Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour. Louis Constant Wairy

Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour - Louis Constant Wairy


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de l'empereur à ses anciennes habitudes, son cordonnier, dans les premiers temps de l'empire, était le même qui l'avait chaussé lorsqu'il était à l'école militaire. Depuis ce temps il le chaussait toujours d'après ses premières mesures, sans lui en prendre de nouvelles; aussi ses souliers comme ses bottes étaient toujours mal faits et sans grâce. Long-temps il les porta pointus; je gagnai qu'ils fussent faits en bec de canne, comme c'était la mode. Ses anciennes mesures se trouvèrent à la fin trop petites, et j'obtins de Sa Majesté qu'elle s'en ferait prendre d'autres. Je courus aussitôt chez son cordonnier: c'était un grand simple qui avait succédé à son père. Il n'avait jamais vu l'empereur, quoiqu'il travaillât pour lui, et fut tout stupéfait d'apprendre qu'il fallait paraître devant Sa Majesté; la tête lui en tournait. Comment oserait-il se présenter devant l'empereur? Quel costume fallait-il prendre? Je l'encourageai et lui dis qu'il lui fallait un habit noir à la française, avec la culotte, l'épée, le chapeau, etc. Il se rendit ainsi panaché aux Tuileries. En entrant dans la chambre de Sa Majesté, il fit un profond salut, et demeura fort embarrassé. «Ce n'est pas vous, dit l'empereur, qui me chaussiez à l'école militaire?—Non, Votre Majesté l'empereur et roi, c'était mon père.—Et pourquoi n'est-ce plus lui?—Sire l'empereur et roi, parce qu'il est mort.—Combien me faites-vous payer mes souliers?—Votre Majesté l'empereur et roi les paye dix-huit francs.—C'est bien cher.—Votre Majesté l'empereur et roi les paierait bien plus cher si elle voulait.» L'empereur rit beaucoup de cette niaiserie et se fit prendre mesure. Les rires de Sa Majesté avaient complétement déconcerté le pauvre homme; lorsqu'il s'approcha, le chapeau sous le bras, et en faisant mille saluts, son épée se prit dans ses jambes, fut rompue en deux et le fit tomber sur les genoux et sur les mains. C'était à n'y pas tenir, aussi les rires de Sa Majesté redoublèrent; enfin l'honnête cordonnier, débarrassé de sa brette, prit plus aisément mesure à l'empereur, et se retira en faisant beaucoup d'excuses.

      Tout le linge de corps de Sa Majesté était de toile extrêmement belle, marqué d'un N couronné. Dans le commencement, il ne portait point de bretelles; il finit par s'en servir, et il en trouvait l'usage très-commode. Il portait sur la peau des gilets de flanelle d'Angleterre. L'impératrice Joséphine lui avait fait faire pour l'été douze gilets de cachemire.

      Beaucoup de personnes ont cru que l'empereur avait une cuirasse sous ses habits dans ses promenades et à l'armée; le fait est matériellement faux; jamais Sa Majesté n'a endossé une cuirasse, ni rien de semblable, pas plus sous ses habits que dessus.

      L'empereur ne portait jamais de bijoux; il n'avait dans ses poches ni bourse ni argent, mais seulement son mouchoir, sa tabatière et sa bonbonnière.

      Il ne portait à ses habits qu'un crachat et deux croix, celle de la Légion-d'Honneur et celle de la Couronne-de-Fer. Sous son uniforme et sur sa veste, il avait un cordon rouge dont les deux bouts ne se voyaient qu'à peine. Quand il y avait cercle au château, ou qu'il passait une revue, il mettait ce grand cordon sur son habit.

      Son chapeau, dont il sera inutile de décrire la forme tant qu'il existera des portraits de Sa Majesté, était de castor, extrêmement fin et très-lèger; le dedans en était doublé de soie et ouaté. Il n'y portait ni glands, ni torsades, ni plumes, mais simplement une ganse étroite de soie plate qui soutenait une petite cocarde tricolore.

      L'empereur avait plusieurs montres de Bréguet et de Meunier; elles étaient fort simples, à répétions, sans ornemens ni chiffre, le dessus couvert d'une glace, la boîte en or. M. Las Cases parle d'une montre recouverte des deux côtés d'une double boîte en or, marquée du chifre B, et qui n'a jamais quitté l'empereur. Je ne lui en ai pas connu de pareille, et pourtant j'étais dépositaire de tous les bijoux; je l'ai même été, durant plusieurs, années, des diamans de la couronne. L'empereur cassait souvent sa montre en la jetant à la volée, comme je l'ai dit plus haut, sur un des meubles de sa chambre à coucher. Il avait deux réveils faits par Meunier, un dans sa voiture, l'autre au chevet de son lit. Il les faisait sonner avec une petite ganse de soie verte; il en avait bien un troisième, mais il était vieux et mauvais, et ne pouvait servir. C'est celui-là qui avait appartenu au grand Frédéric, et qu'il avait apporté de Berlin.

