Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4). Dorothée Dino
de rompre un si triste nœud. Le premier usage qu'il en ferait serait d'épouser la Princesse Marie.
La duchesse de Weimar m'a dit que sa sœur, la Reine douairière d'Angleterre25, avait tout un côté des poumons détruit, et l'autre très délicat. La vue de la duchesse de Weimar m'a rappelé Londres, Windsor, le beau temps enfin. Sa ressemblance avec sa sœur, et jusqu'à leur son de voix semblable (quoique ce ne soit pas leur belle partie) tout m'a émue, en me reportant à ces années déjà si loin de moi!..
Mannheim, 10 mai 1841.– Je vais quitter Mannheim, après y avoir été fort gracieusement reçue. La pauvre Grande-Duchesse parle beaucoup de sa mort, ce qui ne l'empêche pas de faire beaucoup de projets. Je voudrais que celui de marier sa fille fût réalisé. Elle m'a promenée, hier, en calèche, dans d'assez jolies promenades aux bords du Rhin. On a fait à Mannheim un port qui attire le commerce et donne du mouvement à cette ville qui en manquait depuis si longtemps, et qui, à tout prendre, me paraît préférable à Carlsruhe. J'ai eu, ici, une lettre de mon gendre, écrite le lendemain de mon départ de Paris. Pauline n'allait pas plus mal, quoiqu'elle fût encore nerveusement ébranlée et très faible. Voici, en outre, ce que contient sa lettre: «Au baptême du Prince, on a signé l'acte dans l'ordre suivant: le Roi et sa famille, puis les Cardinaux, le Président et le Bureau de la Chambre des Pairs, puis celui de la Chambre des Députés; arrive là M. de Salvandy (vice-président) qui refuse publiquement de signer, sur ce que la Chambre des Députés ne peut passer après les Cardinaux. Il veut porter ceci à la tribune; cela aurait un effet d'autant plus fâcheux que la Chambre se montre, à l'occasion de la loi sur l'instruction secondaire, de très mauvaise humeur contre la réaction qui s'opère visiblement en faveur de la religion, et que cette susceptibilité de plus peut faire éclater un mauvais orage.»
Gelnhausen, 11 mai 1841.– J'ai été menée beaucoup plus vite que je ne pensais; et au lieu de coucher à Francfort comme c'était mon intention, j'ai fait dix lieues de plus, et me voici dans une petite auberge qui, du moins, n'est pas sale; ce qui me permettra de gagner demain Gotha sans entamer la nuit en voiture. J'ai déjeuné à Darmstadt. En traversant Francfort, j'ai été assaillie par bien des souvenirs, car je l'ai déjà traversée à différentes époques, et dans des circonstances bien diverses. La première a été la plus importante, car c'est à Francfort que je me suis mariée. Plus tard, c'est là que j'ai vu, pour la première fois, le bon Labouchère; il me l'a souvent rappelé depuis.
La Grande-Duchesse Stéphanie m'a donné un livre qui vient de paraître à Stuttgart, mais qui a été évidemment publié sous une direction autrichienne, car les pièces qu'il contient me paraissent devoir originer de Vienne et, qui plus est, du cabinet du prince de Metternich, ou peu s'en faut. Ce petit volume contient les notes rédigées en français par Gentz, sur plusieurs questions politiques, toutes très anti-françaises; leur publication actuelle et l'avant-propos de l'éditeur me paraissent leur donner une intention. Ce qui y a le plus d'intérêt pour moi, c'est le journal de Gentz, pendant son séjour au quartier général prussien, dans la semaine qui a précédé la bataille d'Iéna. C'est finement observé, vivement écrit; c'est curieux, très curieux. Il y a aussi des commentaires sur une correspondance entre M. Fox et M. de Talleyrand, lors de la rupture de la paix d'Amiens. Ce volume a vraiment plusieurs genres de mérite.
Gotha, 12 mai 1841.– Je voulais arriver hier soir ici, mais il y a tant de côtes aux environs de Fulda et d'Eisenach qu'il m'a fallu coucher à Eisenach, où, comme de raison, j'ai rêvé à sainte Élisabeth! Je m'arrête ici quelques heures, pour voir la Duchesse douairière qui était fort aimée de ma mère, et qui m'en a voulu, l'année dernière, d'avoir été en Allemagne sans être venue jusqu'ici. Mon très ennuyeux voyage se passe du reste sans accident et par un assez beau temps.
