Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour. Louis Constant Wairy
toutes les bouches; on chanta le Te Deum, et Leurs Majestés sortirent de l'église avec le même appareil qu'elles y étaient entrées. Le pape resta dans l'église un quart d'heure environ après les souverains, et lorsqu'il se leva pour se retirer, des acclamations universelles le saluèrent depuis le chœur jusqu'au portail.
Leurs Majestés ne rentrèrent au château qu'à six heures et demie, et le pape à près de sept heures. Pour entrer à l'église. Leurs Majesté passèrent comme je l'ai dit, par l'archevêché, dont les bâtimens communiquaient avec Notre-Dame au moyen d'une galerie en charpente. Cette galerie couverte en ardoises et tendue de tapisseries superbes, aboutissait à un portail, aussi en charpente, établi devant la principale entrée de l'église, et d'un style en harmonie parfaite avec l'architecture gothique de cette belle métropole. Ce portail volant reposait sur quatre colonnes décorées d'inscriptions en lettres d'or qui représentaient les noms des trente-six principales villes de France, dont les maires avaient été députés au couronnement. Sur le haut de ces colonnes étaient peints en relief Clovis et Charlemagne assis sur leur trône, le sceptre à la main. Au centre du frontispice étaient figurées les armes de l'empire ombragées par les drapeaux des seize cohortes de la Légion-d'Honneur. Aux deux côtés on voyait deux tourelles surmontées d'aigles en or. Le dessous de ce portique, ainsi que de la galerie, était façonné en voûte, peint en bleu de ciel, et semé d'étoiles.
Le trône de Leurs Majestés était élevé sur une estrade demi-circulaire, couverte d'un tapis bleu parsemé d'abeilles. On y montait par vingt-deux degrés. Ce trône, drapé en velours rouge était surmonté d'un pavillon aussi en velours rouge, dont les ailes ombrageaient, à gauche, l'impératrice les princesses et leurs dames d'honneur; à droite, les deux frères de l'empereur, l'archi-chancelier et l'archi-trésorier.
Rien de plus magnifique que le coup d'œil du jardin des Tuileries, le soir de cette belle journée. Le grand parterre entouré de portiques en lampions, de chaque arcade desquelles descendait une guirlande en verres de couleur; la grande allée décorée de colonnades surmontées d'étoiles; sur les terrasses, des orangers de feu; chaque arbre des autres allées éclairé par des lampions; enfin, pour couronner l'illumination, une immense étoile suspendue sur la place de la Concorde, dominant tous les autres feux. C'était un palais de feu.
À l'occasion du couronnement, Sa Majesté fit des présens magnifiques à l'église métropolitaine. On remarquait entre autres choses un calice en vermeil orné de bas-reliefs, composés par le célèbre Germain; un ciboire, deux burettes avec le plateau, un bénitier et un plat d'offrande; le tout en vermeil et précieusement travaillé. D'après les ordres de Sa Majesté, transmis par le ministre de l'intérieur, on remit aussi à M. d'Astros, chanoine de Notre-Dame, un carton contenant la couronne d'épines, une cheville et un morceau de bois de la vraie croix; une petite bouteille renfermant, dit-on, du sang de notre Seigneur; une discipline de fer qui avait servi à saint Louis, et une tunique ayant également appartenu à ce roi.
Le matin, M. le maréchal Murat, gouverneur de Paris, avait donné un déjeuner magnifique aux princes d'Allemagne qui étaient venus à Paris pour assister au couronnement. Après le déjeuner, le maréchal-gouverneur les fit conduire à Notre-Dame dans quatre voitures à six chevaux, avec une escorte de cent hommes à cheval commandés par un de ses aides-de-camp. Ce cortége fut particulièrement remarqué par son élégance et sa richesse.
Le lendemain de cette grande et mémorable solennité fut un jour de réjouissances publiques. Dès le matin, une population innombrable, favorisée par un temps magnifique, se répandit sur les boulevards, sur les quais et sur les places, où l'on avait disposé des divertissemens variés à l'infini.
Les hérauts d'armes parcoururent de bonne heure les places publiques, jetant à la foule qui se pressait sur leur passage des médailles frappées en mémoire du couronnement. Ces médailles représentaient d'un côté la figure de l'empereur, le front ceint de la couronne des Césars, avec ces mots pour légende: Napoléon empereur. Au revers étaient une figure revêtue du costume de magistrat, entourée d'attributs analogues, et celle d'un guerrier antique soulevant sur un bouclier un héros couronné et couvert du manteau impérial. Au dessous on lisait: Le sénat et le peuple. Aussitôt après le passage des hérauts d'armes commencèrent les réjouissances, qui se prolongèrent fort avant dans la soirée.
