Tableau du climat et du sol des États-Unis d'Amérique. Constantin-François Volney
les vignes sauvages, grimpant à 20 et 30 pieds, les frênes, les érables à sucre, les acacias, les sycomores, marronniers d’Inde, arbres-à-gomme, pins, cèdres, sumacs, pruniers sauvages, pruniers-persimons, et cerisiers sauvages, dont quelques-uns ont jusqu’à un mètre 2 tiers de diamètre.
Cette nature meuble et perméable du terrain y occasione aux ruisseaux et aux rivières une particularité que j’ai vue en quelques lieux de la Syrie, même de la France, mais nulle part dans une proportion aussi étendue; car, dans tout le Kentucky et le Tennessee, l’on ne cesse de rencontrer des entonnoirs du diamètre depuis 50 jusqu’à 500 pas sur une profondeur de 15 à 50, ayant dans leur fond un ou plusieurs trous ou crevasses dans lesquels s’engouffrent, non-seulement les eaux pluviales voisines, mais encore des ruisseaux et des rivières déja considérables. Ils disparaissent tout à coup au sein des broussailles, devant le voyageur stupéfait, et achèvent leur cours dans des lits souterrains. En général, les ruisseaux et les rivières, dans leur cours visible, y déchirent et y creusent la terre perpendiculairement jusqu’à un lit de pierres calcaires qui lui sert de noyau, ou plutôt de plancher presque horizontal. De ce mécanisme il résulte,
1º Que presque tous les ruisseaux et rivières du Kentucky et du Tennessee sont encaissés comme dans des fossés, entre deux rives à pic, hautes depuis 50 pieds, comme celle de l’Ohio, jusqu’à 400 pieds, comme l’écore de la rivière Kentucki à Dixon’s-point;
2º Que le pays se trouve raboteux et sillonné de ravines profondes; d’ailleurs, traversé des chaînons latéraux des Alleghanys, aussi brusques dans leur pente, qu’ils sont étroits sur leurs sommets25;
3º Que le terrain ne pouvant être arrosé par irrigation, les habitants de Kentucky et un peu ceux du Tennessee se plaignent déja d’une aridité qui s’accroît à mesure que le pays se déboise, et qui dissipe, d’une manière fâcheuse, les illusions des spéculateurs de terre et les promesses des voyageurs romanciers.
Je dois citer ici un fait physique singulier, bien constaté en Kentucky, savoir, que beaucoup de sources y sont devenues plus abondantes depuis que les bois des environs ont été coupés; j’ai discuté sur les lieux avec des témoins dignes de foi, les causes de ce phénomène: il nous a paru que jadis les feuilles de la forêt accumulées sur la terre, y formaient un lit épais et compacte, comme on le voit encore là où cette forêt subsiste; et que ce lit retenant les eaux pluviales à sa surface, leur donnait, surtout en été, le temps de s’évaporer avant qu’elles pussent pénétrer dans l’intérieur: aujourd’hui que ce lit de feuilles n’existe plus, et que le sein de la terre est ouvert par la culture, les pluies qui ont la faculté de l’imbiber y établissent des réservoirs plus durables et plus abondants; mais ce cas particulier ne détruit point la doctrine plus générale et plus importante que la coupe des forêts, particulièrement sur les hauteurs, diminue généralement la masse des pluies et des fontaines qui en résultent, en empêchant que les nuages ne se fixent et ne se distillent sur les forêts: le Kentucky lui-même en offre la preuve ainsi que tous les autres États de l’Amérique, puisque l’on y cite déja une multitude de ruisseaux qui ne tarissaient pas il y a 15 ans, et qui maintenant manquent d’eau chaque été. D’autres ont totalement disparu; et plusieurs moulins, dans le New-Jersey, ont été abandonnés par cette cause26.
Un autre phénomène remarqué en Amérique, trouve peut-être son explication dans le fait que je viens de citer. L’on ne traverse point de forêt dans ce continent sans rencontrer des arbres renversés; et l’on observe que la racine n’est qu’un chevelu superficiel, en forme de champignon, à peine de 18 pouces de profondeur pour des arbres de 70 pieds. Si ces racines ne pivotent point, n’est-ce pas afin de profiter de l’humidité superficielle qui les couvre et du terreau gras résultant des feuilles pourries dans lequel elles trouvent une substance bien préférable aux couches de l’intérieur restées sèches, et par suite, plus dures à pénétrer? Et maintenant, que par le laps des siècles ces végétaux ont contracté cette habitude, il faudra des siècles pour la changer.
