Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 3. Charles Athanase Walckenaer

Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 3 - Charles Athanase Walckenaer


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de tels mots? Quelle honte qu'il ne se trouve personne parmi vous qui ait cette charité pour un pauvre Quiquoix dépaysé! Et cette madame de la Fayette, à qui l'on me renvoie, n'aurait-elle pas mieux fait de me le dire que de m'apprendre que l'on se moque d'elle depuis le matin jusqu'au soir, comme si ce m'était une chose fort nouvelle? Elle a été moquée et le sera; je l'ai été avant elle et le serai; enfin, c'est un honneur que nous partagerons longtemps ensemble. Pour madame de Sévigné, je comprends qu'elle avait assez d'affaires à voir saler sa pauvre fille pour ne lui pas reprocher de m'en avoir caché le mystère et pour n'avoir qu'à la remercier très-humblement des marques de son amitié, qu'elle a bien voulu hasarder à la discrétion de M. de Munster60

      Heureux temps, où le sérieux des plus grandes affaires n'excluait pas la gaieté et les plus grotesques fantaisies; où l'urbanité, la décence et la grâce dominaient jusque dans l'abandon des plus folâtres jeux et du commerce le plus familier!

      CHAPITRE II.

      1666-1667

      Mademoiselle de Sévigné est chantée par les poëtes.—Ménage compose des vers pour elle.—La Fontaine lui dédie une de ses plus jolies fables.—Saint-Pavin lui écrit une lettre.—Il lui adresse des stances au sujet de son goût pour le reversis.—La froideur de mademoiselle de Sévigné empêchait les passions de naître.—Sa mère cherche à la marier.—Correspondance de Bussy et de madame de Sévigné à ce sujet.—Le duc de Caderousse et Desmoutiers, comte de Mérinville, se présentent pour l'épouser.—Ils sont éloignés, et pourquoi.—Madame de Sévigné va passer l'hiver aux Rochers.—Lettre en vers que lui écrit Saint-Pavin pour l'engager à revenir à Paris.—La cour réside, cet hiver, à Saint-Germain en Laye.—On y danse le ballet des Muses.—Molière compose, pour ce ballet, Mélicerte et l'Amour sicilien.—Madame de Sévigné profite de son séjour aux Rochers pour augmenter et embellir sa terre.—Elle revient au printemps à Paris.—Le roi était parti pour l'armée.—Commencement de la guerre avec l'Espagne.—Prétextes allégués.—Administration intérieure bien réglée.—Réformes de la justice.—Lettres et beaux-arts encouragés.—Victoires de Louis XIV.—Changement dans sa conduite à l'égard de ses maîtresses après la mort de la reine mère.—La Vallière est faite duchesse.—Intrigues du roi avec la princesse de Monaco.—Espiègleries de Lauzun.—Madame de Montespan prend la première place dans le cœur du roi.

      Trois ans s'étaient écoulés depuis que mademoiselle de Sévigné avait paru pour la première fois dans les ballets du roi. Depuis cette époque, ses attraits plus développés avaient acquis plus d'éclat. Son esprit et ses grâces, perfectionnés par l'éducation, en avaient fait une femme accomplie. L'admiration que partout elle faisait naître entretenait dans le cœur de madame de Sévigné un orgueilleux sentiment de tendresse et d'amour qui absorbait toutes ses pensées. Dans son entière abnégation de toute autre jouissance, elle semblait ne plus considérer toutes les choses de ce monde que dans leurs rapports avec sa fille. Les louanges qu'on avait coutume de lui adresser à elle-même lui paraissaient un larcin fait à cet objet chéri; et dès lors, pour lui plaire, ce fut pour sa fille, et non pour elle, que les poëtes ses amis composèrent des vers. Ménage adressa à mademoiselle de Sévigné un madrigal en italien, langue qu'elle comprenait déjà très-bien61. Le bon la Fontaine lui dédia une de ses plus jolies fables, celle du Lion amoureux.

