Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4). Dorothée Dino

Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4) - Dorothée Dino


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dans les salons, Mme de Flahaut dit qu'elle ne continuera pas à sacrifier ses goûts aux fantaisies de M. le duc d'Orléans. Émilie, sa fille, qui gouverne la maison, pousse dans ce sens-là. Les jeudis, on danse chez Mme de Flahaut: on disait, chez la marquise de Caraman, que c'étaient des bals de jeunes personnes; à cela, la Marquise a repris: et de jeunes femmes, car j'y suis priée. Là-dessus, on s'est souvenu de son extrait de baptême, qu'on n'a pas trouvé d'accord avec cette prétention!»

      Enfin, M. de Valençay m'écrit que Mme de Saint-Elme, l'auteur des Mémoires de la contemporaine, est fort impliquée dans l'affaire des soi-disant lettres du Roi. Le Préfet de police est toujours très occupé d'arriver au fond de cette intrigue.

      M. de Valençay a été entendre le Père Lacordaire qui représentait, dit-il, un beau tableau espagnol. Son discours a été très républicain, ses expressions très différentes de celles employées jusqu'à présent en chaire, mais il a beaucoup de talent et de verve.

      Il ajoute que M. de Chateaubriand lit ses Mémoires chez Mme Récamier: Mme Gay s'y pâme d'admiration; Mme de Boigne y fait la grimace: ces deux sensations sont devenues évidentes à un portrait très brillant de M. le duc de Bordeaux. Mme la duchesse de Gramont-Guiche, qui y était, a été médiocrement contente d'un passage où il était question d'elle, et où M. de Chateaubriand dit: Madame de Guiche qui A ÉTÉ d'une grande beauté.

      Voilà tout ce que je trouve dans mes lettres qui vaille la peine d'être extrait, et encore y a-t-il bien du fatras.

      Rochecotte, 23 février 1841.– On m'avait conseillé, il y a quelque temps, de lire un roman de M. de Sainte-Beuve, sans m'effrayer du titre: Volupté. J'en ai lu la moitié hier: malgré un peu de divagation plus métaphysique que religieuse, une certaine afféterie et le raboteux du style de Sainte-Beuve, je suis touchée de cet ouvrage, dans lequel il y a une connaissance profonde du cœur humain, un sentiment vrai du bien et du mal, et, en général, une élévation délicate de la pensée, rare chez nos auteurs modernes.

      On mande de Paris à mon gendre que la Chambre des Députés a été émue du rapport de M. Jouffroy sur les fonds secrets. Il paraît que la Chambre vivait dans une quiétude profonde et que ce rapport l'a troublée: il ranime toutes les querelles, met tous les Ministères passés sur la sellette; il fait de la politique du Cabinet actuel des définitions inacceptables pour beaucoup de ceux qui le soutiennent. Enfin, c'est un incident malheureux, qui a de la portée, en donnant de la force à cette fraction importante de la Chambre qu'on appelle Dufaure-Passy.

      Rochecotte, 24 février 1841.– J'ai trouvé dans l'Ami de la religion, petit journal que je reçois pour le prêter à mon curé, un long extrait du fameux sermon de M. Lacordaire, qui a fait dernièrement tant de bruit à Paris, et qui, heureusement, parait y avoir été fort désapprouvé. En effet, ce que j'y ai lu est inimaginable, quoique semé de passages pleins de verve et de talent. Mais ils sont noyés dans des choses étranges jusqu'au scandale et au danger. Il a pris pour texte le devoir des enfants à l'égard des parents, et il part de là pour faire de la démocratie avec enivrement. Il dit que Jésus-Christ était un bourgeois, classe moyenne avant tout, et que la France est protégée de Dieu parce qu'elle respire la démocratie. Feu Mgr de Quélen avait bien raison de ne jamais permettre à M. Lacordaire de prêcher, à moins qu'il n'y assistât pour le surveiller: il se défiait de ces étranges doctrines, puisées jadis dans son commerce avec M. de Lamennais, et, quoiqu'il soit resté catholique, il est resté aussi imbu du mauvais lait sucé dans sa jeunesse.

      Le prince Pierre d'Aremberg m'écrit que, le jour de la quête à Notre-Dame, Mgr Affre s'est fait nommer les dames quêteuses à la sacristie; qu'il ne leur a pas dit un mot, qu'il ne les a pas remerciées, à quoi elles s'attendaient, y ayant toujours été habituées par Mgr de Quélen, qui le faisait toujours avec une grâce parfaite, et qu'il les a fait entrer dans l'église par un: Allons, marchons, des plus militaires, ce qui, à la lettre, a été accueilli par des murmures de la part de ces dames!

