Nana. Emile Zola

Nana - Emile Zola


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plus jeune qu'elle de cinq ans, s'écriait:

      – Ah bien! c'est moi qui voudrais avoir un salon comme le tien! Au moins, tu peux recevoir… On ne fait plus que des boîtes aujourd'hui… Si j'étais à ta place!

      Elle parlait étourdiment, avec des gestes vifs, expliquant qu'elle changerait les tentures, les sièges, tout; puis, elle donnerait des bals à faire courir Paris. Derrière elle, son mari, un magistrat, écoutait d'un air grave. On racontait qu'elle le trompait, sans se cacher; mais on lui pardonnait, on la recevait quand même, parce que, disait-on, elle était folle.

      – Cette Léonide! se contenta de murmurer la comtesse Sabine, avec son pâle sourire.

      Un geste paresseux compléta sa pensée. Certes, ce ne serait pas après y avoir vécu dix-sept ans, qu'elle changerait son salon. Maintenant, il resterait tel que sa belle-mère avait voulu le conserver de son vivant. Puis, revenant à la conversation:

      – On m'a assuré que nous aurons également le roi de Prusse et l'empereur de Russie.

      – Oui, on annonce de très belles fêtes, dit madame Du Joncquoy.

      Le banquier Steiner, introduit depuis peu dans la maison par Léonide de Chezelles, qui connaissait tout Paris, causait sur un canapé, entre deux fenêtres; il interrogeait un député, dont il tâchait de tirer adroitement des nouvelles, au sujet d'un mouvement de Bourse qu'il flairait; pendant que le comte Muffat, debout devant eux, les écoutait en silence, la mine plus grise encore que de coutume. Quatre ou cinq jeunes gens faisaient un autre groupe, près de la porte, où ils entouraient le comte Xavier de Vandeuvres, qui, à demi-voix, leur racontait une histoire, très leste sans doute, car ils étouffaient des rires. Au milieu de la pièce, tout seul, assis pesamment dans un fauteuil, un gros homme, chef de bureau au ministère de l'intérieur, dormait les yeux ouverts. Mais un des jeunes gens ayant paru douter de l'histoire de Vandeuvres, celui-ci haussa la voix.

      – Vous êtes trop sceptique, Foucarmont; vous gâterez vos plaisirs.

      Et il revint en riant près des dames. Le dernier d'une grande race, féminin et spirituel, il mangeait alors une fortune avec une rage d'appétits que rien n'apaisait. Son écurie de courses, une des plus célèbres de Paris, lui coûtait un argent fou; ses pertes au Cercle Impérial se chiffraient chaque mois par un nombre de louis inquiétant; ses maîtresses lui dévoraient, bon an, mal an, une ferme et quelques arpents de terre ou de forêts, tout un lambeau de ses vastes domaines de Picardie.

      – Je vous conseille de traiter les autres de sceptiques, vous qui ne croyez à rien, dit Léonide, en lui ménageant une petite place à côté d'elle. C'est vous qui gâtez vos plaisirs.

      – Justement, répondit-il. Je veux faire profiter les autres de mon expérience.

      Mais on lui imposa silence. Il scandalisait M. Venot. Alors, les dames s'étant écartées, on aperçut, au fond d'une chaise longue, un petit homme de soixante ans, avec des dents mauvaises et un sourire fin; il était là, installé comme chez lui, écoutant tout le monde, ne lâchant pas une parole. D'un geste, il dit qu'il n'était pas scandalisé. Vandeuvres avait repris son grand air, et il ajouta gravement:

      – Monsieur Venot sait bien que je crois ce qu'il faut croire.

      C'était un acte de foi religieuse. Léonide elle-même parut satisfaite. Dans le fond de la pièce, les jeunes gens ne riaient plus. Le salon était collet-monté, ils ne s'y amusaient guère. Un souffle froid avait passé, on entendait au milieu du silence la voix nasillarde de Steiner, que la discrétion du député finissait par mettre hors de lui. Un instant, la comtesse Sabine regarda le feu; puis, elle renoua la conversation.

      – J'ai vu le roi de Prusse, l'année dernière, à Bade. Il est encore plein de vigueur pour son âge.

      – Le comte de Bismarck l'accompagnera, dit madame Du Joncquoy. Connaissez-vous le comte? J'ai déjeuné avec lui chez mon frère, oh! il y a longtemps, lorsqu'il représentait la Prusse à Paris… Voilà un homme dont je ne comprends guère les derniers succès.

