Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4). Dorothée Dino

Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4) - Dorothée Dino


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cette lettre de lady Palmerston à la Princesse: «Je viens vous annoncer le mariage de ma fille Fanny avec lord Jocelyn. C'est un charmant jeune homme de 28 ans, de belle figure, très gai, très dévoué, spirituel et aimable, et qui a voyagé dans toutes les parties du monde. Il revient en ce moment de la Chine, dont il donne des détails très intéressants. Nous sommes tous fort contents de ce mariage, qui est tout à fait un roman. Il a écrit sa proposition de Calcutta, il y a un an et demi, mais sans pouvoir attendre la réponse, étant obligé de partir pour Chusan; il a passé ainsi près de deux ans, ballotté entre la crainte et l'espérance, et il est arrivé à Liverpool sans savoir s'il ne la trouverait pas mariée à un autre, car dans les papiers anglais qu'il voyait parfois, il trouvait souvent l'annonce du mariage de Fanny avec d'autres. Le père de lord Jocelyn est lord Roden, grand tory, mais vous savez que c'est là une bagatelle qui ne nous inquiète pas, car le bonheur de Fanny est notre premier objet, et l'amour ne suit pas la politique; et puis, il n'est pas enragé comme son père, mais très raisonnable et sage dans ses idées.

      «Les nouvelles d'Amérique sont assez bonnes au fond; tout est clabaudage et affaire de parti; ceux qui sortent veulent rendre difficile la position de ceux qui entrent; c'est à peu près comme en Europe.»

      Je veux copier aujourd'hui une petite romance, composée par Henri IV et que j'ai trouvée dans les Mémoires de Sully. Elle me paraît pleine d'élégance et de charme, et plus gracieuse encore que Charmante Gabrielle.

      Viens, Aurore,

      Je t'implore,

      Je suis gai quand je te vois;

      La Bergère

      Qui m'est chère,

      Est vermeille comme toi.

      Elle est blonde,

      Sans seconde,

      Elle a la taille à la main;

      Sa prunelle

      Étincelle,

      Comme l'astre du matin,

      De rosée

      Arrosée.

      La rose a moins de fraîcheur;

      Une hermine

      Est moins fine;

      Le lys a moins de blancheur!

      Que c'est joli! Les lettres de Henri IV sont aussi charmantes. Enfin c'est lui, quand il est en scène, qui donne de l'intérêt à ce singulier ouvrage, le plus lourd, le plus diffus possible, mais néanmoins attachant pour qui y sait ramer avec patience.

      Rochecotte, 27 mars 1841.– On a écrit à mon gendre que le discours de M. Molé contre les fortifications n'avait pas répondu à l'attente générale; que celui de M. d'Alton-Shée, que l'on dit avoir été fait par M. Berryer, étincelait d'esprit et de bonnes moqueries, et avait charmé la Chambre des Pairs, tout aussi foncièrement contre la loi que l'était la Chambre des Députés; néanmoins, elle la votera probablement tout comme a fait l'autre.

      Rochecotte, 29 mars 1841.– Me voici dans ma dernière semaine de campagne. Elle va être remplie par mille affaires, rangements, comptabilité, ordres à laisser. Je regretterai beaucoup ma solitude, ma paix, l'ordre uniforme de mes journées, la simplicité de mes habitudes, l'activité efficace, sans fatigue et sans agitation, qui profite aux autres, et par conséquent à moi-même. Je ne suis pas sans inquiétude de quitter la retraite protectrice où je m'abritais pour remettre à la voile. La navigation du monde est la plus difficile, la plus orageuse, et je ne m'y sens plus du tout propre; je n'ai plus de pilote et je ne sais pas, à moi seule, conduire ma barque; j'ai toujours peur de me briser contre quelque écueil. Mes nombreuses expériences ne m'ont pas rendue habile, seulement elles m'ont mise en défiance de moi-même, et cela ne suffit pas pour faire bonne traversée!

      Rochecotte, 2 avril 1841.– J'ai vu, dans le journal, la mort de la vicomtesse d'Agoult, dame d'atours de Mme la Dauphine. Il me semble que la perte d'une amie si ancienne et si dévouée doit être, en exil surtout, un coup bien sensible pour cette Princesse, à laquelle pas un chagrin, pas une épreuve n'ont été épargnés.

      Rochecotte, 3 avril 1841.– Les journaux m'ont appris que l'amendement, qui aurait fait retourner la loi sur les fortifications à la Chambre des Députés, a été rejeté par les Pairs à une assez grande majorité, ce qui indique que la loi même sera adoptée. Le Château en sera ravi!