Le troisième district a pour limites, au sud, le cours de l’Ohio; au nord, les lacs du Saint-Laurent, et toujours à l’est et à l’ouest l’Alleghany et le Mississipi. Cet espace, appelé par les Américains North-west-territory, ne compte encore aucun État constitué, faute de population suffisante:27 sa surface est presque plane ou commodément ondulée: à peine y citerait-on une montagne ou un sillon de 100 toises d’élévation, et dans tout son ouest, depuis la rivière Wabash jusqu’au Mississipi, ce ne sont que vastes et plates prairies. Néanmoins c’est d’un tel local que coulent en sens opposés une foule de rivières considérables qui, les unes vont au golfe du Mexique par le Mississipi, les autres à la mer du Nord par le Saint-Laurent, et d’autres encore à l’Atlantique par le Mohawk, l’Hudson et la Susquehannah: d’où il résulte que les monts Alleghanys, de qui ces derniers fleuves tirent leurs sources, ne sont en quelque sorte que la rampe de ce plateau qui les égale presque en niveau. Sur ce vaste espace les pentes opposées sont si douces, que les rivières, hésitant dans leurs cours, s’y égarent en sinuosités et en marécages; et que dans les crues de l’hiver il y a jonction d’eaux navigables en canot, entre les sources de la Wabash qui va à l’Ohio, du Miami, qui va au lac Erié, de la rivière Huron, qui tombe à l’entrée de ce même lac, de la grande-rivière qui tombe dans le lac Michigan, et ainsi de plusieurs autres.
Par contraste avec le Kentucky, les rivières de North-west-territory, coulent à fleur de terre, à raison non-seulement de ce niveau plat, mais encore de la qualité argileuse du sol, qui empêche l’eau d’y pénétrer: circonstance heureuse pour le commerce et l’agriculture de cette contrée: aussi l’opinion commence-t-elle à préférer ce pays au Kentucky; je présume qu’un jour il sera la Flandre des États-Unis pour le blé et les pâturages: j’ai vu, en 1798, au bord du grand Sioto, un champ de maïs, à la vérité en première année de culture, où cette plante avait généralement 4 mètres de hauteur, et des épis en proportion: à cette même époque, à l’exception de quelques habitations éparses, ce n’était au-dessus du Moskingom qu’un désert de forêts, de marais, et de fièvres: j’ai traversé 40 lieues de cette forêt depuis Louisville, près des rapides de l’Ohio, jusqu’au poste Vincennes sur la Wabash, sans rencontrer une cabane, et, ce qui m’a étonné, sans entendre le chant d’un oiseau (quoiqu’en juillet). Elle finit un peu avant la Wabash; et de là au Mississipi, pendant 80 milles, l’on ne trouve que les prairies, dont j’ai déja parlé comme de steps tartares; et là réellement commence une Tartarie américaine, qui a tous les caractères de la Tartarie asiatique; d’abord chaude dans sa partie méridionale, elle devient de plus en plus froide et stérile vers le nord: dès le 48e de latitude, elle est glacée dix mois de l’année, dépourvue de hauts bois, noyée de marécages, traversée de fleuves qui, dans une espace de 1000 lieues, n’ont pas 15 lieues d’interruptions ou de portages: elle offre à tous ces titres les caractères de la Tartarie; il ne manquait que d’en voir les indigènes devenir cavaliers; et cette circonstance vient d’avoir lieu, depuis 25 à 30 ans, par les vols que les sauvages Nihiçaoué ou Nadouessis28, jusqu’alors piétons, ont fait des chevaux espagnols errants dans les savanes du nord du Mexique. Avant 50 ans ces nouveaux Tartares pourront devenir des voisins incommodes à la frontière des États-Unis: et le système colonial des bords du Missouri et du Mississipi éprouvera des difficultés que n’ont pas connues les pays de l’intérieur de la confédération.
§ III
La troisième grande lisière parallèle est cette ligne de terrain montueux, dont j’ai déja parlé, laquelle s’étend de l’embouchure de Saint-Laurent aux confins de la Géorgie, partage les eaux de l’est et de l’ouest, et forme comme une haute terrasse ou rempart entre les deux contrées Atlantique et Mississipi. On peut estimer à environ 400 lieues la longueur de cette bande, sur une largeur très-variable,
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C’est néanmoins sur ces sommets que les sauvages, imités en cela par les Américains, avaient établi leurs sentiers ou routes: l’exemple le plus pittoresque que j’en aie trouvé, est la route tracée sur la
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Il faut aussi remarquer que jadis les lits encombrés d’arbres renversés, et de roseaux, gardaient mieux les eaux, et qu’aujourd’hui nettoyés, ils les laissent écouler trop vite.
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Il faut 60,000 ames.
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Ces