Uranie. Flammarion Camille
rapetissait très vite. Bientôt le globe terrestre fut réduit aux dimensions apparentes de la lune en son dernier quartier, puis d’une petite pleine lune.
«Voilà! me dit-elle, ce fameux globe terrestre sur lequel s’agitent tant de passions, et qui enferme dans son cercle étroit la pensée de tant de millions d’êtres dont la vue ne s’étend pas au delà. Regarde comme toute son apparente grandeur diminue à mesure que notre horizon se développe. Nous ne distinguons déjà plus l’Europe de l’Asie. Voici le Canada et l’Amérique du Nord. Que tout cela est minuscule!»
En passant dans le voisinage de la Lune, j’avais remarqué les paysages montagneux de notre satellite, les cimes rayonnantes de lumière, les profondes vallées remplies d’ombre, et j’aurais voulu m’y arrêter pour étudier de plus près ce séjour voisin; mais, dédaignant d’y jeter même un simple regard, Uranie m’entraînait d’un vol rapide vers les régions sidérales.
Nous montions toujours. La Terre, diminuant de plus en plus à mesure que nous nous en éloignions, arriva à être réduite à l’aspect d’une simple étoile, brillant par l’illumination solaire au sein de l’immensité vide et noire. Nous avions tourné vers le Soleil, qui resplendissait dans l’espace sans l’éclairer, et nous voyions, en même temps que lui, les étoiles et les planètes, que sa lumière n’effaçait plus parce qu’elle n’éclairait pas l’éther invisible. L’angélique déesse me montra Mercure, dans le voisinage du Soleil, Vénus, qui brillait du côté opposé, la Terre, égale à Vénus comme aspect et comme éclat, Mars dont je reconnus les méditerranées et les canaux, Jupiter avec ses quatre lunes énormes, Saturne, Uranus. «Tous ces mondes, me dit-elle, sont soutenus dans le vide par l’attraction du Soleil, autour duquel ils circulent avec vitesse. C’est un chœur harmonieux gravitant autour du centre. La Terre n’est qu’une île flottante, un hameau de cette grande patrie solaire, et cet empire solaire n’est lui-même qu’une province au sein de l’immensité sidérale.»
Nous montions toujours. Le Soleil et son système s’éloignaient rapidement; la Terre n’était plus qu’un point, Jupiter lui-même, ce monde si colossal, se montra amoindri comme Mars et Vénus, à un petit point minuscule à peine supérieur à celui de la Terre.
Nous passâmes en vue de Saturne, ceint de ses anneaux gigantesques, et dont le témoignage seul suffirait pour prouver l’immense et inimaginable variété qui règne dans l’univers, Saturne, véritable système à lui seul avec ses anneaux formés de corpuscules emportés dans une rotation vertigineuse, et avec ses huit satellites l’accompagnant comme un céleste cortège!
A mesure que nous montions, notre soleil diminuait de grandeur. Bientôt il descendit au rang d’étoile, puis perdit toute majesté, toute supériorité sur la population sidérale, et ne fut plus qu’une étoile à peine plus brillante que les autres. Je contemplais toute cette immensité étoilée au sein de laquelle nous nous élevions toujours, et je cherchais à reconnaître les constellations; mais elles commençaient à changer sensiblement de formes, à cause de la différence de perspective causée par mon voyage. Je crus voir notre soleil, devenu insensiblement une toute petite étoile, se réunir à la constellation du Centaure, tandis qu’une nouvelle lumière, pâle, bleuâtre, assez étrange, m’arrivait de la région vers laquelle Uranie m’emportait. Cette clarté n’avait rien de terrestre et ne me rappelait aucun des effets que j’avais admirés dans les paysages de la Terre, ni parmi les tons si changeants des crépuscules après l’orage, ni dans les brumes indécises du matin, ni pendant les heures calmes et silencieuses du clair de lune sur le miroir de la mer. Ce dernier effet est peut-être celui dont cet aspect se rapprochait le plus, mais cette étrange lumière était, et elle devenait de plus en plus vraiment bleue, bleue non d’un reflet d’azur céleste ou d’un contraste analogue à celui que produit la lumière électrique comparée à celle du gaz, mais bleue comme si le Soleil lui-même eût été bleu!
