Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4). Dorothée Dino

Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4) - Dorothée Dino


Скачать книгу
6 août 1841.– Mes sœurs sont ici depuis le 1er de ce mois et paraissent s'y plaire assez, malgré le temps détestable que nous avons.

      J'ai reçu hier une lettre de M. Bresson qui me dit: «Rien de positif de Paris; M. de Flahaut a refusé Turin et il évite de se prononcer sur l'offre de Madrid; il s'en tient, dit-il, à la promesse qui lui a été faite de Vienne, ce que M. Guizot n'admet pas. Faite ou non, il se donne tout le mouvement possible pour qu'elle s'accomplisse, et Mme de Flahaut guette, d'Ems, l'arrivée de M. et de Mme de Metternich au Johannisberg. Pour moi, je conserve mon attitude expectante, fort décidé à ne quitter Berlin que pour Vienne ou Londres.

      «M. de Werther a donné sa démission de ministre des Affaires étrangères. Il sera remplacé par le comte Maltzan, mais on ne sait pas encore qui remplacera celui-ci à Vienne. Le Roi a accordé à Werther l'Aigle noir et a rendu héréditaire dans sa famille le titre de Baron, qui jusqu'à présent n'avait été que personnel. Arnim, de Paris, est nommé Comte.

      «Les affaires de Toulouse36 m'inquiètent plus; aucune autre ville de France n'a imité ce triste exemple: Les journées de Juillet ont été célébrées avec ordre. L'emprunt ne sera pas nécessaire en totalité; les brèches financières se réparent, et il nous restera la France retrempée et sa force militaire réorganisée. Que tout cela ne profite qu'à la paix, je le désire ardemment.»

      Voilà la prose, ou si on aime mieux, la poésie de M. Bresson.

      Günthersdorf, 7 août 1841.– J'ai reçu une lettre de M. Molé, qui se plaint de sa santé, traite les troubles de Toulouse et tout l'état de la France avec autant de tristesse que M. Bresson en parlait avec satisfaction dans la lettre citée hier.

      La duchesse de Montmorency m'écrit que Mgr Affre, ayant défendu à M. Genoude de prêcher, celui-ci est venu lui demander le motif de cette interdiction. Monseigneur a répondu que c'était à cause de ses opinions anti-gouvernementales. M. Genoude s'est fâché et a répliqué que, si Monseigneur persistait dans cette défense, il ferait imprimer tout ce que Mgr Affre a écrit, il y a quelques années, contre la Monarchie de Juillet, et dont il a en mains les pièces originales et signées. Sur ce, l'Archevêque s'est radouci, et M. Genoude prêchera. Voilà, ce me semble, une attitude épiscopale bien digne! Cela me fait faire des comparaisons avec le passé, et me confirme dans ma conviction que Mgr de Quélen a été le dernier véritable Archevêque de Paris. Le temps actuel ne semble plus comporter aucune grande et noble existence en aucun genre. Tout se réduit, tout s'avilit et s'aplatit.

      Günthersdorf 16 août 1841.– En mettant cette date à ce papier, je ne puis m'empêcher d'être saisie au cœur par un souvenir qui me sera toujours cher et sacré: c'est aujourd'hui la Saint-Hyacinthe, la fête de feu Mgr de Quélen! Je suis sûre qu'au Sacré-Cœur on entend la messe à son intention. Pendant bien des années, on lui portait, ce jour-là, un arbuste de ma part. Il y a deux ans, encore malade, à Conflans, il fit entrer mon domestique qui lui portait un oranger, et me fit écrire, par Mme de Gramont, que de tous les bouquets qu'il venait de recevoir le mien lui avait fait le plus de plaisir. Je ne puis, maintenant, que lui adresser des prières dans le Ciel. Je me figure souvent qu'il y est réuni à Celui pour lequel il a tant prié lui-même, et que tous deux demandent pour moi, à Dieu, la grâce d'une bonne mort, et avant tout, celle d'une vie chrétienne, car il est rare qu'on arrive à l'une sans l'autre, et si Dieu fait quelquefois des grâces tardives, il ne faut pas s'y reposer et négliger de les mériter. Je me dis souvent de ces paroles vraies et sérieuses, sans trouver qu'elles me profitent assez. L'esprit du monde, ce vieil ennemi, est difficile à déraciner.

      A Wartenberg, j'ai inspecté l'école protestante. L'an dernier, j'avais assisté à l'examen des enfants catholiques; sans prévention, je puis assurer que cette dernière est infiniment supérieure à l'autre.

      La poste m'a apporté une lettre du Maréchal de la Cour, qui m'annonce officiellement, de la part de Leurs Majestés, leur passage ici, le 31 de ce mois.

      Günthersdorf 18 août 1841.– J'ai reçu une lettre de M. Bresson, qui, m'ayant depuis longtemps annoncé sa visite, me demande de la placer le 31 de ce mois, de rester ici le 31, pour le passage du Roi, et de repartir le 1er. Il me dit que le Roi, ayant su son projet de venir ici, venait de lui dire à sa dernière audience qu'il espérait le rencontrer chez moi. Il me dit aussi que les nominations diplomatiques ne se feront qu'après l'installation du ministère Tory, auquel la Reine d'Angleterre ne pourra pas échapper.

