de grand matin sur un petit bateau de pêche. En naviguant vers Walkeren, ils aperçurent en mer le comte de Salisbury monté sur le vaisseau royal, et escorté de sept autres navires se dirigeant vers l'Angleterre.

      Arrivés en l'île de Walkeren, ils trouvèrent le comte de Flandre, Renaud de Boulogne et le comte de Hollande, qui avait amené une troupe nombreuse de gens d'armes. Fernand fit grand accueil aux chevaliers et fut bien content d'apprendre que Philippe-Auguste, après avoir brûlé ses vaisseaux, était retourné


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<p>19</p>

Li estore des ducs de Normandie, fol. 163.

<p>20</p>

Ibid. 164.

<p>21</p>

Li estore des ducs de Normandie, fol. 164.

<p>22</p>

Li estore des ducs de Normandie, fol. 164.

<p>23</p>

Les anciennes Chroniques de Flandre, manuscrit de la Bibl. nat. no 8380, fol. 32.

<p>24</p>

Li estore des ducs de Normandie, fol. 164, 2e col.

<p>25</p>

Ibid.

<p>26</p>

Philippide, chant IX.

<p>27</p>

Ibid. 165.