Quelle ne fut pas ma stupéfaction lorsque je m’aperçus que nous nous approchions, en effet, d’un soleil absolument bleu, comme un disque brillant qui eût été découpé dans nos plus beaux ciels terrestres, et se détachant lumineusement sur un fond entièrement noir, tout constellé d’étoiles! Ce soleil saphir était le centre d’un système de planètes éclairées par sa lumière. Nous allions passer tout près de l’une de ces planètes. Le soleil bleu s’agrandissait à vue d’œil; mais, nouveauté aussi singulière que la première, la lumière dont il éclairait cette planète se compliquait d’un certain côté d’une coloration verte. Je regardai de nouveau dans le ciel et j’aperçus un second soleil, celui-ci d’un beau vert émeraude! Je n’en croyais pas mes yeux.
«Nous traversons, me dit Uranie, le système solaire de Gamma d’Andromède, dont tu ne vois encore qu’une partie, car il se compose en réalité, non de ces deux soleils, mais de trois, un bleu, un vert, et un jaune-orange. Le soleil bleu, qui est le plus petit, tourne autour du soleil vert, et celui-ci gravite avec son compagnon autour du grand soleil orangé que tu vas apercevoir dans un instant.»
Aussitôt, en effet, je vis paraître un troisième soleil, coloré de cet ardent rayonnement dont le contraste avec ses deux compagnons produisait la plus bizarre des illuminations. Je connaissais bien ce curieux système sidéral, pour l’avoir plus d’une fois observé au télescope; mais je ne me doutais point de sa splendeur réelle. Quelles fournaises, quels éblouissements! Quelle vivacité de couleurs dans cette étrange source de lumière bleue, dans cette illumination verte du second soleil, et dans ce rayonnement d’or fauve du troisième!
Mais nous nous étions approchés, comme je l’ai dit, de l’un des mondes appartenant au système du soleil saphir. Tout était bleu, paysages, eaux, plantes, rochers, légèrement verdis du côté éclairé par le second soleil, et à peine touchés des rayons du soleil orange qui se levait à l’horizon lointain. A mesure que nous pénétrions dans l’atmosphère de ce monde, une musique suave et délicieuse s’élevait dans les airs, comme un parfum, comme un rêve. Je n’avais jamais rien entendu de pareil. La douce mélodie, profonde, lointaine, semblait venir d’un chœur de harpes et de violons soutenu par un accompagnement d’orgues. C’était un chant exquis, qui charmait dès le premier instant, qui n’avait pas besoin d’être analysé pour être compris, et qui remplissait l’âme de volupté. Il me semblait que je serais resté une éternité à l’écouter: je n’osais adresser la parole à mon guide, tant je craignais d’en perdre une note. Uranie s’en aperçut. Elle étendit la main vers un lac et me désigna du doigt un groupe d’êtres ailés qui planaient au-dessus des eaux bleues.
Ils n’avaient point la forme humaine terrestre. C’étaient des êtres évidemment organisés pour vivre dans l’air. Ils semblaient tissés de lumière. De loin, je les pris d’abord pour des libellules: ils en avaient la forme svelte et élégante, les vastes ailes, la vivacité, la légèreté. Mais en les examinant de plus près, je m’aperçus de leur taille, qui n’était pas inférieure à la nôtre, et je reconnus à l’expression de leurs regards que ce n’étaient point des animaux. Leurs têtes ressemblaient également à celles des libellules, et, comme ces êtres aériens, ils n’avaient pas de jambes. La musique si délicieuse que j’entendais n’était autre que le bruit de leur vol. Ils étaient très nombreux, plusieurs milliers peut-être.
On voyait, sur les sommets des montagnes, des plantes qui n’étaient ni des arbres ni des fleurs, qui élevaient de frêles tiges à d’énormes hauteurs, et ces tiges ramifiées portaient, comme en tendant les bras, de larges coupes en forme de tulipes. Ces plantes étaient animées; du moins, comme nos sensitives et plus encore, et comme la desmodie aux feuilles mobiles, elles manifestaient par des mouvements leurs impressions intérieures. Ces bosquets formaient de véritables cités végétales. Les habitants de ce monde n’avaient pas d’autres demeures que ces bosquets, et c’est au milieu de ces sensitives parfumées qu’ils se reposaient lorsqu’ils ne flottaient pas dans les airs.
«Ce monde te paraît fantastique, fit Uranie, et tu te demandes quelles idées peuvent avoir ces êtres, quelles mœurs, quelle histoire, quelles espèces d’arts, de littérature et de sciences. Il serait long de répondre à toutes les questions que tu pourrais faire.