Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 3. Charles Athanase Walckenaer
jeune Iris n'a de souci
Que pour le jeu de reversi,
De son cœur il s'est rendu maître:
A voir tout le plaisir qu'elle a
Quand elle tient un quinola,
Heureux celui qui pourrait l'être!
Son cœur devrait-il t'échapper,
Amour? Fais, pour la détromper,
Qu'elle ait d'autres amants en foule;
La belle au change gagnera64.
Ainsi que je l'ai dit dans une des précédentes parties de ces Mémoires, l'air froid, indifférent, dédaigneux même de mademoiselle de Sévigné, que sa mère, sa grande admiratrice, lui reproche doucement dans une de ses lettres, détruisait en partie l'effet produit par sa beauté. Sa conversation intéressait d'abord, parce qu'elle avait de l'esprit et du savoir; mais, comme rien ne partait du cœur, que rien n'y était suggéré, animé par ses impressions du moment, on s'en lassait bientôt. Il paraît que plus tard, et dans l'âge où l'on fait de sérieuses réflexions sur soi-même, elle reconnut elle-même ce qui lui avait toujours manqué pour faire, comme sa mère, les délices des sociétés où elle se trouvait; car elle écrit à celle-ci: «D'abord on me croit assez aimable, et quand on me connaît davantage on ne m'aime plus.» Sentence qui fait jeter les hauts cris à madame de Sévigné; mais la manière dont elle la combat65 prouve que madame de Grignan continuait à être ce qu'avait été mademoiselle de Sévigné. Par une ferme résolution, nous pouvons perfectionner notre nature, mais nous ne pouvons la changer; elle reste toujours la même malgré le blâme de notre raison; et il est plus facile de reconnaître en nous ce qui fait défaut que d'acquérir ce qui nous manque.
Cependant il était arrivé pour madame de Sévigné ce moment à la fois cruel et doux où une mère doit enfin consentir à confier à un mari les destinées de sa fille chérie, où elle doit se résoudre à n'être plus le seul et principal objet de ses affections, la confidente unique de ses pensées.
A l'époque dont nous parlons, madame de Sévigné était péniblement préoccupée de ce grand devoir de mère. Peu de partis se présentaient, du moins de ceux qui pouvaient être acceptés. Les preuves de cette assertion se trouvent dans les lettres mêmes de madame de Sévigné et dans celles de Bussy, qui, en bon parent, partageait à cet égard les sollicitudes de sa cousine: il l'entretenait souvent de mademoiselle de Sévigné, dont il admirait l'esprit et la beauté, et il la désignait presque toujours par ces mots: «La plus jolie fille de France.»
Lorsque mademoiselle de Brancas, liée avec mademoiselle de Sévigné, venait d'épouser (le 2 février 1667) Charles de Lorraine, prince d'Harcourt, Bussy écrivait à sa cousine: «Mademoiselle de Sévigné a raison de me faire ses amitiés: après vous, je n'estime et n'aime rien autant qu'elle. Je suis assuré qu'elle n'est pas si mal satisfaite de sa mauvaise fortune que moi; et sa vertu lui fera attendre sans impatience un établissement avantageux, que l'estime extraordinaire que j'ai pour elle me persuade être trop lent à venir.—Voilà de grandes paroles, madame; en un mot, je l'aime fort, et je trouve qu'elle devrait être plutôt princesse que mademoiselle de Brancas66.»
Un an plus tard, l'impatience de madame de Sévigné se trahit vivement par ces paroles contenues dans plusieurs réponses faites à Bussy: «La plus jolie fille de France vous fait ses compliments: ce nom paraît assez agréable; je suis pourtant lasse d'en faire les honneurs67.»
Bussy répond: «La plus jolie fille de France sait bien ce que je lui suis. Il me tarde autant qu'à vous qu'un autre vous aide à en faire les honneurs; c'est sur son sujet que je reconnais la bizarrerie du destin aussi bien que sur mes affaires68.»
Un mois après, madame de Sévigné écrit encore à Bussy: «La plus jolie fille de France est plus digne que jamais de votre estime et de votre amitié. Sa destinée est si difficile à comprendre que, pour moi, je m'y perds69.»
