Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 3. Charles Athanase Walckenaer

Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 3 - Charles Athanase Walckenaer


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vous revoir on meurt d'envie;

      On languit ici, on s'ennuie;

      Et les Plaisirs, déconcertés,

      Vous y cherchent de tous côtés.

      Votre absence les désespère;

      Sans vous ils n'oseraient nous plaire.

      Si vous étiez ici demain,

      La cour quitterait Saint-Germain;

      Et les Jeux, les Ris et les Grâces,

      Qui marchent toujours sur vos traces,

      Y rendraient l'Amour désormais

      Plus galant qu'il ne fut jamais.

      Après nous avoir appris, par des contre-vérités sur mademoiselle de Sévigné, qu'elle s'appliquait avec succès à l'étude de l'espagnol et de l'italien, Saint-Pavin continue ainsi:

      Il faut quitter ce badinage.

      Votre fille est le seul ouvrage

      Que la nature ait achevé:

      Dans les autres elle a rêvé.

      Aussi la terre est trop petite

      Pour y trouver qui la mérite;

      Et la belle, qui le sait bien,

      Méprise tout et ne veut rien.

      C'est assez pour cet ordinaire,

      Et trop peut-être pour vous plaire;

      S'il est vrai, gardez le secret,

      Et donnez ma lettre à Loret:

      Je crois qu'en Bretagne on ignore

      S'il est mort ou s'il vit encore75.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

      . . . . . . . . . . . . . . Songez à partir.

      La réponse la plus touchante

      Ne pourrait payer mon attente;

      Tout le plaisir est à se voir.

      Les sens se peuvent émouvoir:

      Tel est vieux et n'ose paraître

      Qui, vous voyant, ne croit plus l'être76.

      La cour, ainsi que le dit Saint-Pavin, avait résidé à Saint-Germain durant l'hiver que madame de Sévigné passa en Bretagne; mais quoique les divertissements n'y eussent pas été aussi brillants que ceux des années précédentes, cependant ils ne furent que peu de temps suspendus par la mort de la reine mère. Benserade composa pour l'hiver de 1666 le Ballet des Muses, dans lequel le roi dansa avec MADAME, mademoiselle de la Vallière, madame de Montespan et d'autres beautés. Ce fut à cette occasion que Molière rima son insipide pastorale de Mélicerte, qu'il se repentit d'avoir écrite et qu'il remplaça depuis par la jolie pièce du Sicilien ou l'Amour peintre77.

      Madame de Sévigné profita de son séjour aux Rochers pour agrandir et embellir sa demeure sans nuire à ses projets d'économie. «J'ai fait planter, écrivait-elle à Bussy, une infinité de petits arbres et un labyrinthe d'où l'on ne sortira pas sans le fil d'Ariane; j'ai encore acheté plusieurs terres, à qui j'ai dit, selon la manière accoutumée: Je vous fais parc. De sorte que j'ai étendu mes promenoirs sans qu'il m'en ait coûté beaucoup78

      Madame de Sévigné ne revint à Paris qu'au printemps suivant, vers la fin du mois de mai79. Louis XIV était alors à Compiègne; mais il partit bientôt pour aller rejoindre son armée, et commencer enfin cette grande lutte contre l'Espagne à laquelle il se préparait depuis longtemps: vaste scène qui s'ouvrait pour l'Europe entière, et qui, après de sanglants combats, se termina par la conquête de la Flandre et celle de la Franche-Comté80. Ainsi fut constitué ce beau royaume de France en une masse compacte et formidable, restée intacte malgré les désastres de la fin de ce glorieux règne, malgré la corruption et la mollesse des deux règnes suivants, malgré les affreuses convulsions de l'anarchie et la délirante ambition du génie des batailles.