      Sévigné, de qui les attraits

      Servent aux Grâces de modèle,

      Et qui naquîtes toute belle,

      A votre indifférence près,

      Pourriez-vous être favorable

      Aux jeux innocents d'une fable,

      Et voir sans vous épouvanter

      Un lion qu'Amour sut dompter.

      Amour est un étrange maître:

      Heureux qui ne peut le connaître

      Que par récit, lui ni ses coups!

      Quand on en parle devant vous,

      Si la vérité vous offense,

      La fable au moins peut se souffrir

      Celle-ci prend bien l'assurance

      De venir à vos pieds s'offrir

      Par zèle et par reconnaissance62.

      Saint-Pavin avait écrit une lettre en vers à mademoiselle de Sévigné avant qu'elle eût commencé à prendre son essor dans le monde; et cette petite pièce est empreinte d'une facilité qui nous engage à la transcrire tout entière.

A MADEMOISELLE DE SÉVIGNÉ

      L'autre jour, chagrin de mon mal,

      Me promenant sur mon cheval

      Sur les bords des vertes prairies,

      J'entretenais mes rêveries,

      Quand j'aperçus votre moineau

      Sur le haut d'un jeune arbrisseau.

      Beaucoup moins gai que de coutume,

      Il avait le bec dans la plume,

      Comme un oiseau qui languissait

      Loin de celle qu'il chérissait.

      Je l'appelai comme on l'appelle:

      Il vint à moi battant de l'aile;

      Et, sur mon bras s'étant lancé,

      Je le pris et le caressai;

      Mais après, faisant le colère,

      Je lui dis d'un ton bien sévère:

      Apprenez-moi, petit fripon,

      Ce qui vous fait quitter Manon.

      «Ah! me dit-il en son langage,

      Ma belle maîtresse, à son âge,

      S'offense et ne peut trouver bon

      Qu'on l'appelle encor de ce nom.

      Je sais que vous l'avez connue;

      Mais tout autre elle est devenue:

      Son esprit, qui s'est élevé,

      Plus que son corps est achevé;

      Il est bien juste qu'on la traite

      En fille déjà toute faite.

      Elle entend tout à demi-mot,

      Discerne l'habile du sot;

      Et sa maman, seule attrapée,

      La croit encor fille à poupée.

      Tous les matins dans son miroir

      Elle prend plaisir à se voir,

      Et n'ignore pas la manière

      De rendre une âme prisonnière;

      Elle consulte ses attraits,

      Sait déjà lancer mille traits

      Dont on ne peut plus se défendre

      Pour peu qu'on s'en laisse surprendre.

      Depuis qu'elle est dans cette humeur,

      Elle m'a banni de son cœur,

      Et ne m'a pas cru davantage

      Un oiseau digne de sa cage.

      Désespéré, j'ai pris l'essor,

      Résolu plutôt à la mort

      Que voir une ingrate maîtresse

      N'avoir pour moi soin ni tendresse.

      Je sais que vous l'aimez aussi;

      Gardez qu'elle vous traite ainsi;

      Elle est finette, elle est accorte,

      Et n'aime que de bonne sorte.»

      Ce fut ainsi qu'il me parla,

      Puis aussitôt il s'envola.Скачать книгу


<p>60</p>

Lettre de M. DE POMPONNE, en date du 5 juin 1666. Dans les Mémoires de COULANGES, p. 405, 406.

<p>61</p>

ÆGIDII MENAGII Poemata, octava edit.; Amstel., 1667, in-12, p. 337, ou 5e édit., 1668, p. 279.

<p>62</p>

LA FONTAINE, Fables, liv. IV, fable I, édit. 1668, in-4o, p. 145; t. II, p. 3 de l'édit. 1668, in-12.—Cette fable commence le volume dans cette édition, et ce second volume (dans le seul exemplaire de ce format que j'aie encore rencontré) porte la date de 1668, tandis que le premier volume a celle de 1669: celle-ci est la vraie date, l'édition in-4o ayant précédé l'autre. La date des éditions où parut pour la première fois cette fable n'est pas indifférente à notre objet.