      La duchesse de Montmorency me mande que je retrouverai Paris occupé de magnétisme. Chacun a sa somnambule. On a de petites matinées ou soirées, pour voir les effets du somnambulisme. C'est Mme Jules de Contades, sœur de mon voisin, M. du Ponceau, qui a mis cela en vogue. Son frère, qui est depuis trois mois à Paris, y a fait venir une Angevine, qui est un sujet principal de magnétisme. Elle était chez lui à Benais16 l'automne dernier et le Dr Orye m'en a raconté des merveilles. Il était très incrédule, mais ce qu'il a vu de cette personne l'a fort ébranlé.

      Rochecotte, 4 avril 1841.– Décidément, voilà Paris embastillé. Le duc de Noailles m'écrit là-dessus une lettre très politique, probablement très judicieuse, mais qui m'a ennuyée. Il ajoute ceci: «Je vous dirai pour nouvelle, que la princesse de Lieven donne à dîner; elle a une très belle argenterie, de la vaisselle plate, et elle m'a engagé lundi dernier avec M. Guizot, Montrond, M. et Mme de La Redorte, M. Peel (frère de sir Robert Peel) et Mrs Peel. C'était le second dîner qu'elle donnait. Le premier avait été pour son Ambassadeur et sa nièce Apponyi. Elle a donné aussi une soirée à la Duchesse de Nassau, la veuve, fille du prince Paul de Wurtemberg, venue passer quinze jours à Paris pour voir son père, qui vient d'être à la mort et reste très menacé. La Duchesse de Nassau est sourde, mais agréable et gracieuse. Elle ne voulait pas aller aux Tuileries, son père l'y a obligée; toute la Famille Royale, excepté le Roi, est allée chez elle le lendemain. Elle a été invitée à dîner pour trois jours après et a refusé, disant qu'elle devait aller ce jour-là à Versailles; elle a refusé avant d'en parler à son père, qui n'est assurément pas Philippiste, mais qui a senti l'inconvenance de ce refus; il a exigé qu'elle demandât l'heure de la Reine pour aller prendre congé; la Reine a fait dire qu'elle était très fâchée, mais que les devoirs de la Semaine sainte ne lui permettaient pas de la recevoir. La Cour avait, dès son arrivée, mis des loges à sa disposition; elle a refusé, disant qu'elle n'irait pas du tout au spectacle, et cependant, elle a été à l'Opéra dans la loge de la duchesse de Bauffremont. Dans notre Faubourg, on est charmé de cette conduite, qui me paraît pleine de sottise et de mauvais goût.» En effet, je trouve cette équipée absurde.

      Puisque vous lisez17 le petit Fénelon, souvenez-vous que je vous recommande surtout le troisième et le quatrième volumes. Je les mets à l'égal, tout à la fois, de Mme de Sévigné et de la Bruyère. Le tout fondu dans la grâce inimitable et le sérieux fin et doux de l'évêque chrétien, grand seigneur, homme de Dieu et du monde, et qui, comme disait Bossuet, avait de l'esprit à faire peur.

      Je pars dans une heure. J'ai le cœur fort gros de m'en aller. Quand et comment reviendrai-je? L'imprévu a une trop large part dans la vie de chacun.

      Paris, 6 avril 1841.– M'y voici, dans ce grand Paris. La première impression n'est pas du tout gracieuse!

      Paris, 9 avril 1841.– Mme de Lieven, qui m'avait écrit pour me voir et que j'avais priée à dîner tête à tête avec moi, ce qu'elle a accepté, est apparue parée, démaigrie, de bonne humeur. Elle m'a raconté que son Empereur est toujours également farouche, que la petite Princesse de Darmstadt se trouve fort mal du climat de Saint-Pétersbourg, que le froid lui a rougi le nez; le jeune héritier n'en est plus du tout épris, cependant il va épouser. La Princesse assure qu'il n'y a rien du tout de décidé pour les mouvements diplomatiques, si ce n'est que Sainte-Aulaire ira à Londres et Flahaut à Naples; le reste est très au hasard. On croit que Palmerston encourage secrètement les étranges procédés Ponsonby, car rien ne se termine dans la question d'Orient. Lord Granville est obligé de donner sa démission à cause de sa santé. Lady Clanricarde désire extrêmement


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<p>16</p>

Benais, château près de Rochecotte, appartenait alors à M. et Mme de Messine, parents de Mme du Ponceau.

<p>17</p>

Extrait de lettre.