      Les épées de Sa Majesté étaient fort simples la monture en or, avec un hibou sur le pommeau.

      L'empereur s'était fait faire deux épées semblables à celle qu'il portait le jour de la bataille d'Austerlitz. Une de ces épées fut donnée à l'empereur Alexandre, ainsi qu'on le verra plus tard, et l'autre au prince Eugène en 1814. Celle que l'empereur avait à Austerlitz, et sur laquelle il avait fait graver le nom et la date de cette mémorable bataille, devait être enfermée dans la colonne de la place Vendôme. Sa Majesté l'avait encore, je crois, à Sainte-Hélène.

      Il avait aussi plusieurs sabres qu'il avait portés dans ses premières campagnes, et sur lesquels on avait fait graver le nom des batailles où il s'en était servi. Ils furent distribués à divers officiers-généraux par sa majesté l'empereur. Je parlerai plus tard de cette distribution.

      Lorsque l'empereur devait quitter sa capitale pour rejoindre ses armées ou pour une simple tournée dans les départemens, jamais on ne savait bien précisément le moment de son départ. Il fallait d'avance envoyer sur diverses routes un service complet pour la chambre, la bouche, les écuries; quelquefois ils attendaient trois semaines, un mois, et quand Sa Majesté était partie, on faisait revenir les services restés sur les routes qu'elle n'avait point parcourues. J'ai souvent pensé que l'empereur en usait ainsi pour déconcerter les calculs de ceux qui épiaient ses démarches, et dérouter les politiques. Le jour qu'il devait partir personne que lui ne le savait; tout se passait comme à l'ordinaire. Après un concert, un spectacle, ou tout autre divertissement qui avait réuni un grand nombre de personnes, Sa Majesté disait à son coucher: «Je pars à deux heures.» Quelquefois c'était plus tôt, quelquefois plus tard, mais on partait toujours à l'heure qu'elle avait fixée. À l'instant l'ordre était transmis par chacun des chefs de service; tout se trouvait prêt dans le temps marqué, mais on laissait le château sens dessus dessous. J'ai tracé ailleurs un tableau de la confusion qui précédait et suivait immédiatement, au château, le départ de l'empereur. Partout où logeait Sa Majesté, en voyage, elle faisait payer, avant de partir, la dépense de sa maison et la sienne; elle faisait des présens à ses hôtes et donnait des gratifications aux domestiques de la maison. Le dimanche, l'empereur se faisait dire la messe par le desservant du lieu et donnait toujours vingt napoléons, quelquefois plus, selon les besoins des pauvres de la commune. Il questionnait beaucoup les curés sur leurs ressources, sur celles de leurs paroissiens, sur l'esprit et la moralité de la population, etc. Il ne manquait que rarement à demander le nombre des naissances, des décès, des mariages, et s'il y avait beaucoup de garçons et de filles en âge d'être mariés. Si le curé répondait d'une manière satisfaisante et s'il n'avait pas été trop long-temps à dire sa messe, il pouvait compter sur les bonnes grâces de Sa Majesté; son église et ses pauvres s'en trouvaient bien, et pour lui-même l'empereur lui laissait à son départ, ou lui faisait expédier un brevet de chevalier de la Légion-d'Honneur. En général, Sa Majesté aimait qu'on lui répondît avec assurance et sans timidité; elle souffrait même la contradiction; on pouvait sans aucun risque lui faire une réponse inexacte, cela passait presque toujours, elle y faisait peu d'attention, mais elle ne manquait jamais de s'éloigner de ceux qui lui parlaient en hésitant et d'une manière embarrassée.

      Partout où l'empereur se trouvait résider, il y avait toujours de service, le jour comme la nuit, un page et un aide-de-camp qui couchaient sur des lits de sangle. Il y avait aussi dans l'antichambre un maréchal-des-logis et un brigadier des écuries pour aller, quand il le fallait, faire avancer les équipages qu'on avait soin de tenir toujours prêts à marcher; des chevaux tout sellés et bridés, et des voitures attelées de deux chevaux sortaient des écuries au premier signe de Sa Majesté. On les relevait de service toutes les deux heures, comme des sentinelles.

      J'ai dit tout à l'heure que Sa Majesté aimait les promptes réponses et celles qui annonçaient de la vivacité dans l'esprit. Voici deux anecdotes qui me paraissent venir à l'appui de cette assertion.

      L'empereur passant un jour une revue sur la place du Carrousel, son cheval se cabra, et dans les efforts que fit Sa Majesté pour le retenir, son chapeau tomba à terre; un lieutenant


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