Uranie. Flammarion Camille

Uranie - Flammarion Camille


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éminemment, et avant tout, la directrice de la philosophie. Ceux qui raisonneront en dehors des connaissances astronomiques resteront à côté de la vérité. Ceux qui suivront fidèlement son flambeau s’élèveront graduellement dans la solution des grands problèmes.

      «La philosophie astronomique sera la religion des esprits supérieurs.

      «Tu dois assister, ajouta-t-elle, à cette double transformation de la science. Lorsque tu quitteras le monde terrestre, cette science astronomique, que tu admires déjà si légitimement, sera entièrement renouvelée, dans sa forme comme dans son esprit.

      «Mais ce n’est pas tout. Cette rénovation d’une science antique servirait peu au progrès général de l’humanité, si ces sublimes connaissances, qui développent l’esprit, éclairent l’âme et l’affranchissent des médiocrités sociales, restaient enfermées dans le cercle restreint des astronomes de profession. Ce temps-là va passer aussi. Le boisseau doit être renversé. Il faut prendre le flambeau à la main, accroître son éclat, le porter sur les places publiques, dans les rues populeuses, jusque dans les carrefours. Tout le monde est appelé à recevoir la lumière, tout le monde en a soif, surtout les humbles, surtout les déshérités de la fortune, car ceux-là pensent davantage, ceux-là sont avides de science, tandis que les satisfaits du siècle ne se doutent pas de leur ignorance et sont presque fiers d’y demeurer. Oui, la lumière de l’Astronomie doit être répandue sur le monde; elle doit pénétrer jusqu’aux masses populaires, éclairer les consciences, élever les cœurs. Et ce sera là sa plus belle mission; ce sera là son bienfait.»

      V

      Ainsi parla mon guide céleste. Son visage était beau comme le jour, ses yeux brillaient d’un lumineux éclat, sa voix semblait une musique divine. Je voyais les mondes circuler autour de nous dans l’espace et je sentais qu’une harmonie immense régit la nature.

      «Maintenant, me dit Uranie en me désignant du doigt la place où notre soleil terrestre avait disparu, revenons sur la Terre. Mais regarde encore. Tu as compris que l’espace est infini. Tu vas comprendre que le temps est éternel.»

      Nous traversâmes des constellations et revînmes vers le système solaire. Je vis, en effet, reparaître le Soleil sous l’aspect d’une petite étoile.

      «Je vais te donner un instant, fit-elle, sinon la vision divine, du moins la vision angélique. Ton âme va sentir les vibrations éthérées qui constituent la lumière et savoir comment l’histoire de chaque monde est éternelle en Dieu. Voir, c’est savoir. Vois!»

      De même qu’un microscope nous montre une fourmi de la grosseur d’un éléphant; de même que, pénétrant jusqu’aux infiniment petits, il sait rendre l’invisible visible; ainsi, à l’ordre de la Muse, ma vue acquit soudain une puissance de perception inattendue et distingua dans l’espace, à côté du Soleil qui s’éclipsa, la Terre, qui d’invisible devint visible.

      Je la reconnus, et à mesure que je la regardais, son disque s’agrandissait, offrant l’aspect de la lune quelques jours avant la phase de la pleine lune. Bientôt je parvins, dans ce disque grandissant, à distinguer les principaux aspects géographiques, la tache neigeuse du pôle nord, les contours de l’Europe et de l’Asie, la mer du Nord, l’Atlantique, la Méditerranée. Plus je fixais mon attention, et mieux je voyais. Les détails devenaient de plus en plus perceptibles, comme si j’avais changé graduellement d’oculaires microtélescopiques. Je reconnus la forme géographique de la France; mais notre belle patrie me parut entièrement verte, du Rhin à l’Océan et de la Manche à la Méditerranée, comme si elle avait été couverte d’une seule et immense forêt. Je parvenais cependant à distinguer de mieux en mieux les moindres détails, car les Alpes, les Pyrénées, le Rhin, le Rhône, la Loire, étaient faciles à reconnaître.

      «Fixe bien ton attention», reprit ma compagne.

      En même temps qu’elle prononçait ces paroles, elle posait sur mon front l’extrémité de ses doigts allongés, comme si elle eût voulu magnétiser mon cerveau et donner à mes facultés de perception une puissance plus grande encore.

