Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4). Dorothée Dino

Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4) - Dorothée Dino


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Aucune trace de police qui serait parfaitement inutile.

      Vienne, 30 juin 1841.– Je quitte Vienne ce soir. La chaleur est toujours excessive, et je crois qu'elle va rendre mon voyage bien pénible. Je n'expédierai cette lettre que de Dresde; pour la correspondance, il vaut mieux être hors des États autrichiens. Il m'est égal qu'on trouve dans la mienne l'expression de mon affection, mais non pas mes impressions et mes jugements; aussi, j'espère avoir été très prudente sous ce rapport pendant mon séjour ici.

      Tabor, 1er juillet 1841.– J'ai quitté Vienne hier à sept heures du soir. J'avais eu, dans l'après-midi, la visite du prince de Metternich: il a été aimable, confiant, cordial; il n'est pas du tout vrai qu'il soit baissé; il a peut-être un peu plus de lenteur et de diffusion dans le débit, mais aucun trouble dans les idées; le jugement est net et ferme; il conserve de la modération dans l'action et de la douceur dans l'humeur; enfin, il est bien lui-même. Il m'a fort engagée à prendre mon chemin de retour par le Johannisberg, où il ira, de Kœnigswart, au mois d'août, pour y rester jusqu'en septembre. Sa femme m'y a fort engagée aussi, et a été extrêmement gracieuse pour moi. J'aime fort sa beauté, qu'un mauvais son de voix, des façons parfois communes, un langage assez rude, gâtent souvent. Elle est généralement détestée à Vienne; je m'en étonne, car je crois le fond très bon, quoique inculte. Plusieurs personnes sont venues me dire adieu au dernier moment, très obligeamment. Mes sœurs, Schulenbourg, le comte Maurice Esterhazy, le plus petit et le plus spirituel de tous les Esterhazy, m'ont reconduite à deux lieues de Vienne, où ma voiture de voyage m'attendait. Le comte Esterhazy est le même que celui qui était à Paris; il a, depuis, été attaché à la mission d'Autriche à Berlin, où je l'ai vu dernièrement et d'où il est arrivé, il y a quelques jours, à Vienne, se rendant en congé en Italie, où sa mère est assez malade en ce moment. Il est fort de la société de mes sœurs, assez malicieux, comme tous les très petits hommes, mais fin causeur et beaucoup plus civilisé et de bon goût qu'on ne l'est en général à Vienne, surtout chez les hommes, qui y sont, au fond, très ignorants. En tout, je préfère le ton de Berlin à celui de Vienne. A Vienne, on est plus riche et plus grand seigneur, très naturel, trop naturel! A Berlin, je conviens qu'il y a un peu de prétention et de recherche, mais bien plus de culture et d'esprit. A Vienne, la vie est extrêmement libre et facile; on y fait tout ce qui plaît, sans que cela paraisse singulier; mais, sans s'étonner des autres, on n'en médit pas moins très couramment du prochain, et je dirais volontiers qu'il y règne une fausse bonhomie très dangereuse; à Berlin, on est plus solennel, on observe beaucoup plus un certain décorum, un peu raide, je l'avoue, mais aussi on y a plus de mesure dans le langage, et, avec moins de motifs de médisance, une bienveillance plus réelle. Personnellement, je ne puis assez me louer de l'hospitalité de ces deux villes, et je reste reconnaissante envers l'une et l'autre. Ce qui m'a fort déplu, à Vienne, c'est cette façon qu'a chacun, homme ou femme, de s'appeler par les noms de baptême. Pour peu qu'on se connaisse un peu, et qu'on soit de la même coterie, il n'est plus question du nom de famille, et c'est assez mal de s'exprimer autrement. Les femmes s'embrassent prodigieusement entre elles, et habituellement sur la bouche, ce qui me semble horrible; les hommes prennent et baisent les mains des femmes constamment; aussi, au premier aspect, tout le monde a l'air, au moins, de frères et sœurs. Vingt personnes, en parlant de moi ou à moi, disaient: Dorothée; les moins familiers disaient duchesse Dorothée; les très formalistes chère Duchesse; personne ni Madame, ni madame la Duchesse; et pour mes mains, je suis étonnée qu'il m'en reste; mes joues, que je tâchais de substituer à mes lèvres, ont été aussi vraiment martelées. La galanterie des femmes est évidente à Vienne; aucune ne cherche à dissimuler, ce qui n'empêche pas les églises d'être pleines et les confessionnaux assiégés, mais personne n'a l'air recueilli, et la dévotion sincère et effective de la Famille Impériale n'a aucune influence sur la société, dont toute l'indépendance est concentrée dans une fronderie habituelle contre la Cour.

