Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4). Dorothée Dino
Dieu et le monde. C'est une rude tâche dans laquelle les triomphes définitifs sont difficiles.
Vienne, 15 juin 1841.– Louis de Sainte-Aulaire est venu me voir hier matin. Il m'a conté que la maladie du maréchal Soult, dont parlent les gazettes, tient moins au rejet de la loi de recrutement, contre laquelle M. le Duc d'Orléans a voté publiquement, qu'à une colère paternelle. Il a regardé la nomination de M. de Flahaut à Vienne comme un passe-droit fait à son fils. Il menaçait de se retirer, et on ne sait pas si M. de Flahaut aura la gloire de causer une dislocation du Cabinet, ou bien s'il lui faudra définitivement renoncer à Vienne. M. Bresson était parti de Paris pour Berlin de fort mauvaise humeur.
Vienne, 16 juin 1841.– J'ai reçu, hier, de Paris, une lettre de Mme de Lieven; en voici l'extrait: «Le maréchal Soult fait une petite crise ministérielle. Le Duc d'Orléans a voté contre lui dans la loi de recrutement; le Maréchal a été battu; il a été fort colère; il est survenu des spasmes au cœur, une menace d'apoplexie, ce qui fait qu'il menace de sa retraite. Le Duc d'Orléans est allé chez lui, il a refusé de le voir; il est fort douteux qu'on parvienne à l'apaiser; de plus, la Maréchale a sérieusement peur pour sa vie. Voilà donc un gros embarras, car il faudra le remplacer pour les deux postes qu'il occupe. M. Guizot est bien décidé à ne point se faire Président du Conseil. Enfin… on espère cependant encore que le Maréchal restera. En Angleterre, c'est plus gros que cela: la dissolution du Parlement va avoir lieu probablement demain, mais les élections sont douteuses; il se pourrait qu'il revînt une Chambre pareille à celle qu'on renvoie, et alors, il n'y aurait plus moyen de gouverner pour personne. En attendant, le pays sera fort agité. L'affaire d'Orient n'est point arrangée; au contraire, la Turquie se dérange tous les jours davantage.
«Lady Jersey veut que sa fille épouse Nicolas Esterhazy; il y a grande passion entre les jeunes gens. Paul Esterhazy tâche de s'en défaire, ce qui est difficile.
«L'accueil fait au Prince de Joinville à La Haye a été des plus empressés: le Roi et la Reine l'ont comblé d'amitié! Qu'en dira-t-on à Pétersbourg?
«M. de Flahaut a été proposé pour Vienne; on l'y accepte avec peu d'empressement. En tous cas, il ne peut encore y avoir ici ni mutations, ni nominations, car le poste de Londres restant vacant, vu que lord Palmerston suspend la clôture de l'affaire d'Orient, rien ne se fera avant l'envoi de Sainte-Aulaire à Londres.»
Vienne, 17 juin 1841.– Charles de Talleyrand est venu hier me conter les nouvelles les plus fraîches de Paris. L'affaire du maréchal Soult est arrangée. Il reste, et son fils ira comme ambassadeur à Rome. Le Maréchal reçoit six cent mille francs pour liquider je ne sais quelle avance, qu'il prétend avoir faite à l'État. L'affaire turco-égyptienne est finie: l'acte ratifié est parti pour Alexandrie et les cinq Cours se rencontreront à Londres, si déjà elles ne s'y sont tendu la main.
Vienne, 18 juin 1841.– Hier soir, j'ai été entendre une tragédie allemande, puis prendre le thé chez le prince de Metternich, où le Prince se mit à causer, à la fin de la soirée, autour d'une table ronde, et où il est, vraiment, très aimable et intéressant. Excepté le dimanche, qui est leur jour de réception, il y vient peu de monde, ce qui rend la chose beaucoup plus agréable, à mon gré. Le maréchal Marmont y est tous les jours.
Vienne, 19 juin 1841.– J'ai été, hier, avec mes sœurs, visiter la Galerie Impériale des tableaux. Je suis étonnée qu'on n'en parle pas davantage; elle contient de fort belles choses. Elle est hors de la ville, dans un palais nommé le Belvédère, qui a été bâti par le prince Eugène de Savoie: ses proportions intérieures sont très belles.
J'ai dîné chez la princesse Paul Esterhazy avec le prince et la princesse de Metternich et leur fille, le prince Wenzel, Lichtenstein, Schulenbourg, lord Rokeby, le comte Haugwitz et le baron de Hügel. La princesse Esterhazy était fort comique, avec ses terreurs d'avoir lady Jersey pour co-belle-mère. Le mariage n'est cependant pas encore certain.
