Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4). Dorothée Dino
fort à la mode ici. Le Prince, sans le connaître personnellement, a beaucoup loué sa façon de faire à Londres, quoiqu'il ait ajouté qu'un diplomate collaborateur du Journal des Débats était une des étrangetés de notre époque.
Johannisberg, 15 septembre 1841.– Hier, je n'ai pas quitté le château de toute la journée, quoiqu'il fît très beau. J'étais bien aise de me reposer; d'ailleurs, on est ici trop occupé à recevoir toutes les personnes qui se succèdent pour songer à la vie de campagne proprement dite.
Mayence, 16 septembre 1841.– J'ai quitté le Johannisberg hier, fort touchée de toute la bienveillance des maîtres du lieu, et fort aise de mon séjour auprès d'eux. Je suis arrivée ici de bonne heure. J'y ai trouvé Mme de Binzer, Paul Medem et le baron de Zedlitz qui m'y attendaient; le baron, poète connu, est maintenant le successeur de Gentz, auprès du prince de Metternich, pour je ne sais quelle publication politique. Pendant que je dînais avec tout ce monde, trois coups de canon ont signalé le bateau à vapeur sur lequel la Princesse de Prusse remontait le Rhin pour se rendre, par Mannheim, à Weimar. Le bateau relâchant dix minutes ici, à trente pas de l'auberge, j'ai été passer ces dix minutes à bord avec la Princesse. Elle ne s'y attendait pas, et m'a témoigné la plus aimable satisfaction de cette petite attention.
La soirée étant chaude et belle, nous avons été nous promener en calèche autour de la ville, dont les environs sont jolis, et voir la statue de Gutenberg, par Thorwaldsen, qui est d'un beau style. En rentrant, nous avons appris qu'un courrier des Rothschild, arrivant de Paris, avait apporté la nouvelle d'une petite émeute à Paris, et d'un coup de pistolet tiré sur le duc d'Aumale, mais qui ne l'a pas atteint39.
Metz, 18 septembre 1841.– Je suis arrivée hier soir ici, accompagnée d'une pluie diluvienne, qui rend les voyages fort peu agréables. J'ai trouvé à l'auberge le général d'Outremont, qui a longtemps commandé à Tours. Il est en inspection à Metz, et a demandé à me voir; il m'a parlé des troubles de Clermont comme plus sérieux encore que ceux de Toulouse; en effet, le journal qu'on vient de me prêter en parle très gravement.
Paris, 20 septembre 1841.– Me voici donc rentrée dans la grande Babylone. Barante, le bon et excellent Barante, guettait mon arrivée; il a passé la soirée ici, et voici ce qu'il m'a appris: les troubles de Clermont ont eu, ont peut-être encore le caractère le plus grave; c'est une véritable Jacquerie, et les manifestations sont plus inquiétantes que tout ce qui s'est vu en France, depuis 183040. Barante, après trois ans et demi d'absence, est frappé et effrayé des dégradations en tous genres, et surtout dans la morale politique, qui se manifestent ici. Il disait spirituellement qu'il n'avait point encore vu, ici, un homme en estimant un autre. Il va aller passer six semaines chez lui, en Auvergne, puis restera l'hiver ici, et ne retournera qu'au printemps à Saint-Pétersbourg. Sainte-Aulaire est parti, il y a quarante huit heures, pour son nouveau poste à Londres. Sa femme ne le rejoindra qu'au mois de février, et Mme de Flahaut n'ira à Vienne qu'après avoir marié sa fille Émilie, pour laquelle il ne se présente pas encore d'épouseur.
Voilà Bertin l'aîné mort, et Bertin de Veaux avec une nouvelle attaque!
Paris, 21 septembre 1841.– Mme de Lieven m'a relancée hier de très bonne heure. Elle venait pour questionner, et ne m'a rien raconté. Elle pourra répéter à l'Europe ce que je lui ai dit du coin que je connais! J'ai pris le parti de dire du bien de tout le monde, ce qui l'a impatientée! J'ai fini par lui dire que, partout, on croyait et disait que c'était elle qui faisait et défaisait les ambassadeurs, ce qui l'a embarrassée! Du reste, ce que je disais là était vrai; on le croit partout, et je crois qu'on a raison de le croire. Elle m'a invitée à dîner jeudi à Beauséjour.
Humboldt est venu à son tour. Je lui ai conté la Silésie. Enfin, M. de Salvandy est arrivé, ravi d'être ambassadeur à Madrid, et se réservant de revenir pour la session de la Chambre des Députés, et d'y garder sa vice-présidence. Mon fils Valençay est venu dîner avec moi, et m'a appris la mort du vieux Hottinger, qui me fait de la peine; c'était un homme très honorable, attaché à feu M. de Talleyrand, et ami de Labouchère. Il y a là bien des souvenirs d'un passé qui s'efface extérieurement avec une effrayante rapidité.