      – Pourquoi donc? demanda madame Chantereau.

      – Mon Dieu! comment vous dire… Il ne me plaît pas. Il a l'air brutal et mal élevé. Puis, moi, je le trouve stupide.

      Tout le monde alors parla du comte de Bismarck. Les opinions furent très partagées. Vandeuvres le connaissait et assurait qu'il était un beau buveur et un beau joueur. Mais, au fort de la discussion, la porte s'ouvrit, Hector de la Faloise parut. Fauchery, qui le suivait, s'approcha de la comtesse, et s'inclinant:

      – Madame, je me suis souvenu de votre gracieuse invitation…

      Elle eut un sourire, un mot aimable. Le journaliste, après avoir salué le comte, resta un moment dépaysé au milieu du salon, où il ne reconnaissait que Steiner. Vandeuvres, s'étant tourné, vint lui donner une poignée de main. Et, tout de suite, heureux de la rencontre, pris d'un besoin d'expansion, Fauchery l'attira, disant à voix basse:

      – C'est pour demain, vous en êtes?

      – Parbleu!

      – A minuit chez elle.

      – Je sais, je sais… J'y vais avec Blanche.

      Il voulait s'échapper, pour revenir près des dames donner un nouvel argument en faveur de M. de Bismarck. Mais Fauchery le retint.

      – Jamais vous ne devineriez de quelle invitation elle m'a chargé.

      Et, d'un léger signe de tête, il désigna le comte Muffat, qui en ce moment discutait un point du budget avec le député et Steiner.

      – Pas possible! dit Vandeuvres, stupéfait et mis en gaieté.

      – Ma parole! J'ai dû jurer de le lui amener. Je viens un peu pour ça.

      Tous deux eurent un rire silencieux, et Vandeuvres, se hâtant, rentrant dans le cercle des dames, s'écria:

      – Je vous affirme, au contraire, que monsieur de Bismarck est très spirituel… Tenez, il a dit, un soir, devant moi, un mot charmant…

      Cependant, la Faloise, ayant entendu les quelques paroles rapides, échangées à demi-voix, regardait Fauchery, espérant une explication, qui ne vint pas. De qui parlait-on? que faisait-on, le lendemain, à minuit? Il ne lâcha plus son cousin. Celui-ci était allé s'asseoir. La comtesse Sabine surtout l'intéressait. On avait souvent prononcé son nom devant lui, il savait que, mariée à dix-sept ans, elle devait en avoir trente-quatre, et qu'elle menait depuis son mariage une existence cloîtrée, entre son mari et sa belle-mère. Dans le monde, les uns la disaient d'une froideur de dévote, les autres la plaignaient, en rappelant ses beaux rires, ses grands yeux de flamme, avant qu'on l'enfermât au fond de ce vieil hôtel. Fauchery l'examinait et hésitait. Un de ses amis, mort récemment capitaine au Mexique, lui avait, la veille même de son départ, au sortir de table, fait une de ces confidences brutales que les hommes les plus discrets laissent échapper à de certains moments. Mais ses souvenirs restaient vagues; ce soir-là, on avait bien dîné; et il doutait, en voyant la comtesse au milieu de ce salon antique, vêtue de noir, avec son tranquille sourire. Une lampe, placée derrière elle, détachait son fin profil de brune potelée, où la bouche seule, un peu épaisse, mettait une sorte de sensualité impérieuse.

      – Qu'ont-ils donc, avec leur Bismarck! murmura la Faloise, qui posait pour s'ennuyer dans le monde. On crève, ici. Une drôle d'idée que tu as eue, de vouloir venir!

      Fauchery l'interrogea brusquement.

      – Dis donc? la comtesse ne couche avec personne?

      – Ah! non, ah! non, mon cher, balbutia-t-il, visiblement démonté, oubliant sa pose. Où crois-tu donc être?

      Puis, il eut conscience que son indignation manquait de chic. Il ajouta, en s'abandonnant au fond du canapé:

      – Dame! je dis non, mais je n'en sais pas davantage… Il y a un petit, là-bas, ce Foucarmont, qu'on trouve dans tous les coins. On en a vu de plus raide que ça, bien sûr. Moi, je m'en fiche… Enfin, ce qu'il y a de certain, c'est que, si la comtesse s'amuse à cascader, elle est encore maligne, car ça ne circule pas, personne


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