      Dresde, 3 juillet 1841.– Me voici revenue où j'étais il y a un mois. Je suis venue de Tabor sans m'arrêter autrement que pour dîner hier à Prague et pour déjeuner ce matin à Téplitz. Je ne me lasse pas d'admirer le pays qui est entre Téplitz et Dresde. C'est la belle Saxe, riche et gracieuse, se mariant agréablement à la forte et sauvage Bohême; c'est la seule partie pittoresque de la route entre Vienne et Dresde, si j'en excepte Prague et ses environs rapprochés.

      Aux portes de Téplitz, j'ai vu descendre, du haut d'une montagne surmontée d'une chapelle, une procession de pèlerins, des rosaires à la main, et chantant des cantiques: c'était touchant, et m'a donné envie de monter à mon tour faire mes vœux, mais un orage qui commençait à gronder m'a forcée de continuer sans arrêt.

      Je lis l'Histoire de la vie, des écrits et de la doctrine de Luther, par M. Audin. C'est ce que j'ai lu à ce sujet de plus érudit, de plus impartial, de plus intéressant et de plus catholique. J'ai fini, en quittant Vienne, la Vie de saint Dominique, par l'abbé Lacordaire. C'est écrit à l'effet et ne me plaît que médiocrement.

      J'entends dire ici, dans l'auberge, qu'on y attend M. Thiers depuis trois jours; j'espère qu'il n'y arrivera que demain après mon départ. Je compte me rendre ce soir même à Kœnigsbruck chez mes nièces et y rester quelques jours.

      Kœnigsbruck, 5 juillet 1841.– Je suis arrivée hier ici à cinq heures. J'avais eu, à Dresde, la visite du duc Bernard de Saxe-Weimar, qui logeait dans la même auberge que moi. Il venait de Berlin, où il avait passé quinze jours chez sa nièce la Princesse de Prusse.

      La même auberge m'a fait aussi revoir la comtesse Strogonoff, précédemment comtesse d'Ega, que j'ai vue l'année dernière à Bade et qui, là, m'avait prise fort à gré. Elle m'a raconté qu'aussitôt après mon départ de Bade, jusqu'au moment où Mme de Nesselrode était elle-même partie pour Paris, celle-ci passait toutes ses soirées à la table publique du jeu de Benacet, et, en regard du vieux électeur de Hesse, perdant ou gagnant dans la soirée, avec le même sang-froid imperturbable, les vingt louis, taux qu'elle s'était fixé. Quelle étrange personne!

      A la messe, à Dresde, j'ai revu la veuve du Prince Maximilien de Saxe, revenue de Rome, où elle a épousé son chambellan, un comte Rossi, cousin du mari de Mlle Sontag. Elle est obligée de revenir de temps en temps à Dresde, à cause de son douaire; son mari, toujours en guise de chambellan, l'accompagne. Elle n'est, ce me semble, ni jeune, ni jolie, ni bien tournée, ni élégante; lui est grand, avec une barbe jeune France, et les certaines allures spéciales d'un mari de Princesse.

      J'ai trouvé ici le comte de Hohenthal, sa femme et Fanny, mes deux nièces, fort affectueux dans leur accueil, tout pleins des souvenirs rapportés de leur voyage en Italie. Il fait très beau temps; le silence, le calme et le repos de la campagne me font plaisir. J'ai aussi trouvé des lettres de Paris. M. Molé m'écrit quatre pages, dans lesquelles il n'y a rien ce me semble, si ce n'est que Mme de Lieven règne et gouverne à Paris, pour ne rien dire de plus.

      La duchesse d'Albuféra me mande que la princesse de Lieven donne des petites soirées musicales, pour faire entendre sa nièce, la comtesse Annette Apponyi. La Princesse reprend tous les goûts de la jeunesse et du bonheur. Il serait heureux que le don de M. Guizot allât jusqu'à faire reverdir et refleurir les destinées de la France.

      La duchesse de Montmorency me mande que la vicomtesse de Chateaubriand est allée faire son service près de Mme la Duchesse de Berry. Se serait-on douté qu'elle fût Dame? Elle l'a demandé il y a longtemps. Elle a emmené avec elle la nourrice de M. le Duc de Bordeaux, celle qui n'a pu le nourrir que trois jours. Quel singulier voyage! On n'y comprend rien.

      Le duc de Noailles m'écrit qu'il se prépare, en face des événements qui s'accomplissent en Orient par le soulèvement successif des provinces, un mouvement à Paris, qui pourrait être analogue à celui qui a eu lieu à l'occasion de la Grèce, il y a quelques années. On veut former un Comité pour le soulagement (c'est-à-dire pour le soulèvement) des populations chrétiennes de l'Orient; ce Comité est composé d'hommes de la gauche et d'hommes du centre; on propose aux légitimistes d'en faire partie, et on leur offre la présidence, qui serait dévolue à lui, duc de Noailles. Cette question a été compliquée par le parti royaliste, qui


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