Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4). Dorothée Dino

Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4) - Dorothée Dino


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      Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4)

      1841

      Rochecotte, 1er janvier 1841.– La journée d'hier s'est passée sans grand incident. Le matin, j'ai fait dire dans ma chapelle une messe pour feu M. de Quélen; j'y ai pleuré de tout mon cœur. Le soir, mon fils Alexandre, mon gendre et Pauline ont fait de la musique, chanté des vaudevilles, représenté des charges et fait un train dont j'étais charmée pour eux, parce que je meurs toujours de peur qu'ils ne s'ennuient ici, mais qui, je l'avoue, contrastait tout particulièrement avec ma disposition d'âme. Au coup de minuit, on a servi du punch: il est tombé plus d'une larme dans mon verre en songeant à ceux avec lesquels j'ai si longtemps passé ce moment.

      Rochecotte, 2 janvier 1841.– Voici ce que M. de Salvandy m'écrit sur la réception académique de M. Molé: «M. Molé a parlé au milieu d'un magnifique auditoire. Il était assis entre M. Royer-Collard et M. de Chateaubriand, qui a fait une grande exception à ses habitudes en se montrant en public; c'était comme un honneur particulier fait soit à M. Molé, soit à la mémoire du défunt Archevêque. Tout le plus beau monde du faubourg Saint-Germain s'y trouvait; de plus, toute la société particulière de M. Molé et tout ce qui s'appelle le monde d'aujourd'hui. Un constant applaudissement a soutenu M. Molé, et il a mérité ce suffrage, par l'esprit, le bon goût et le courage de sa parole. Il a abordé noblement, en face et avec respect, cette pure et sainte mémoire. Il a parlé de M. de Quélen sans concessions, sans réticences, sans ménagements pour sa situation personnelle. Il semblait brûler les vaisseaux de l'ambition, tant il a célébré de haut les anciennes mœurs et l'ancienne société, les idées et les principes d'ordre. L'éloge vif du Roi est la seule part faite au temps présent, et vous savez que le temps présent ne lui en saura qu'un gré médiocre. Ce qui m'a frappée, c'est la vive adhésion de l'auditoire; c'est cette réhabilitation publique du Prélat persécuté; c'est cette canonisation laïque au milieu d'un public qui n'était pas tout entier, ni de bonne compagnie, ni légitimiste; car il y a eu approbation effervescente de quelques passages de la réponse de Dupin, passages dirigés contre la Restauration et contre l'Anglais. Cette réponse de Dupin est l'homme même; c'est vous en dire assez! M. Guizot et M. Thiers ont semblé prévoir l'ovation de M. Molé, car ils n'ont pas paru, ce qui a été fort remarqué. En résumé, cette séance grandit M. Molé dans l'opinion et l'estime de tous les gens de bien, mais la journée a surtout été excellente pour la mémoire de l'Archevêque, pour sa famille, pour ses amis, pour ceux qui ont senti sa bénédiction en mourant, et c'est pourquoi je me hâte, Madame, de vous en parler; c'est une manière de m'en rendre un compte plus vrai, et plus touchant encore que d'y avoir simplement assisté!

      «M. Guizot m'a communiqué des dépêches de Saint-Pétersbourg, de Vienne, de Londres, excellentes partout; désir de ramener la France au concert européen; résolution de faire les avances, recherche des moyens et de l'occasion; la paix rétablie, et je dirais moi-même, plus que la paix.»

      Je suis charmée du succès de M. Molé, que je lui avais prédit, lorsqu'il me fit la lecture de son discours à Paris, au mois de septembre; bien aise pour lui, mais surtout de l'effet produit en faveur de ce saint Archevêque, si mal jugé de son vivant.

      Rochecotte, 3 janvier 1841.– J'ai reçu beaucoup de lettres de Paris hier, répétant à peu près les mêmes choses que M. de Salvandy sur la séance académique de M. Molé. Il paraît que Dupin a été vraiment ineffable, qu'il a été Dupin enfin. M. Royer-Collard grommelait tout le temps qu'il prononçait son discours, et disait: «Ce discours est un carnage!» En effet, tout le monde est tombé sous les coups de ce Dupin. On a remarqué le tonnerre d'applaudissements aux invectives contre la révélation des secrets d'État, qui allaient droit à M. Molé. Mais ce qui a été, assure-t-on, tout à fait dramatique, c'est le geste de Dupin en rappelant qu'un Molé, échevin de Troyes, avait aidé Charles VII à chasser les Anglais. Le geste et la pose ont enlevé les applaudissements qui ont éclaté à plusieurs reprises. Heureusement, le Corps diplomatique n'y était pas! C'est assez drôle de voir Dupin déblatérer contre la Coalition, lui qui en était.