Wittemberg, 13 mai 1841.– La Duchesse douairière de Gotha m'a reçue avec mille bontés, m'a fait dîner chez elle, en faisant inviter en toute hâte cinq à six personnes de la ville, qui m'avaient connue dans mon enfance. Elle dîne à 3 heures; à 6 heures, je lui ai demandé la permission de la quitter pour continuer ma route. Je serais restée, si la pauvre Duchesse n'était pas devenue tellement sourde que c'était, à la lettre, exténuant d'avoir l'honneur de lui répondre. J'ai préféré passer la nuit en voiture, car si j'avais couché à Gotha, il m'aurait fallu passer la soirée au Château. Je vais donc me reposer longuement ici, afin d'arriver un peu en force à Berlin. J'ai assez bien supporté la route jusqu'ici: ma petite station à Mannheim avait agréablement coupé la longueur de ma vie roulante.
J'ai lu, pendant ces deux derniers jours, une vie de la Reine Blanche de Castille par une demoiselle, dont les journaux ont dit du bien. Les faits sont intéressants, mais le style est de la mauvaise école et l'esprit très anti-catholique. Tout en lisant, j'argumente tout bas contre l'écrivain; le tout bas est surtout à propos ici, à Wittemberg, l'ancien berceau de la Réforme, car c'est du couvent des Augustins, dont les restes sont encore devant mes yeux, que Luther a jeté son premier brandon, et c'est dans l'église, à côté de l'auberge, qu'il est enterré.
Berlin, 15 mai 1841.– Je suis arrivée ici hier au soir; je n'y ai vu encore que mon homme d'affaires, M. de Wolff. A midi, j'ai été chez la comtesse de Reede, Grande-Maîtresse de la Reine, et ancienne amie de ma mère; puis, chez la Grande-Maîtresse de la Princesse de Prusse, remettre les nombreux paquets que m'avait confiés Mme la Duchesse d'Orléans pour cette Princesse. Ensuite chez les Werther, la comtesse Pauline Néale et Mme de Perponcher. Je n'ai trouvé personne.
Berlin, 16 mai 1841.– Devinerait-on qui vient de me donner le bras pour me conduire à la messe d'où j'arrive? Pierre d'Arenberg, qui est ici pour demander que ses propriétés sur la rive droite du Rhin soient érigées en fief pour un de ses fils.
Berlin, 17 mai 1841.– Aujourd'hui est un jour qui me retombe lourdement et douloureusement sur le cœur: ce troisième anniversaire de la mort de notre cher M. de Talleyrand a encore une bien grande vivacité de souvenirs et je suis sûre qu'ils exerceront aussi leur puissance sur d'autres. Je regrette de ne pouvoir le passer dans le recueillement, ce qui est impossible ici.
La journée d'hier a été d'un mouvement inaccoutumé pour moi et dont je suis toute fatiguée. La messe, puis des visites indispensables aux grandes dames du pays; un dîner chez les Wolff, le thé chez la Princesse Guillaume, tante du Roi; une prima sera chez les Radziwill; une fin de soirée chez le vieux prince de Wittgenstein. A travers tout cela, une longue visite de Humboldt, qui part dans peu de jours pour Paris; il n'y avait pas moyen de respirer. Ce qui est terrible ici, c'est que tout commence de si bonne heure et que les coupes des journées sont si singulières, qu'elles fractionnent le temps de la manière la plus désagréable.
Berlin, 18 mai 1841.– J'ai dîné, hier, chez le Roi et la Reine, qui étaient venus passer quelques heures en ville. Ils sont très bons et aimables pour moi. J'y ai vu arriver le Prince Frédéric de Prusse, venant de Düsseldorf, aussi une de mes anciennes connaissances d'enfance: il a l'air étonnamment jeune encore. On attend ici sa femme, qui, de folle qu'elle était, n'est plus à ce qu'il paraît qu'imbécile.
On disait, hier, chez le Roi, qu'une de ces malheureuses Infantes d'Espagne que leur mère avait mises au couvent si cruellement, s'en était échappée, avec un réfugié polonais, mais qu'elle avait été reprise à Bruxelles: c'est une jolie équipée pour une Princesse! Aussi comment enfermer du sang espagnol de vingt ans? Le Roi a dit encore qu'Espartero avait été proclamé seul Régent et Dictateur en Espagne.
Berlin, 20 mai 1841; jour de l'Ascension.– Je suis partie, hier, par le premier convoi du chemin de fer de Berlin à Potsdam. Le Roi m'avait fait inviter à assister à une grande parade: c'était très beau, le temps propice, les troupes superbes, la musique excellente, mais la journée a été un peu fatigante.
Avant-hier, j'avais dîné chez la Princesse de Prusse, et le soir j'avais été à un raout chez la comtesse Nostitz, sœur du comte Hatzfeldt. Ici, il n'y a qu'à marcher, à se montrer de bonne humeur, de bonne grâce et reconnaissante de tout bon accueil; ce qui n'empêche pas que quand je pourrai rentrer dans ma vie paresseuse, je serai ravie.
Berlin,
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La Reine Adélaïde.