Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4 - (C suite). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4 - (C suite) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc


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est basé sur le principe d'élasticité, remplaçant le principe de stabilité absolue adopté par les Romains. La voûte romaine, sauf de rares exceptions, est faite en blocages; si elle est renforcée par des arcs en brique, ces arcs sont noyés dans l'épaisseur même du blocage et font corps avec lui. Les constructeurs romans, au lieu de maçonner la voûte en blocage, la construisirent en moellons bruts noyés dans le mortier, mais posés comme des claveaux, ou en moellons taillés et formant une maçonnerie de petit appareil; déjà ces voûtes, si un mouvement venait à se déclarer dans les points d'appui, présentaient une certaine élasticité, par suite de la réunion des claveaux, ne se brisaient pas comme une croûte homogène, et suivaient le mouvement des piles. Mais cette première modification ne rassurait pas entièrement les constructeurs romans; ils établirent sous ces voûtes, de distance en distance, au droit des points d'appui les plus résistants, des arcs doubleaux en pierres appareillées, cintrés sous l'extrados des voûtes. Ces arcs doubleaux, sortes de cintres permanents élastiques, comme tout arc composé d'une certaine quantité de claveaux, suivaient les mouvements des piles, se prêtaient à leur tassement, à leur écartement, et maintenaient ainsi, comme l'aurait fait un cintre en bois, les concavités en maçonneries bâties au-dessus d'eux.

      Les constructeurs romans avaient pris aux Romains la voûte d'arête sur plan carré et engendrée par la pénétration de deux demi-cylindres de diamètres égaux. Mais lorsqu'ils voulurent élever des voûtes sur des piles posées aux angles de parallélogrammes, la voûte d'arête romaine ne pouvait être appliquée; ils adoptèrent, dans ce cas, le berceau ou demi-cylindre continu sans pénétration, et, au droit des piles, ils renforcèrent ces berceaux par des arcs doubleaux en pierres appareillées sur lesquels ils comptaient pour éviter les fâcheux effets d'une rupture longitudinale dans ces berceaux, par suite d'un mouvement des piles. Encore une fois, et nous insistons sur ce point, c'était un cintrage permanent. Cependant les obstacles, les difficultés semblaient naître à mesure que les constructeurs avaient cru trouver la solution du problème. Les effets des poussées des voûtes si parfaitement connus des Romains étaient à peu près ignorés des constructeurs romans. Le premier, parmi eux, qui eut l'idée de bander un berceau plein cintre sur deux murs parallèles, crut certainement avoir évité à tout jamais les inconvénients attachés aux charpentes apparentes, et combiné une construction à la fois solide, durable et d'un aspect monumental. Son illusion ne dut pas être de longue durée, car, les cintres et couchis enlevés, les murs se déversèrent en dehors, et la voûte tomba entre eux. Il fallut donc trouver des moyens propres à prévenir de pareils sinistres. On renforça d'abord les murs par des contre-forts extérieurs, par des piles saillantes à l'intérieur; puis, au droit de ces contre-forts et de ces piles, on banda des arcs doubleaux sous les berceaux. Noyant des pièces de bois longitudinales dans l'épaisseur des murs d'une pile à l'autre, à la naissance des berceaux, on crut ainsi arrêter leur poussée entre ces piles. Ce n'était là toutefois qu'un palliatif; si quelques édifices ainsi voûtés résistèrent à la poussée des berceaux, un grand nombre s'écroulèrent quelque temps après leur construction.