Vienne, 21 juin 1841.– Je suis ravie que vous aimiez les Lettres de Fénelon30. Tout est là, et sous une forme qui explique bien le culte fidèle et courageux dont cet aimable et saint Archevêque a été l'objet de la part des courtisans du grand Roi. Il sait donner à la religion un charme et une grandeur, une simplicité et une élévation entraînantes, et si, en s'initiant dans son commerce avec ses amis, on ne se convertit pas absolument, il est, du moins, impossible de n'y pas puiser le goût du bien, du beau, et le désir de mieux vivre pour bien mourir.
L'Histoire de Port-Royal, de Sainte-Beuve, a certainement de l'intérêt; le sujet est grand, mais traité avec un langage qui n'est ni assez sérieux, ni assez simple, pour parler dignement des âpres et imposantes figures du Jansénisme.
Vienne, 25 juin 1841.– Je veux partir mercredi prochain et reprendre par Prague la route qui me ramène en Saxe chez mes nièces; de là, par la Lusace, d'abord dans la Haute-Silésie, chez ma sœur Hohenzollern, qui y sera alors, puis enfin chez moi, à Wartenberg, où je compte être le 26 juillet.
Vienne, 26 juin 1841.– J'ai dîné hier chez le prince de Metternich; il n'y avait que strictement la famille. De là, je suis allée au spectacle, puis au Volksgarten, espèce de Tivoli où Strauss joue ses valses, où des Styriens chantent, où toute la bonne et la mauvaise compagnie de Vienne se réunissent dans cette saison. Mes sœurs, qui étaient avec moi, m'ont ensuite ramenée chez elles où nous avons pris le thé.
On est bien mécontent de lord Palmerston, qui toujours au moment de terminer la question égyptienne suscite de nouveaux empêchements. Sa conduite est singulièrement louche. On se perd en conjectures, et on en a beaucoup d'humeur où je dînais hier.
Vienne, 28 juin 1841.– Il a fait hier, ici, un temps fort singulier. Il a soufflé, du midi, un vent violent qui a fait tourbillonner des flots de poussière; la ville et les environs en étaient enveloppés; ce vent brûlant était un véritable siroco qui desséchait et accablait.
J'ai été à la messe aux Capucins, pour faire mes adieux au P. François, qui m'a donné sa bénédiction. Je suis rentrée chez moi pour attendre et entendre le maréchal Marmont: il m'avait demandé d'écouter les quarante pages de ses Mémoires manuscrits, qu'il a consacrés à sa justification, relativement à sa conduite dans les journées de juillet 1830. Je ne pouvais refuser. Cela ne m'a pas appris grand'chose de nouveau, car je connaissais tous ces faits singuliers, qui prouvent si évidemment que l'imbécillité du gouvernement a été idéale et que le Maréchal a été très malheureux d'être appelé à une action aussi mal imaginée que mal préparée. Il n'avait donc pas à se justifier à mes yeux, mais enfin, j'ai écouté, avec intérêt surtout, les détails de la scène avec Monseigneur le Dauphin, dont je ne savais pas l'existence, et dont les paroles, les gestes sont inimaginables31. Cette lecture, interrompue par plusieurs réflexions, a duré d'autant plus longtemps que le Maréchal lit lentement, barbouille et ânonne extrêmement; son débit est le plus embourbé qu'il soit possible.
Je suis allée ensuite avec mon beau-frère Schulenbourg dîner à Hitzinger, village près de Schœnbrunn, chez la comtesse Nandine Karolyi, qui ne me plaît pas du tout, mais qui, m'ayant fait la politesse de me prier, a été fort obligeante. Elle habite la moitié d'un cottage charmant, qui appartient à Charles de Hügel le voyageur, qu'un dépit amoureux, ayant la princesse de Metternich pour objet, a fait passer sept ans en Orient. Il en est revenu, a bâti cette maison, l'a remplie de choses curieuses rapportées de l'Inde. Il habite une moitié de la maison, Nandine l'autre; le tout, entouré de fleurs et dans une jolie situation, a un aspect fort anglais. Je ne me suis pas du tout plu à ce dîner: la maîtresse de maison est singulière, l'exagération du type viennois et les messieurs qui l'entourent à l'avenant. Je suis partie le plus tôt possible, et suis allée passer une heure en tête à tête et faire mes adieux à la princesse Louise de Schœnbourg.
Vienne, 29 juin 1841.– Hier, à la chute du jour, j'ai été avec mes sœurs, Schulenbourg et le comte Haugwitz, au Volksgarten, où tout Vienne cherchait à humer un peu de rosée, à travers des nuages de tabac; un feu d'artifice et Strauss
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Extrait de lettre.
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Cette scène lamentable, qui marqua douloureusement la dernière soirée que le Roi Charles X et le Dauphin passèrent à Saint-Cloud, est racontée tout au long dans les