Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4). Dorothée Dino

Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4) - Dorothée Dino


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au milieu des confessionnaux. On dit que cela paraît fort ridicule; en effet, c'est une précaution un peu humiliante d'une part pour le Clergé et de l'autre bien superflue, car les côtés des confessionnaux sont tous fermés de façon à ce qu'il y ait toujours une séparation très effective entre les pénitentes et les confesseurs, et le milieu étant fermé, le confesseur pouvait, du moins, sans distraction, écouter ses pénitentes. Ce Mgr Affre ne sait qu'imaginer comme ridicule.

       Kœnigsbruck, 6 juillet 1841.– La mort de la Reine de Hanovre32, que je viens d'apprendre, me fait de la peine. Encore une image de Londres effacée pour moi!

      La duchesse d'Albuféra me mande que la princesse de Lieven, dans sa petite maison de campagne, à Beauséjour, où elle passe la journée, mène une vie toute pastorale; elle y a un petit jardin qu'elle arrose avec de petits arrosoirs, qu'on a vu déposer à sa porte, rue Saint-Florentin, par M. Guizot, qui va tous les jours dîner à Beauséjour. Aux obsèques de M. Garnier-Pagès, le député radical, l'affluence du monde a été telle que la tête du convoi était déjà à la Bastille, quand la queue était encore à la porte Saint-Denis. Les discours prononcés sur sa tombe sont tous remplis de maximes révolutionnaires et divines, à la façon des Paroles d'un croyant, de M. de Lamennais. Le rédacteur du journal le Peuple a dit: «Nous te portons nos regrets, mais cela ne suffit pas, nous te portons aussi nos promesses!» Voilà mes rapsodies de Paris.

       Hohlstein, 11 juillet 1841.– J'ai quitté mes nièces avant-hier après le dîner et suis arrivée ici hier dans la matinée33. J'ai traversé toute la Lusace, qui est une belle province; le temps était enfin redevenu beau, mais aussitôt arrivée ici, la pluie a recommencé avec fureur; elle a continué pendant toute la nuit, et en ce moment elle tombe avec rage, ce qui gâte la belle vue que je devrais avoir des fenêtres de ma chambre qui donnent sur les montagnes de Silésie.

      Hohlstein, 13 juillet 1841.– J'ai profité, hier, de quelques éclaircies, pour visiter le parc, le potager, les alentours. Le tout est joli, soigné, parfois pittoresque. J'ai reçu une lettre de Mme d'Albuféra, dont voici quelques passages: «Mme de Flahaut part demain, avec ses filles, pour Ems; elle est bien affectée de ce qui se passe au sujet de son mari. Hier, elle était en larmes, à Beauséjour, chez la princesse de Lieven. Il ne paraît que trop décidé qu'ils n'iront pas à Vienne. On pense assez que ce sera M. Bresson et que le marquis de Dalmatie lui succédera à Berlin; resteraient Turin et Madrid à donner: Mme de Flahaut m'a dit que si on proposait l'un ou l'autre à son mari, elle est d'avis de refuser, mais que c'est à lui de décider; je sais que ses amis l'engageraient à accepter. Il reste à Paris pour attendre la fin de tout ceci; il dissimule ses peines mieux que sa femme, mais on voit qu'il souffre de plus d'une manière. Il n'est pas question de Naples, où on dit que le Roi ne veut pas d'eux.

      «Tout ce qui se passe en Angleterre ajoute à la tristesse de Mme de Flahaut: le triomphe des Tories paraît sûr, et la déchéance des Whigs inévitable. Les Granville sont à la Jonchère34, attendant l'issue de tout cela. Lord Granville ne peut pas remuer la main et a encore un peu de difficulté à s'exprimer, mais son intelligence est intacte.»

       Hohlstein, 21 juillet 1841.– Les journaux donnent la date officielle du jour où les plénipotentiaires des cinq Cours ont signé enfin le protocole collectif relatif à l'Orient35.

      Je m'imagine que cela va faire décider le mouvement dans le Corps diplomatique français.

      J'ai une longue lettre de M. de Chalais, mais il ne me parle que de son intérieur, sans nouvelles, si ce n'est que la princesse de Lieven a écrit une longue lettre au duc de Noailles pour le prier de permettre que, dans son testament, elle le nomme son exécuteur testamentaire, ayant, dit-elle, l'intuition de mourir à Paris. En attendant, elle paraît s'y porter à merveille.

      M. Royer-Collard me mande ceci, en me parlant du discours académique de M. de Sainte-Aulaire: «Il faut bien que je vous dise un mot de la réception de Sainte-Aulaire. Les journaux le flattent; l'auditoire était fort brillant, le discours du Récipiendaire pâle et froid; celui de M. Roger a mieux réussi qu'il ne le méritait, tant pis pour le public.» M. Royer-Collard me dit aussi qu'après avoir été avec sa fille visiter Versailles, il a eu un retour de cette fièvre qui a failli l'emporter, il y a quelques années, à Châteauvieux. Il est bien évident que toute son organisation a reçu alors un choc dont il ne se remettra plus.