      Mais il est nécessaire que nos lecteurs prennent une idée exacte de ce genre de construction. Nous en donnons (3) l'ensemble et les détails. En A sont les piles intérieures portant les arcs doubleaux E, en B les contre-forts destinés à maintenir leur poussée, en C les longrines en bois retenant le berceau D à sa naissance. Afin de reporter la poussée des arcs doubleaux aussi bas que possible, les constructeurs donnaient une forte saillie aux chapiteaux G. Si des voûtes ainsi conçues étaient bandées sur des piles assez solidement construites en matériaux bien liés ou très-lourds, si les murs étaient épais et pleins du bas en haut, si les contre-forts avaient une saillie suffisante; et si les arcs doubleaux et par conséquent les piles n'étaient pas trop espacés, ces berceaux, renforcés de sous-arcs, pouvaient être maintenus. Mais si, comme il arrivait dans les nefs bordées de collatéraux, les murs portaient sur des archivoltes et des piles isolées; si ces piles isolées, que l'on essayait toujours de faire aussi peu épaisses que possible pour ne pas gêner la circulation et la vue, ne présentaient pas une assiette suffisante pour recevoir des contre-forts extérieurs saillants au-dessus des voûtes des bas-côtés; alors le berceau supérieur, malgré ses arcs doubleaux, ou avec ses arcs doubleaux, déversait peu à peu les murs et les piles en dehors, et toute la construction s'écroulait. Vers la fin du XIe siècle déjà, beaucoup d'églises et de salles ainsi voûtées, bâties depuis un demi-siècle, tombaient en ruine, et il fallait les reconstruire. Ces accidents étaient un enseignement pour les constructeurs: ils leur donnaient l'occasion d'observer certains phénomènes de statique dont ils n'avaient pas la moindre idée; ils leur faisaient reconnaître que les longrines de bois noyées dans les maçonneries, dépourvues d'air, étaient promptement pourries, et que le vide qu'elles laissaient ne faisait que hâter la destruction des édifices; que les murs ayant commencé à se déverser, la poussée des voûtes croissait en raison directe de leur écartement; qu'enfin, si les voûtes en berceau étaient posées sur des nefs avec collatéraux, les désordres occasionnés par la poussée des voûtes hautes étaient tels qu'il n'était pas possible de maintenir les piles et les murs dans un plan vertical.

      Cependant le moment n'était pas encore venu où les constructeurs allaient résoudre exactement le problème de la stabilité des voûtes posées sur des murs parallèles; ils devaient encore faire des tentatives pour éviter les effets de la poussée sur les murs latéraux. Les constructeurs romans savaient que les voûtes d'arêtes présentaient cet avantage de n'exercer des pressions et des poussées que sur les quatre points d'appui recevant leurs sommiers. Reconnaissant que les berceaux exerçaient une poussée continue sur les têtes des murs, ils cherchèrent à les supprimer et à les remplacer, même dans les nefs composées de travées sur plan barlong, par des voûtes d'arêtes, afin de reporter toute leur charge et leur poussée sur les piles qu'ils espéraient rendre stables. Mais, ainsi que nous l'avons dit plus haut, la voûte d'arête romaine ne peut se bâtir que sur un plan carré: il fallait donc trouver une nouvelle combinaison de voûtes d'arêtes se prêtant aux plans parallélogrammes. Géométriquement, ces voûtes ne pouvaient se tracer, et ce n'était que par des tâtonnements qu'on arrivait à les construire.

      Déjà, pendant le XIe siècle, les constructeurs avaient composé des voûtes qui tiennent à la fois de la coupole et de la voûte d'arête, en ce que ces voûtes, au lieu d'être engendrées par deux demi-cylindres se pénétrant à angle droit, sont formées par quatre arcs plein cintre réunissant les quatre piles et deux arcs diagonaux, qui sont eux-mêmes des pleins cintres, et par conséquent présentent un rayon plus grand que ceux des quatre premiers. Quand on connaît les moyens employés pour construire une voûte d'arête, on comprend facilement quel avait été le motif de cette modification à la voûte d'arête romaine. Pour faire une voûte, il faut des cintres de bois sur lesquels on pose des couchis. Or, pour faire une voûte d'arête romaine, il faut tailler quatre cintres sur un demi-cercle et deux cintres diagonaux dont la courbe est donnée par la rencontre des demi-cylindres; la courbe de ces cintres diagonaux n'est point un demi-cercle, mais une ellipse que l'on obtient au moyen d'ordonnées, ainsi que l'indique la fig. 4.

      Soit A B le diamètre des cylindres et B C la trace horizontale du plan sur lequel se rencontrent les deux cylindres A B, A C. Opérant sur un quart, et divisant le demi-cercle rabattu en un certain nombre de parties égales D E, E F, F G, G B, on abaisse des perpendiculaires de ces points diviseurs D E F G sur le diamètre A B, en les prolongeant jusqu'à leur rencontre avec la diagonale B C. On obtient ainsi sur cette diagonale des points diviseurs d e f g; de ces points, élevant des perpendiculaires sur la diagonale B C et prenant sur ces perpendiculaires des longueurs d d' égales à D'D, e e', égales à E'E, etc., on pose des points d'e'f'g' par lesquels devra passer la courbe de rencontre des deux demi-cylindres. Cette courbe ayant une flèche d d' égale au rayon D'D, et un diamètre B C plus grand que le diamètre A B, ne peut être un demi-cercle. Bien que fort simple, ce tracé géométrique parut trop compliqué aux constructeurs romans. Ayant donc tracé un demi-cercle sur le diamètre A B pour faire tailler les cintres en charpente des quatre arcs générateurs


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