      M. de Valençay m'écrit savoir de bonne source qu'on attend toujours une ouverture de la part du Cabinet anglais, et que, pour le coup, on croit qu'elle va venir. Il avait rencontré Mme de Lieven qui l'avait chargé de me le mander, et d'ajouter que M. Guizot est au mieux avec les Cours allemandes. Il paraît que cette semaine va se décider le sort du Cabinet anglais, qui sera fort attaqué.

      Les fortifications ne seront votées ou rejetées par la Chambre des Pairs que dans quinze jours: elles seront rudement attaquées par M. Molé, par le Chancelier et les légitimistes. La Cour est fort en colère contre les deux premiers. On ne sait vraiment pas encore quel pourra être le sort de cette loi.

      Mme de Nesselrode a quitté Paris, pleine d'engouement pour la vie qu'on y mène, pour les choses et pour les personnes. Je continue à rendre justice à son bon cœur, à son âme généreuse, mais je n'ai plus aucune considération pour son jugement.

      Rochecotte, 26 février 1841.– On m'écrit, de Paris, qu'il y a eu chez Mme Le Hon un bal très bien composé; qu'à présent, elle et Mme de Flahaut cherchent à épurer leur salon et à y attirer le faubourg Saint-Germain; qu'on espère, à cet égard, une sorte de réaction, que l'on veut absolument être du grand monde, qu'on dédaigne ceux qu'on recherchait et qu'on courtise ceux qu'on dédaignait.

On m'écrit de Vienne que la fille du ministre de Prusse Maltzan, jeune et jolie personne de vingt-quatre ans, épouse lord Beauvale, ambassadeur d'Angleterre: il pourrait être grandement son père; il a été fort libertin, il est rongé de goutte; cependant, elle l'a préféré à plusieurs autres partis, parce qu'il est Pair d'Angleterre, Ambassadeur et frère du Premier Ministre. Elle était décidée à faire un brillant mariage.

      Rochecotte, 27 février 1841.– Ma fille a reçu hier une longue lettre de la jeune lady Holland, qu'elle a beaucoup connue à Florence. Cette petite Lady est maintenant à Londres. J'ai demandé à ma fille la permission d'extraire de cette épître ce qui en est intéressant. Les fautes de français sont dans l'original, je les y laisse pour conserver la couleur locale, si respectée aujourd'hui: «Je crois qu'en cherchant bien, on ne trouverait pas une position plus pénible que la nôtre, parce que je crois qu'il n'existe pas, peut-être, une femme comme lady Holland, ma belle-mère. C'est quelque chose qui surpasse tout ce qu'on pourrait imaginer de plus extraordinaire, de plus rapace, de plus égoïste: c'est un caractère que, dans un roman, on trouverait exagéré, impossible. Elle a, vous l'avez su, tout, tout au monde, dans la succession de mon beau-père; mais cela ne lui suffit pas; elle veut détruire Holland-House où elle a passé quarante ans de sa vie; elle veut bâtir, elle veut vendre, Dieu sait ce qu'elle ne veut pas, car elle voulait, l'autre jour, par un arrangement avec son fils, nous enlever notre petite rente fixée à notre mariage, de sorte que si le Ministère changeait demain (chose fort possible) et que nous quittions, comme de raison, notre poste, nous serions réduits à vivre sur les intérêts de ma dot. Heureusement, elle ne peut détruire Holland-House sans le consentement de mon mari, et il a dit qu'on lui couperait plutôt la main que de le faire consentir à sacrifier la plus petite partie, même du parc. De même, elle ne peut vendre l'autre propriété d'Ampthill sans son consentement: il le donnerait volontiers, pour lever les hypothèques considérables dont elle a chargé des biens qui étaient immenses et sans une dette à l'avènement de son mariage avec lord Holland, si elle, de son côté, voulait faire quelque chose. Elle a tant dans son pouvoir, tant, dont malheureusement elle peut disposer, qu'on a conseillé à mon mari de demander quelque chose d'équivalent pour ce consentement; il ne lui demandait que de conserver la maison telle qu'elle était du vivant de son père, de ce père qu'il adorait, dont la mémoire lui est si chère; que la bibliothèque, les papiers qu'il a laissés, toutes ces choses lui tiennent plus au cœur cent fois que le solide, que l'argent dont elle peut disposer. Eh bien! elle ne veut pas, elle ne veut rien faire. Elle a consulté tous ses amis, qui tous lui ont démontré la vérité, l'ont priée de faire ce qu'elle doit faire. Non, ce sont des scènes, des injustices; et il faut tout voir, tout entendre, et ne pas se plaindre! La position est difficile, et quelquefois je sens mon sang bouillir dans mes veines; mais pour mon mari, je me retiens, et je fais comme ses fils, comme sa fille, qui sont des anges pour elle, et qui se conduisent


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