Il y a une petite émotion permanente dans les quartiers éloignés de Paris. On n'en comprend pas même le but; mais il me semble que ce soit comme l'état normal de Paris. Revenir aux grands éclats de 1831! C'est se rajeunir sans se fortifier, quand il faudrait se vieillir pour se grandir. Heureusement que les troupes sont excellentes partout; mais aussi, il en faut partout. On est fort décidé et même désireux à s'en servir vigoureusement; c'est très bien, mais qu'il est heureux de le pouvoir, et de n'avoir pas une guerre extérieure à côté des plaies du dedans!
Mes lettres d'Auvergne ne sont pas satisfaisantes41. Décidément, Pauline passera son hiver dans le midi, à Rome si je ne vais pas à Nice. Elle désire si vivement me revoir, que je me décide pour Nice, où j'irai au mois de décembre pour en revenir au mois de mars. J'espère que ce sera bon aussi pour ma nièce Fanny. Pour moi, personnellement, c'est un grand sacrifice; j'aurais besoin d'un long repos, et de me caser pour longtemps à Rochecotte; mais Pauline est réellement malade, elle me désire beaucoup, et me l'exprime si tendrement; son mari se joint à elle avec tant d'insistance, qu'il n'y a pas à hésiter.
Paris, 22 septembre 1841.– J'ai été, hier soir, avec mon fils Valençay à Saint-Cloud, où j'ai pu, tout d'une fois, voir la Famille Royale réunie, même les Majestés belges. Tous partent pour Compiègne. La Reine avait des nouvelles du prince de Joinville, de Terre-Neuve. Il se dirigeait vers Halifax.
Paris, 23 septembre 1841.– J'ai vu hier l'abbé Dupanloup, qui m'a dit avoir en sa possession une correspondance de M. de Talleyrand avec le cardinal Fesch, du plus grand intérêt, et aussi celle de M. de Talleyrand avec le Chapitre d'Autun, aux époques les plus délicates et les plus difficiles; il est d'autant plus heureux de ces découvertes, qu'elles confirment son système sur M. de Talleyrand, et font, en général, beaucoup d'honneur à celui-ci.
J'ai été dîner hier à Beauséjour, chez Mme de Lieven, et j'y ai mené Barante, qui était prié. Les autres convives étaient le duc de Noailles, M. Guizot et M. Bulwer. La conversation a été assez animée et variée, et celle de Barante de beaucoup la plus naturelle et la plus agréable. Quant à des nouvelles, on n'en disait pas.
Paris, 26 septembre 1841.– J'ai été hier, à Champlâtreux avec le baron de Humboldt. Le temps nous a été fort contraire, et a gâté cette course. Je connaissais Champlâtreux d'ancienne date. Les années ne lui ont pas nui, au contraire, car M. Molé l'a noblement arrangé, c'est-à-dire, que ce qui est arrangé est bien, mais il faudrait continuer, et surtout enlever aux grands appartements les tout petits carreaux des croisées, qui nuisent à l'effet général. A tout prendre, c'est une noble demeure, point du tout féodale, mais grave, parlementaire, telle qu'elle convient au descendant de Mathieu Molé, dont, avec raison, le souvenir est partout. Ce qui est très bien, c'est que le portrait de la grand'mère, fille de Samuel Bernard, est dans le grand appartement. C'est avec sa dot que le grand-père de M. Molé a bâti le château actuel. Le parc est beau et largement dessiné. M. et Mme Molé sont de fort gracieux et aimables maîtres de maison.
C'est de Paris à Saint-Denis que les fortifications sont le plus avancées. Cela est, pour le moment, tout simplement affreux, et représente le chaos!
L'événement d'hier (car, dans ce pays, chaque jour a le sien) a été l'acquittement vraiment scandaleux du National42. Il faut convenir que nous avons ici de bien mauvais visages.
Paris, 1er octobre 1841.– J'ai vu hier, chez moi, M. Guizot, auquel je voulais parler en faveur de Charles de Talleyrand, qui, j'espère, ira bientôt rejoindre M. de Sainte-Aulaire à Londres. M. Guizot m'a appris que c'était décidément lord Cowley qui serait ambassadeur à Paris. C'était le choix désiré ici. Sir Robert Peel a refusé à lord Wilton et au duc de Beaufort des charges de Cour, disant qu'il fallait, auprès d'une jeune Reine,
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Les factions révolutionnaires, toujours en effervescence, poursuivaient avec acharnement l'idée de l'anéantissement de la Famille Royale: le 4 septembre 1841, un coup de pistolet fut tiré sur le duc d'Aumale, au moment où il descendait la rue du Faubourg-Saint-Antoine, à la tête de son régiment, le 17e léger; le cheval du lieutenant-colonel Levaillant, qui se tenait à côté du Prince, fut tué par une balle.
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Le recensement fut, à Clermont-Ferrand comme à Toulouse, le prétexte de désordres qui éclatèrent le 13 septembre 1841, et qui continuèrent toute la journée du lendemain: les émeutiers attaquèrent la force armée, de nombreux soldats lurent tués ou blessés; les barrières de la ville furent brûlées, et le combat acharné. On eut à diriger des forces militaires considérables sur la ville, pour faire cesser la résistance et pour rétablir l'ordre.
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Le marquis et la marquise de Castellane y étaient établis, dans leur terre d'Aubijou.
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Le