Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4). Dorothée Dino

Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4) - Dorothée Dino


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Decazes est déjà assez mal pour qu'on pense à son successeur; les uns parlent de M. Monnier, les autres nomment des noms que je n'ai pas retenus.

      Paris, 10 avril 1841.– Je voudrais avoir quelque chose d'intéressant à conter de Paris, où tant d'intérêts s'agitent et se combattent; eh bien! point du tout; il me semble que j'y suis plus stérile et hébétée qu'à Rochecotte. Cependant, j'entends beaucoup de paroles bourdonner à mes oreilles, mais elles ne laissent pas de traces, et elles empêchent seulement le cours tranquille de mes réflexions.

      Hier, après mon déjeuner, j'ai été chez Madame Adélaïde, qui, ayant appris indirectement que j'étais à Paris, m'a fait demander. J'avais compté ne me manifester au Château qu'après Pâques. Je l'ai trouvée souffrante et singulièrement changée, maigrie, voûtée, fatiguée, vieillie. Elle a été parfaitement bonne pour moi, mais vraiment ennuyeuse par son interminable morceau sur les fortifications. Je crois que c'était pour me l'adresser qu'elle m'avait fait venir, comme si j'avais, ou qu'il fût important que j'eusse une opinion à ce sujet. Ce qui m'a amusée davantage, c'est le portrait de la Reine Christine d'Espagne, qu'elle m'a montré et qui est très agréable. Cette Reine n'a point été jusqu'à Naples parce que son frère n'a pas voulu l'y recevoir. Elle doit être maintenant à Lyon, et on suppose qu'elle reviendra ici, où la Cour me paraît lui être très favorable. On s'y montre moins bien disposé pour la grosse Infante; on lui en veut d'avoir, tout dernièrement, mis ses trois filles aînées au couvent: cela ne s'explique pas. Depuis qu'elle était ici, elle avait mené ses trois Princesses au bal et partout, et puis, maintenant, cette réclusion!

      M. Molé est venu me voir à la fin de la matinée, il est très sombre sur la politique. Le fait est que, très évidemment, personne n'a gagné en force, ni en considération. Il paraît que la Cour s'est tellement commise pour ces malheureuses fortifications, dont personne ne veut, pas même ceux qui ont voté pour, que l'effet a été jusqu'au ridicule. On a blessé, à cette occasion, bien du monde, et tous ceux qui ne promettaient pas leur vote ont été moqués et injuriés à bout portant. On dit que le Prince Royal ne s'y est pas épargné. J'en suis bien peinée, car je le serai toujours de tout ce qui peut lui nuire. Il est, en ce moment, à Saint-Omer.

      Paris, 12 avril 1841.– On entre chez moi, à l'instant, me dire une nouvelle saisissante. La jolie duchesse de Vallombrose, si jeune encore, grosse de son second enfant, et heureusement accouchée il y a quelques jours, a été saisie le surlendemain d'une fièvre puerpérale, et la réponse au domestique que j'ai envoyé pour savoir de ses nouvelles, est qu'elle est morte cette nuit. Quelle horreur! C'est la même maladie dont la petite maîtresse d'école de Rochecotte a été guérie par des médecins de campagne, tandis que la duchesse de Vallombrose, entourée de toute la Faculté, meurt en dépit de cette prétendue science. Ah! que la vie tient peu ce qu'elle promet!

      Paris, 13 avril 1841.– Partout, hier, on ne parlait que de cette mort de la duchesse de Vallombrose. Elle ne se doutait pas de son danger, la malheureuse, et quand on a fait chercher un prêtre, qui, heureusement, s'est trouvé homme d'esprit habile (l'abbé Dupanloup), il a eu à la préparer à ce terrible inattendu. Voilà de ces morts qui, du temps de Louis XIV, auraient opéré de soudaines conversions, mais rien n'agit plus sur les esprits blasés et les consciences éteintes de notre temps, où tout est plat et écrasé, au dedans et au dehors.

      Paris, 14 avril 1841.– M. de Sainte-Aulaire est venu déjeuner chez moi, hier, et me questionner sur les détails matériels et sociaux de l'ambassade de Londres, à laquelle il se prépare. M. Royer-Collard est arrivé avant qu'il ne fût parti; ils ont parlé de l'Académie française et d'un nouveau travail dont s'occupe M. Nodier, l'Histoire des mots. On dit que ce sera un ouvrage curieux et sérieux, fait à merveille par un homme de beaucoup d'esprit, un vrai monument.