      Alors je sondai, je pénétrai plus attentivement encore les détails de la vision, et j’eus devant les yeux la Gaule du temps de Jules César. C’était au temps de la guerre de l’indépendance animée par le patriotisme de Vercingétorix.

      Je voyais ces aspects d’en haut, comme nous voyons les paysages lunaires au télescope, comme nous voyons une contrée de la nacelle d’un ballon; mais je reconnus la Gaule, l’Auvergne, Gergovie, le Puy de Dôme, les volcans éteints, et ma pensée se représenta facilement la scène gauloise dont une image abrégée m’arrivait.

      «Nous sommes à une telle distance de la Terre, me dit Uranie, que la lumière emploie pour arriver de là jusqu’ici tout le temps qui nous sépare de l’époque de Jules César. Nous recevons seulement maintenant, ici, les rayons lumineux partis de la Terre à cette époque. Pourtant la lumière voyage dans l’espace éthéré avec la vitesse de trois cent mille kilomètres par seconde. C’est rapide, très rapide, mais ce n’est pas instantané. Les astronomes de la Terre qui observent maintenant les étoiles situées à la distance où nous sommes, ne les voient pas telles qu’elles sont actuellement, mais telles qu’elles étaient au moment où sont partis les rayons lumineux qui arrivent seulement aujourd’hui, c’est-à-dire telles qu’elles étaient il y a plus de dix-huit siècles.

      «De la Terre, ajouta-t-elle, ni d’aucun point de l’espace, on ne voit jamais les astres tels qu’ils sont, mais tels qu’ils ont été. On est d’autant plus en retard sur leur histoire qu’on en est plus éloigné.

      «Vous observez avec les plus grands soins au télescope des étoiles qui n’existent plus. Plusieurs même des étoiles que vous voyez à l’œil nu n’existent plus. Plusieurs des nébuleuses dont vous analysez la substance au spectroscope sont devenues des soleils. Plusieurs de vos plus belles étoiles rouges sont actuellement éteintes et mortes: en vous approchant d’elles vous ne les verriez plus!

      «La lumière émanée de tous les soleils qui peuplent l’immensité, la lumière réfléchie dans l’espace par tous les mondes éclairés par ces soleils, emporte à travers le ciel infini les photographies de tous les siècles, de tous les jours, de tous les instants. En regardant un astre, vous le voyez tel qu’il était au moment où est partie la photographie que vous en recevez, de même qu’en entendant une cloche vous recevez le son après qu’il est parti, et d’autant plus longtemps après que vous en êtes plus éloigné.

      «Il en résulte que l’histoire de tous les mondes voyage actuellement dans l’espace, sans jamais disparaître absolument, et que tous les événements passés sont présents dans le sein de l’infini et indestructibles.

      «La durée de l’univers sera sans fin. La Terre finira, et ne sera plus un jour qu’un tombeau. Mais il y aura de nouveaux soleils et de nouvelles terres, de nouveaux printemps et de nouveaux sourires et toujours la vie fleurira dans l’univers sans bornes et sans fin.

      «J’ai voulu te montrer, fit-elle après un instant de pause, j’ai voulu te montrer comment le temps est éternel. Tu avais senti l’infinité de l’espace. Tu avais compris la grandeur de l’univers. Maintenant, ton voyage céleste est accompli. Rapprochons-nous de la Terre et reviens dans ta patrie.

      «Pour toi, ajouta-t-elle encore, sache que l’étude est la seule source de toute valeur intellectuelle; ne sois jamais ni pauvre ni riche; garde-toi de toute ambition comme de toute servitude; sois indépendant; l’indépendance est le plus rare des biens, et la première condition du bonheur.»

      Uranie parlait de sa douce voix. Mais la commotion produite par tous ces tableaux extraordinaires avait tellement ébranlé mon cerveau que je fus pris soudain d’un grand tremblement. Un frisson me parcourut de la tête aux pieds, et c’est sans doute ce qui amena mon réveil subit, au milieu d’une vive agitation… Hélas! ce délicieux voyage céleste était terminé.

      Je cherchai Uranie et ne la trouvai plus. Un clair rayon de lune, pénétrant par la fenêtre de ma chambre, venait caresser le bord d’un rideau et semblait


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