      M. Molé doit être extrêmement satisfait de son triomphe, qui a été complet, brillant, vif et inusité. Voici le texte d'une lettre de M. Royer-Collard à ce sujet: «Plus d'une lettre aujourd'hui vous porte la nouvelle du triomphe de M. Molé. En effet, il a triomphé devant une nombreuse et brillante assemblée. J'ai entendu avec plaisir ce discours, que nous connaissions, vous et moi, depuis assez longtemps. Si ce n'est pas l'œuvre d'un artiste, c'est la production d'un homme de beaucoup d'esprit qui connut de meilleurs temps que le nôtre, et qui en garde de bonnes traditions. Les défauts n'ont pas été aperçus; le courage a paru si naturel qu'il n'a pas été remarqué; les beautés, car il y a des beautés, ont été comprises et vivement senties. M. de Quélen a partagé l'honneur de la journée; c'est lui, à vrai dire, qui a triomphé, tant l'auditoire a pris part à cette réhabilitation solennelle. J'ai vu des larmes couler des yeux les plus endurcis. Comme M. Affre n'avait pas songé à son prédécesseur, personne n'a songé à M. Affre. M. de Quélen a emporté avec lui l'Archevêque de Paris; il n'y en a plus, il n'y en aura plus; il a cette éclatante et triste gloire.»

      Je jouis extrêmement de ce triomphe post mortem; j'en ai le droit, car j'ai honoré, défendu, soigné et peut-être même consolé le vivant.

      Il y a, dans le discours de M. Molé, quelques lignes parfaites sur Mgr le Cardinal de Périgord.

      Avant les séances académiques, les discours doivent passer sous les yeux d'un Comité d'académiciens chargés de les examiner et de décider si rien n'en doit être rayé. M. Dupin n'a pas fait en conscience la lecture du sien, il a été autre en séance publique qu'en séance secrète. On s'attendait à ce que, le lendemain jeudi, jour de la réunion particulière de l'Académie, on lui en demanderait des explications. Mignet, présent à la séance publique, était, dit-on, de fort mauvaise humeur; les journaux de M. Thiers se préparent à fulminer contre Dupin.

      On dit que Mgr Affre a voulu changer les maîtrises de sa Cathédrale sans assembler le Chapitre; que le Chapitre s'est assemblé pour s'en expliquer; que Mgr Affre, en l'apprenant, a fait une scène affreuse et a défendu toute réunion qu'il n'aurait pas lui-même autorisée. Mais le Jour de l'An arrive. Le Chapitre avait l'habitude de se rassembler pour aller offrir ses vœux à l'Archevêque: la défense étant positive, ils ne se sont pas réunis et n'ont pas été chez l'Archevêque. Cela amènera quelque nouvel orage, car Mgr Affre est orageux. On a eu beaucoup de peine, au Sacré-Cœur, à obtenir la permission de dire une messe de bout de l'an pour Mgr de Quélen; cependant, cela a été accordé, et on y étouffait tant il y avait de monde.

      Rochecotte, 5 janvier 1841.– Depuis vingt heures, il tombe de la neige sans discontinuer; nous sommes absolument enterrés sous cet épais linceul: c'est le Nord dans toute sa froide horreur; pas moyen de sortir. Toutes les communications vont être coupées, pour peu que cela dure encore ainsi quelques heures. Quel hiver!

      Rochecotte, 7 janvier 1841.– J'ai reçu hier une lettre de Mme de Lieven, dont voici l'essentiel: «Le monde me paraît mieux, mais pas encore raffermi. Vous ai-je écrit depuis les nouvelles de Saint-Pétersbourg? Ne croyez pas aux exagérations de certains journaux sur ce point; mais croyez, ce qui est vrai, que le ton des dernières communications est convenable, que la Russie désire sincèrement voir la France rentrer dans le concert européen, et qu'elle fait des vœux pour le maintien du Ministère actuel. Cette démonstration, que les experts ont jugée plus amicale qu'aucune qui soit venue de Saint-Pétersbourg, a fait plaisir ici et donné beaucoup d'inquiétude aux Anglais. Voilà tout pour le moment. On cherche, à Londres, les moyens de se raccrocher à la France, on les cherche et on les désire partout. Savez-vous un moyen? Jérusalem. Jérusalem délivrée du joug des infidèles; Jérusalem, ville chrétienne, ouverte à tous les cultes chrétiens; ville libre sous la garantie de la chrétienté. Aimez-vous cela? Moi, j'en ai grande envie. Osera-t-on repousser une idée si simple, d'une exécution si facile? Car si jamais cela se peut, c'est aujourd'hui. Lord Melbourne se moquera de cela probablement, et lord Palmerston aussi.

      «On bavarde beaucoup sur l'ouverture du Parlement; on dit que Peel et les radicaux renverseraient aisément le Ministère, mais je n'en vois pas de bonnes raisons dans ce moment. Nous verrons.

      «L'Académie a été un événement pour vingt-quatre heures. M. Molé a eu un grand succès; moi qui n'ai fait que lire


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