Tableau du climat et du sol des États-Unis d'Amérique. Constantin-François Volney

Tableau du climat et du sol des États-Unis d'Amérique - Constantin-François Volney


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notre France, que le pays n’est qu’une vaste forêt.

      Si l’on pouvait rassembler sous un seul coup d’œil l’ensemble de ce pays, l’on verrait que cette forêt est divisée en trois grands cantons distincts, à raison des genres, des espèces, et de l’aspect des arbres qui la composent: les espèces de ces arbres, selon la remarque des Américains, sont indicatives de la nature et des qualités du sol qui les produit.

      Le premier de ces cantons, que j’appelle forêt du sud, embrasse la partie maritime de la Virginie, des deux Carolines, de la Géorgie, des Florides, et s’étend généralement depuis la baie de Chesapeak jusqu’à la rivière de Sainte-Marie, sur un terrain de gravier et de sable, large depuis 30 jusqu’à 50 lieues: tout cet espace, peuplé de pins, de sapins, de mélèses, de cèdres, de cyprès et autres arbres résineux, offre à l’œil une verdure constante, mais qui n’en serait pas moins stérile, si les banquettes des fleuves et les terres d’alluvion et de marécages n’y traçaient des veines que l’agriculture rend très-productives.

      Le second canton, ou forêt du milieu, comprend la partie montueuse des Carolines et de la Virginie, toute la Pensylvanie, le sud du New-York, tout le Kentucky et le nord de l’Ohio, jusqu’à la rivière Wabash. Toute cette étendue est peuplée de diverses espèces de chênes, de hêtres, d’érables, de noyers, sycomores, acacias, mûriers, pruniers, frênes, bouleaux, sassafras et de peupliers, sur la côte atlantique; et, en outre, dans le pays d’ouest, de cerisiers, de marroniers d’Inde, de papâs, d’arbres concombres, de sumacs, etc., toutes espèces qui indiquent un sol productif, base véritable de la richesse présente et future de cette partie des États-Unis: cependant ces espèces forestières n’excluent jamais entièrement les résineux qui se montrent épars dans toutes les campagnes, et par massifs sur les montagnes, même d’un ordre inférieur, tel que le chaînon de Virginie appelé Sud-ouest, où par un cas singulier ils dérogent à leur signe habituel de stérilité; car le sol rouge foncé et gras de ce chaînon est très-fertile.

      Le troisième canton ou forêt du nord, encore composé de pins, sapins, mélèses, cèdres, cyprès, etc., part des confins du précédent, couvre le nord du New-York, l’intérieur du Connecticut et de Massachusets, donne son nom à l’état de Vermont17, et ne laissant aux arbres forestiers que les rives des fleuves et leurs alluvions, il s’avance par le Canada vers le nord, où il fait bientôt place au genévrier, et aux maigres arbustes clair-semés dans les déserts du cercle polaire.

      Telle est en résumé la physionomie générale du territoire des États-Unis: une forêt continentale presque universelle; cinq grands lacs au nord; à l’ouest, de vastes prairies; dans le centre, une chaîne de montagnes dont les sillons courent parallèlement au rivage de la mer, à une distance de 20 à 50 lieues, versant à l’est et à l’ouest des fleuves d’un cours plus long, d’un lit plus large, d’un volume d’eau plus considérable que dans notre Europe; la plupart de ces fleuves ayant des cascades ou chutes depuis 20 jusqu’à 140 pieds de hauteur; des embouchures spacieuses comme des golfes; dans les plages du sud, des marécages continus pendant plus de 100 lieues; dans les parties du nord, des neiges pendant 4 et 5 mois de l’année; sur une côte de 300 lieues, 10 à 12 villes toutes construites en briques ou en planches peintes de diverses couleurs, contenant depuis 10 jusqu’à 60,000 ames; autour de ces villes, des fermes bâties de troncs d’arbres (log houses), environnées de quelques champs de blé, de tabac ou de maïs, couverts encore la plupart des troncs d’arbres debout brûlés ou écorcés: ces champs debout, c’est-à-dire non gisants, séparés par des barrières de branches d’arbres (fences), au lieu de haies; ces maisons et ces champs encaissés, pour ainsi dire, dans les massifs de la forêt, qui les englobe; diminuant de nombre et d’étendue à mesure qu’ils s’y avancent, et finissant par n’y paraître du haut de quelques sommets que de petits carrés d’échiquier bruns ou jaunâtres, inscrits dans un fond de verdure: ajoutez un ciel capricieux et bourru, un air tour-à-tour très-humide ou très-sec, très-brumeux ou très-serein, très-chaud ou très-froid, si variable, qu’un même jour offrira les frimas de Norwége, le soleil d’Afrique, les quatre saisons de l’année, et vous aurez le tableau physique et sommaire des États-Unis.