      Il ajoute que M. et Mme Thiers sont à Berlin et y provoquent une vive curiosité. On fait haie sur leur passage. M. Thiers paraît s'appliquer à ôter à son voyage tout caractère politique et se montre très circonspect. Il a demandé à voir le Roi. M. Bresson attendait, quand il m'écrivait, la réponse de Sans-Souci à cette demande.

      Günthersdorf, 20 août 1841.– J'ai fait hier une longue course dans mes propriétés, de l'autre côté de l'Oder. Il faisait très beau. Le temps est aussi, ce matin, fort clair; Dieu veuille qu'il en soit ainsi le jour où le Roi passera ici.

       Günthersdorf, 21 août 1841.– En Allemagne, on fête encore plus les jours de naissance que les jours de fête37; aussi, depuis hier, les compliments et bouquets vont leur train. Tous les curés catholiques sont venus, hier, m'offrir des vœux et m'ont promis de dire ce matin la messe à mon intention. Hier au soir, tous les maîtres d'écoles catholiques (il y en a douze dans mes terres), se sont réunis, quoiqu'il y en ait qui demeurent à huit lieues d'ici; ils sont venus me chanter, en parties, avec les meilleurs élèves de leurs écoles, des vers simples et touchants, réellement très bien dits et inspirés, sans accompagnement d'instruments: c'était fort joli et aimable. Je suis très sensible aux témoignages d'affection; j'ai donc été fort touchée.

      Günthersdorf, 22 août 1841.– J'ai eu, hier, une nombreuse compagnie à dîner; je l'ai menée au tir arrangé dans la Faisanderie. Tous les gardes, fermiers et employés y étaient réunis; il y avait de la musique dans les bosquets, des fleurs partout, et du soleil à souhait. J'ai donné trois prix: une carabine de chasse, un couteau de chasse et une gibecière. Les deux Préfets, dans les départements desquels j'ai des terres, sont venus après le dîner et ont pris le thé. Il faisait si beau que, malgré la nuit, tout le monde n'est parti qu'à l'heure de mon coucher.

       Günthersdorf, 25 août 1841.– J'ai eu, hier, une lettre de la princesse de Lieven; en voici le principal: «On dit que la société viennoise ferait mauvais accueil à M. Bresson: M. de Metternich le fait insinuer ici. Il n'a pas grand goût à aucun de ceux qui sont sur les rangs pour cette place, mais encore moins pour Bresson que pour les autres; Apponyi ne se gêne pas pour le dire. Je pense que lord Cowley remplacera lord Granville. Lady Palmerston est désolée de perdre Downing Street38. Lord Palmerston fait meilleure contenance qu'elle. Son discours aux électeurs de Tiverton l'a tout à fait achevé dans l'opinion du public français; il en reste ici bien de la rancune, et l'on se sépare de lui assez mal.»

      Je compte quitter la Silésie d'aujourd'hui en huit; je voudrais fort saluer ma douce Touraine au 1er octobre. Les gazettes locales ne disent rien, si ce n'est que le Roi a reçu M. Thiers, non pas à Sans-Souci, mais à Berlin, en audience particulière, et que l'audience a duré vingt minutes. M. Thiers portait l'habit d'académicien et les ordres de Belgique et d'Espagne. Il a été, dans tout son voyage, l'objet d'une curiosité extrême mais plus vive que bienveillante, et s'il comprenait l'allemand, il aurait pu entendre plus d'une parole déplaisante.

      J'ai fait des arrangements avec mon jardinier et un architecte, pour les décorations du jour où le Roi s'arrêtera ici. Elles consisteront en beaucoup de guirlandes, pyramides, festons et arceaux de dahlias de toutes couleurs, qui, depuis l'avenue jusqu'à la maison, décoreront la route que suivra le Roi. Ce lieu-ci n'a rien de grandiose, d'imposant; il n'a aucune vue; il est frais, vert, les arbres sont beaux, le jardin soigné, la maison grande, mais plate, sans architecture, et surmontée d'un fort grand et vilain toit; il n'y a donc qu'à force de fleurs qu'on peut donner à tout cela une certaine grâce. Le vestibule intérieur se transforme


Скачать книгу

<p>36</p>

La question du recensement avait agité les habitants de Toulouse, dans les journées des 9 et 10 juillet. Ces troubles paraissaient apaisés, quand tout à coup éclata le 12 une émeute sérieuse: de nombreux rassemblements parcoururent les rues, des barricades furent formées, et la journée du 13 fut très menaçante. La ville fut sauvée par la sagesse du maire par intérim, M. Arzac, qui sut habilement ramener le calme et la tranquillité.

<p>37</p>

La duchesse de Talleyrand était née le 21 août 1793.

<p>38</p>

C'est dans Downing Street que se trouvait la demeure du ministre des Affaires étrangères.