      M. Royer-Collard m'a dit que le jour de la mort de sa fille la porte de son cabinet s'est ouverte trois fois en un quart d'heure, pour y faire entrer M. Molé, ce qui était tout simple, M. Thiers, ce qui l'était moins, et M. Guizot, ce qui ne l'était pas du tout. La réunion rendait la chose plus singulière encore. M. Guizot s'est jeté, pâle et en larmes, sur M. Royer-Collard qui, dans ce jour de deuil, n'a pas eu la force de le repousser, ce dont je l'ai fort loué. Deux des enfants de M. Guizot ayant été depuis à la mort et ayant été tirés d'affaire par M. Andral18, M. Royer-Collard a été chez M. Guizot lui faire compliment sur leur rétablissement. Depuis ce temps, quand ces messieurs se rencontrent à la Chambre, ils se donnent la main et échangent quelques paroles. Moi, qui suis pour les pacifications générales, et qui trouve que plus on avance dans la vie, plus il faut y tendre, j'ai dit et répété à M. Royer-Collard que j'étais charmée de le voir adouci.

      J'ai eu mes enfants à dîner. Après leur départ, je me suis couchée. Il ne tiendrait qu'à moi d'aller dans le monde ou d'en recevoir chez moi; mais j'en ai le plus invincible dégoût, et l'heure pendant laquelle je laisse ma porte ouverte me semble la plus longue de la journée. M. de Talleyrand, notre cher M. de Talleyrand, qui avait tant de perspicacité et qui disait, sur chacun, bien plus vrai encore que je ne croyais, disait sur moi, avec grande raison, que, mes enfants mariés, je ne resterais pas dans le monde. En effet, je ne puis plus du tout m'y supporter: mon curé, mes sœurs blanches, mon jardinier, mes pauvres et mes ouvriers, voilà mon monde. Ce qu'on appelle les amis, dans le monde, pâlit auprès d'eux; Mme de Maintenon disait: «Mes amis m'intéressent, mais mes pauvres me touchent.» Je me suis bien souvent fait l'application de cette phrase, que je comprends merveilleusement.

      Paris, 16 avril 1841.– C'était hier que le duc de Rohan-Chabot, dont nous sommes un peu parents, mariait sa fille aînée au marquis de Béthisy. C'était une belle noce, dans le plus pur du faubourg Saint-Germain. J'étais priée à la messe de mariage. Saint-Thomas-d'Aquin contenait à peine la foule. On étouffait dans la sacristie, on s'est grossièrement coudoyé sur le péristyle; la pluie battante augmentait la confusion, au lieu de modérer la hâte que chacun avait de rentrer chez soi. L'abbé Dupanloup, qui, chaque jour, baptise, confesse, enterre ou marie quelqu'un de notre quartier, a fait un discours un peu long, mais touchant pour ceux qui l'écoutaient; presque personne ne songeait à autre chose qu'à ce qui occupe dans un salon: la toilette et la coquetterie. Il est bien rare qu'à Paris et dans notre monde un mariage soit grave et recueilli, et les paroles dites par le prêtre sont les seules qui tombent sérieusement au milieu de cette extrême frivolité, qui ne permet pas même de les laisser écouter. C'est un spectacle qui fait faire plus d'une triste réflexion, surtout pour ceux qui se rappelaient que la veille on avait dit, dans cette même église, les dernières prières sur le cercueil de cette jeune et belle duchesse de Vallombrose.

      Paris, 17 avril 1841.– J'ai profité hier de l'obligeance du comte de Rambuteau, qui m'avait offert sa loge pour la dernière représentation de Mlle Mars. La foule était grande, la salle remplie de tout ce qu'on connaît; toute la Famille Royale s'y trouvait. Mlle Mars avait épuisé tous les artifices de la toilette, et avec un succès étonnant. Elle a épuisé aussi toutes les ressources de son talent, et avec un succès plus complet encore. Son son de voix n'avait besoin d'aucun art, d'aucune étude; il était toujours jeune et modulé; si elle avait voulu renoncer aux rôles trop jeunes et modifier son emploi, elle aurait pu rester longtemps encore au théâtre. On lui a fait de brillants adieux: elle succombait sous les fleurs et les applaudissements. Le Misanthrope a été honteusement massacré par toute cette pauvre troupe, et Mlle Mars seule respectait Molière. Dans les Fausses Confidences, il y a eu plus d'ensemble et de mouvement, et Mlle Mars a triomphé.

       Paris, 25 avril 1841.– M. Royer-Collard m'ayant dit, à son avant-dernière visite, qu'il avait une vingtaine de lettres de M. de Talleyrand, et qu'il me les donnerait, si cela me faisait plaisir, j'ai accepté, étant bien aise de réunir le plus possible d'autographes de lui. Il me les a apportées avant-hier. Je les ai relues hier, il y en a quelques-unes d'agréables par le cachet de simplicité gracieuse et fine qui lui était propre. J'y ai retrouvé quelque chose que je cherchais depuis longtemps, sans avoir pu remettre la main dessus: c'est la copie de la lettre que M. de Talleyrand écrivit à Louis XVIII, lorsque parurent les Mémoires du duc de Rovigo au sujet du duc d'EnghienСкачать книгу


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Le docteur Andral était le gendre de M. Royer-Collard.