      Tandis que Louis XIV, à Versailles, à Saint-Germain, aux Tuileries ou dans les camps, ne semblait s'occuper que de plaisirs, de politique et de guerre, toutes les réformes, toutes les institutions, tous les établissements qui devaient accroître les richesses et la prospérité de la France s'exécutaient comme il les avait déterminés dans son conseil. Quand, pour donner plus d'activité au commerce, il créa, en 1665, la compagnie des Indes occidentales, les commerçants qui devaient la composer furent assemblés au Louvre, sous la présidence de Colbert; et le roi parut en personne au milieu d'eux, pour les exhorter à se livrer avec toute sécurité à leurs opérations commerciales et pour leur donner l'assurance que ses vaisseaux les protégeraient jusqu'aux extrémités de l'univers81. C'est dans cette année 1667, si mémorable par tant de succès guerriers82, de traités et de négociations importantes83, que furent promulguées ces belles ordonnances pour l'administration de la justice, admirées des jurisconsultes, et qu'on avait surnommées le Code Louis84; que fut instituée l'Académie des sciences; que fut établie à Rome une Académie des beaux-arts; qu'on jeta les fondements de ce séjour de tant de savantes et impérissables découvertes, l'Observatoire de Paris; que furent commencés les travaux du canal qui devait joindre l'Océan à la Méditerranée; qu'enfin des prix furent distribués aux peintres, aux artistes; des récompenses données aux savants étrangers, afin de rattacher au drapeau de la France les talents les plus éminents, les plus hautes capacités85.

      Le roi, en s'exposant plus qu'il n'était nécessaire, donna des preuves de bravoure personnelle86; mais cependant ses ennemis étaient si mal préparés à se défendre, ses succès furent si rapides que, si on excepte le siége de Lille, cette campagne ressembla plus à une marche triomphale qu'à une lutte guerrière87.

      Louis XIV conduisait avec lui la jeune reine; il la montrait aux peuples soumis comme leur légitime souveraine; car c'était pour soutenir les droits de sa femme à la souveraineté de ces contrées et à la succession d'Espagne, à laquelle cependant on avait renoncé par le traité des Pyrénées, qu'il entreprenait cette guerre88. Une riante et gracieuse escorte de jeunes et belles femmes accompagnait Louis dans ses conquêtes. Partout, après les combats, des fêtes étaient préparées, spontanément offertes, ou commandées sous la tente et sur les champs de bataille: au milieu des dangers de la mort, incessamment bravés pour la patrie, la volupté semblait acquérir quelque chose de grand et de martial, qui désarmait la censure des esprits sévères.

      Le jeune roi donnait, sous ce rapport, à ses peuples, un exemple fatal, dont sa cour était fortement préoccupée. La mort de la reine mère avait achevé d'ôter à Louis XIV le peu de contrainte qu'il s'était imposée par égard pour elle. La femme si douce et si tendre qui ne voyait dans le roi qu'un amant, qui aurait voulu ensevelir dans l'ombre le secret d'une liaison coupable, celle dont le cœur, avant d'être touché par l'amour de Dieu, ne palpita jamais que pour un seul homme, fut condamnée à porter le titre de duchesse, à laisser légitimer par lettres patentes sa honte et ses dignités, à subir l'ennui d'un nombreux cortége, à dévoiler le mystère de ses accouchements, à voir ses deux enfants ravis dès leur naissance à sa tendresse maternelle, et, sous les noms de comte de Vermandois et de mademoiselle de Blois, reconnus, par actes publics, comme les honorés rejetons d'un royal adultère89.

      Ce ne furent pas là encore ses plus grandes afflictions. Lorsque Louis XIV augmentait, par des faveurs


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<p>75</p>

Loret était mort depuis peu de temps. Dans sa dernière gazette, qui est du 28 mars 1665, il expose ses infirmités, et dit presque adieu à ses lecteurs. Voyez la Muse historique, liv. XVI, p. 51 et 52.