On avait élevé sur la place Louis XV, qui s'appelait alors place de la Concorde, quatre grandes salles carrées, en charpente et en menuiserie pour la danse et les valses. Des théâtres de pantomime et de farces étaient placés sur les boulevards de distance en distance; des groupes de chanteurs et de musiciens exécutaient des airs nationaux et des marches guerrières; des mâts de cocagne, des danseurs de corde, des jeux de toute espèce, arrêtaient les promeneurs à chaque pas, et leur faisaient attendre sans impatience le moment des illuminations et du feu d'artifice.
Les illuminations furent admirables. Depuis la place Louis XV jusqu'à l'extrémité du boulevard Saint-Antoine régnait un double cordon de feux de couleur en guirlandes. L'ancien Garde-Meuble, le palais du Corps-Législatif, resplendissaient de lumières; les portes Saint-Denis et Saint-Martin étaient couvertes de lampions depuis le haut jusqu'en bas.
Dans la soirée, tous les curieux se portèrent sur les quais et les ponts, afin de voir le feu d'artifice, qui fut tiré du pont de la Concorde (aujourd'hui pont Louis XVI), et surpassa en éclat tous ceux qu'on avait vus jusqu'alors.
CHAPITRE V
Cérémonie de la distribution des aigles.—Allocution de l'empereur.—Serment.—La grande revue et la pluie.—Banquet aux Tuileries.—Panégyrique de la conscription, fait par l'empereur.—Grandes réceptions.—Fête à l'Hôtel-de-Ville de Paris.—Distribution de comestibles bien réglée.—Le vaisseau de feu.—Passage du mont Saint-Bernard au milieu des flammes.—Toilette et service en or, offerts à Leurs Majestés par la ville de Paris.—Le ballon de M. Garnerin.—Incident curieux.—Voyage par air, de Paris à Rome, en vingt-quatre heures.—Billet de M. Garnerin et lettre du cardinal Caprara.—Les bateliers et la maison flottante.—Quinze lieues par heure.—Histoire d'un aérostat.—Intrépidité de deux femmes.—Gratifications accordées par la ville de Paris.—Bonté de l'empereur et de son frère Louis.—Grâce accordée par l'empereur.—Statue érigée à l'empereur dans la salle des séances du Corps-Législatif.—L'impératrice Joséphine et le chœur de Gluck.—Heureux à-propos.—Le voile levé par les maréchaux Murat et Masséna.—Fragment d'un éloge de l'empereur, prononcé par M. de Vaublanc.—Bouquet et bal.—Profusion de fleurs au mois de janvier.
Le mercredi 5 décembre, trois jours après le couronnement, l'empereur fit au Champ-de-Mars la distribution des drapeaux.
La façade de l'École-Militaire était décorée d'une galerie composée de tentes placées au niveau des appartemens du premier étage. La tente du milieu, fixée sur quatre colonnes qui portaient des figures dorées représentant la Victoire, couvrait le trône de Leurs Majestés. Excellente précaution; car, ce jour-là, le temps fut horrible. Le dégel avait pris subitement, et l'on sait ce que c'est qu'un dégel parisien.
Autour du trône étaient placés les princes et les princesses, les grands dignitaires, les ministres, les maréchaux de l'empire, les grands officiers de la couronne, les dames de la cour et le conseil-d'état.
La galerie se divisait à droite et à gauche en seize parties décorées d'enseignes militaires et couronnées par des aigles. Ces seize parties représentaient les seize cohortes de la Légion-d'Honneur. La droite était occupée par le sénat, les officiers de la Légion-d'Honneur, la cour de cassation et les chefs de la comptabilité nationale. La gauche l'était par le tribunat et le corps législatif.
À chaque bout de la galerie était un pavillon; celui du côté de la ville portait le nom de tribune impériale; il était destiné aux princes étrangers. Le corps diplomatique et les personnages étrangers de distinction remplissaient l'autre pavillon.
On descendait de cette galerie dans le Champ-de-Mars par un immense escalier, dont le premier degré, qui faisait banquette au dessous des tribunes, était garni par les présidens de canton, les préfets, les sous-préfets et les membres