      Günthersdorf, 27 juillet 1841.– Je suis partie de Hohlstein avant-hier matin et suis arrivée à deux heures à Sagan. Après le dîner, j'ai été au Château indiquer quelques portraits de famille que je veux faire copier pour Rochecotte; ensuite à l'église, pour y fixer le lieu et la forme du petit monument qu'il est temps enfin d'élever à mon père, dont les restes, au bout de quarante ans, sont enterrés dans cette église, sans que l'on sache, autrement que par la tradition, le lieu où ils sont placés. Hier, j'ai été, de bonne heure, à la petite église pittoresquement située au bout du parc de Sagan, dans le caveau de laquelle les restes de feu ma sœur sont déposés. J'y ai fait dire une messe, à laquelle j'ai assisté, pour le repos de son âme. Elle était toute remplie de belles fleurs et de plantes rares, que le jardinier du Château y avait portées; il y était venu aussi beaucoup de monde. Je suis ensuite partie pour Deutsch-Wartenberg, qui m'appartient, après quoi, je suis venue ici, le soir, avec M. de Wolff, qui reste deux ou trois jours, pour se rencontrer avec M. de Gersdorf que j'attends. A eux deux, ils verront à aplanir la question litigieuse entre mes fils et ma sœur Hohenzollern, relativement aux prétentions allodiales de celle-ci sur la majeure partie de Sagan.

      J'ai trouvé ici quelques améliorations; le jardin est bien tenu et le tout fort propre.

      J'ai reçu plusieurs lettres: une, de Mme de Lieven, en date du 15, me dit que la Reine Victoria fait une tournée de châteaux chez les ministres Whigs, qu'on trouve fort déplacée dans les circonstances actuelles, et qu'on ne serait pas étonné d'un coup d'État de sa part, plutôt que de subir les Tories; qu'il serait possible aussi que, pour éviter sir Robert Peel, elle fît appeler lord Liverpool, ce qui n'aurait aucun succès. On dit que le fils aîné de lady Jersey va épouser la fille de sir Robert Peel; que lady Palmerston est la plus révolutionnaire et la plus enragée d'avoir à quitter le Ministère. Tous ces on-dit sont assez vides et vagues.

      La duchesse de Montmorency dit le mariage de Mlle Vandermarck, fille de l'agent de change, avec le comte de Panis, propriétaire du beau château Borelli, près de Marseille.

      Günthersdorf, 31 juillet 1841.– M. Bresson m'écrit de Berlin, qu'il y attend, du 15 au 20 août, le général de Rumigny que le Roi de Prusse a fait inviter aux manœuvres de Silésie et de Berlin. C'est à la même époque, me dit-il, que M. et Mme Thiers doivent arriver à Berlin.

      Le duc de Noailles m'écrit que lady Clanricarde passera l'hiver prochain à Paris, et qu'on croit lord Cowley appelé à la succession de lord Granville. Il ajoute que la petite Rachel venait d'arriver à Paris; qu'il n'y avait que le maréchal Soult dont le triomphe en Angleterre pût être comparé au sien; qu'il avait reçu de ses lettres, de Londres, dans lesquelles elle montrait tout le ravissement de ses succès, sans que (nouveau prodige!) ils lui tournassent la tête. Je crois celle du Duc moins ferme dans cette circonstance.

      Günthersdorf, 1er août 1841.– Mme de Perponcher me mande que le Roi de Hanovre est au dernier degré du désespoir de la mort de sa femme qu'il paraît avoir admirablement soignée. Il s'était longtemps fait illusion sur son état: quand les médecins lui ont annoncé qu'elle était désespérée, il est resté comme atterré. Cependant, aussitôt qu'il a eu repris ses spirits, il est entré chez la Reine et lui a parlé de ses devoirs religieux, comme un catholique aurait pu le faire. La Reine a reçu cette terrible annonce avec la plus grande fermeté; elle a communié avec le Roi, sa fille, la duchesse d'Anhalt et le pauvre prince Georges. Le désespoir de celui-ci a été déchirant: ne pouvant voir sa mère, il ne pouvait se persuader qu'elle fût morte, et a demandé qu'on lui fit toucher ses restes; dans le moment où le père a mis la


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<p>32</p>

La Reine de Hanovre était la duchesse de Cumberland, née princesse de Mecklembourg-Strélitz, morte le 29 juin, après trois mois d'une maladie consomptive.

<p>33</p>

Hohlstein était la propriété de la princesse de Hohenzollern-Hechingen, née princesse de Courlande.

<p>34</p>

La Jonchère était la propriété de M. Thiers à la Celle-Saint-Cloud.

<p>35</p>

Ce protocole de clôture de la question égyptienne fut signé le 13 juillet 1841, par l'Angleterre, l'Autriche, la Prusse, la Russie et la Turquie. La convention des Détroits, signée en même temps, joignit la signature du plénipotentiaire français aux cinq autres.