<p>76</p>

Recueil des plus belles Poésies des poëtes françois; Paris, chez Claude Barbin, 1692, in-12, p. 325-328.—Poésies de SAINT-PAVIN; chez Leprieur, 1759, in-12, p. 62-71.—SÉVIGNÉ, Lettres, t. I; Choix de Poésies, p. III, édition de Monmerqué.

<p>77</p>

Ballet royal des Muses, dansé par Sa Majesté en 1666, dans les Œuvres de BENSERADE, t. II, p. 357.—Mélicerte, comédie pastorale héroïque, par J.-B. P. DE MOLIÈRE, représentée pour la première fois à Saint-Germain en Laye, pour le Roy, au ballet des Muses, en décembre 1666, par la troupe du Roy; dans les Œuvres posthumes de monsieur DE MOLIÈRE; chez Denis Thierry, 1682, in-12, imprimées pour la première fois, t. VII des Œuvres, p. 229.

<p>78</p>

SÉVIGNÉ, Lettre en date du 20 mai 1667, t. I, p. 113, édit. de Monmerqué, et p. 156 de l'édit. de G. de S.-G.

<p>79</p>

Louis XIV partit de Paris le 16 mai, et alla coucher à Champlâtreux. Conférez DALLICOURT, Campagne royale, p. 4.

<p>80</p>

BUSSY, Lettres, t. III, p. 29 et 30.—Sur les causes ou les prétextes de cette guerre, conférez Dialogues sur les droits de La Reyne très-chrétienne; Paris, de l'imprimerie d'Antoine Vitré, 1667, in-12 (23 pages). Ce fut Louis XIV qui fit composer et répandre ce petit écrit; il est avoué par lui dans l'avertissement. La permission d'imprimer est du 10 mai 1667. Grimoard, dans les Œuvres de LOUIS XIV, t. III, p. 37, parle d'un Traité des droits de la Reyne, dont il y eut trois éditions. Est-ce le même écrit que le Dialogue?—Cf. MIGNET, Négociations relatives à la succession d'Espagne, 1835, in-4o, t. I, p. 177-297, 391-495.

<p>81</p>

LORET, Muse historique, lettre 13, du 28 mars 1665, livre XVI, p. 50.

<p>82</p>

RAMSAY, Hist. du vicomte de Turenne, édit. in-12, t. II, p. 141-144.

<p>83</p>

MONGLAT, Mémoires, t. LI, p. 139-142.

<p>84</p>

Le président HÉNAULT, Abrégé chronologique, année 1667, t. III, p. 864, édit. W.—BUSSY, Hist. de Louis XIV, 159-166.

<p>85</p>

LOUIS XIV, Œuvres, t. II, p. 267-272.—BUSSY, Lettres, t. V, p. 35.—LÉPICIÉ, Vies des peintres du Roi, p. 46.—ECKARD, États au vrai de toutes les sommes employées par Louis XIV, chap. XVI, p. 59.—Recueil de la Société des bibliophiles, 1826, 1 vol. in-8o. Gratifications faites par Louis XIV aux savants et aux hommes de lettres depuis 1664 jusqu'en 1679 (102 pages).

<p>86</p>

MONGLAT, Mémoires, t. LI, p. 141 et 142.

<p>87</p>

LOUIS XIV, Mémoires historiques et Instructions au Dauphin, dans les Œuvres, t. II, p. 328.—P. DALICOURT, la Campagne royale ès années 1667 et 1668; Paris, chez la veuve Gervais, 1668, in-12, p. 77-131.

<p>88</p>

MONGLAT, Mém., p. 51-146.—LOUIS XIV, Mém. historiques, t. II, p. 304, 306, 307.

<p>89</p>

DREUX DU RADIER, Mémoires historiques et critiques des reines et régentes de France, t. VI, p. 416 et 417. Les lettres patentes qui créent la terre de Vaujour et la baronnie de Saint-Christophe en duché-pairie sont du mois de mai 1671, datées de Saint-Germain en Laye.