      CHAPITRE III. Configuration générale

      POUR bien concevoir la construction générale de ce vaste pays, il faut prendre une connaissance plus détaillée de la chaîne des montagnes qui en est le trait dominant. Cette chaîne part du Canada inférieur et de l’embouchure du Saint-Laurent sur sa rive méridionale, où ses caps sont appelés par les marins monts de Notre-Dame et de la Magdeleine: en remontant le fleuve, elle s’en écarte peu à peu, et séparant les eaux de son bassin vers nord-ouest, d’avec les eaux du Nouveau-Brunswick, de Nova-Scotia et du district de Maine18 vers sud-est, elle tracé de ce côté la frontière des États-Unis, jusqu’au Newhampshire: là elle pénètre par une ligne presque sud dans l’intérieur du Vermont, sous le nom de Green-mountains, divisant le bassin de la rivière Connecticut d’avec celui des lacs Champlain et Georges; et après avoir jeté de ce côté des rameaux qui repoussent à l’ouest et au nord-ouest les sources de l’Hudson, elle vient traverser ce fleuve à West-point, par un chaînon très scabreux, qui a mérité le nom de High-lands (Terres-hautes): ici l’on peut dire que la chaîne subit une double interruption, soit parce qu’elle est coupée par des eaux, soit parce qu’ayant jusque-là été de granit, son prolongement ultérieur va être de grès. La tête de ce prolongement remonte plus haut sur la rive ouest de l’Hudson, au groupe de Cats-Kill, et dans une masse de montagnes qui donnent les sources de la Delaware. De ce local part un faisceau de sillons montueux qui, après s’être incorporé la chaîne précédente, s’avance du nord-est au sud-ouest, à travers les États de New-York, de Pensylvanie, de Maryland et de Virginie, s’écartant de la mer à mesure qu’il marche au midi: par un cas singulier en géographie, plusieurs de ces sillons coupent à l’angle droit le cours des plus grands fleuves de ces états sur la côte atlantique, et ils ne leur laissent de passage que par des brèches, qui attestent que la violence seule des eaux a pu rompre l’obstacle de leur digue: arrivés à la frontière de la Virginie et de la Caroline-nord, ces sillons, jusqu’alors parallèles, se réunissent en un nœud que j’appelle l’arc de l’Alleghany, parce que ce chaînon principal y enveloppe par une courbe tous ses collatéraux de l’est: un peu plus loin au sud, encore dans la Caroline-nord, un second nœud réunit à l’Alleghany tous ses collatéraux de l’ouest19, et forme un point culminant de têtes de fleuves, d’où partent, vers le nord, le grand Kanhawa; vers l’ouest, le Holstein, branche nord de la Tennessee; et vers l’est, les rivières Pédee et Santee, et toutes les autres des deux Carolines. De ce nœud part encore vers l’ouest une branche de montagnes qui, par une première bifurcation au nord-ouest, fournit les nombreux rameaux de Kentucky, et par une seconde, droit à l’ouest, s’avance sous le nom de montagnes Cumberland, à travers l’état de Tennessee, où elle divise nord et sud, le bassin des rivières Cumberland et Tennessee, jusqu’à leur embouchure dans l’Ohio; tandis que la chaîne propre d’Alleghany, restée presque seule, continue sa route au sud-ouest, et achève de limiter les deux Carolines et la Géorgie, où elle reçoit les noms divers de montagne du Chêne-Blanc20, du Grand-Fer, de montagne Chauve, et même de montagne Bleue. Parvenue à l’angle de la Géorgie, elle change de direction et encore de noms, et sous ceux d’Apalaches et de Cherokees, se portant droit à l’ouest jusqu’au Mississipi, elle devient la ligne de partage entre le bassin de la Tennessee au nord, et les nombreuses rivières qui versent au sud dans le golfe du Mexique, par les Florides. La longue continuité de cette chaîne l’avait fait appeler par les sauvages du nord montagne sans fin: les Espagnols et les Français, qui la connurent d’abord par la Floride, appliquèrent à toute son étendue le nom d’Apalache, qui était celui d’une tribu sauvage conservé encore dans une rivière considérable


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<p>17</p>

Altération du mot français Vert-Mont, que les habitants ont adopté par penchant pour les Français de Canada, et qui est la traduction de l’appellation anglaise, Green-Mountain.

<p>18</p>

Maine n’est encore qu’un district de Massachusets; mais il ne peut tarder d’être constitué en état.

<p>19</p>

Les sillons du Kentucky.

<p>20</p>

White-oak, Great-iron, Bald-mountain, Blue-mountain.