Je pense que le mot de cette énigme était parfaitement connu de madame de Sévigné et de Bussy, mais qu'ils ne voulaient pas se le dire mutuellement, parce qu'ils osaient à peine se l'avouer à eux-mêmes.
La froideur de mademoiselle de Sévigné pouvait bien, ainsi que je l'ai dit, l'empêcher d'inspirer de grandes passions; mais alors, plus qu'à toute autre époque, ce n'était pas l'amour qui faisait contracter les mariages, c'étaient l'ambition et l'intérêt; c'étaient surtout les espérances que l'on pouvait fonder sur la faveur du monarque. Or, mademoiselle de Sévigné appartenait à une famille frondeuse et janséniste, dans laquelle ne se trouvait aucun homme puissant qui fût intéressé à sa grandeur. Le choc des factions avait abattu la haute fortune de Retz; Bussy, que ses talents militaires auraient pu faire parvenir aux plus hautes dignités de l'État, était, par sa faute, depuis longtemps disgracié. Ainsi aucun des chefs de cette famille ne pouvait contribuer à l'élévation de celui qui aurait contracté alliance avec elle; et cependant madame de Sévigné pensait que la beauté et la riche dot de sa fille lui donnaient le droit de n'accueillir pour elle que des propositions où le rang et la naissance se trouvaient en parfaite convenance avec ce qu'elle croyait avoir droit d'exiger; et comme elle portait naturellement ses prétentions au niveau de l'admiration qu'elle avait pour sa fille, peu de partis lui convenaient: ceux qui auraient pu la flatter, par les raisons que je viens d'exposer, ne se présentaient pas.
Il s'en offrit pourtant plusieurs qui semblaient réunir toutes les conditions propres à être agréés, et les lettres de madame de Sévigné nous en font connaître deux: l'un, le duc de Caderousse, dont nous avons parlé, qui épousa mademoiselle de Guénégaud70; l'autre, Charles de Mérinville, fis de François Desmoutiers, comte de Mérinville, chevalier des ordres du roi et alors lieutenant général de Provence. Le comte de Mérinville se trouvait à Paris en 1667, absent de son gouvernement; et il profita de cette occasion pour présenter son fils chez madame de Sévigné et lui demander sa fille en mariage71. Cette proposition parut satisfaire madame de Sévigné, et l'union fut sur le point de se conclure. Le jeune homme était de l'âge de mademoiselle de Sévigné, mais il lui plaisait peu; et madame de Sévigné fit naître tant d'incidents par la crainte qu'elle avait d'arriver à une conclusion que les négociations commencées se rompirent72. Ce ne fut que plus tard, ainsi que nous le dirons, que M. le comte de Grignan, beaucoup plus âgé que Mérinville et deux fois veuf, fut agréé par la mère et par la fille73.
Mais avant et dès le temps où elle s'était résolue à établir sa fille, madame de Sévigné avait songé à faire des économies. C'est pour y parvenir que, dans l'automne de l'année 1666, elle se rendit à sa maison des Rochers, et qu'elle se résolut à y prolonger son séjour pendant tout l'hiver74. Ce fut là un grand sujet de contrariété et d'ennui pour ses amis de Paris et pour toutes les sociétés qu'elle animait par sa gaieté et par son esprit. Saint-Pavin se rendit leur organe, et lui adressa en Bretagne une lettre en vers, pour lui exprimer le désir que l'on avait de la voir revenir dans la capitale.
Paris vous demande justice;
Vous l'avez quitté par caprice.
A quoi bon de tant façonner,
Marquise? il y faut retourner.
L'hiver approche, et la campagne,
Mais surtout celle de Bretagne,
N'est pas un aimable séjour
Pour une dame de la cour.
Qui vous retient? Est-ce paresse?
Est-ce
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Madame DE SÉVIGNÉ,
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BUSSY,
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SÉVIGNÉ,
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SÉVIGNÉ,
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SÉVIGNÉ,
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PAPON,
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SÉVIGNÉ,
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SÉVIGNÉ,
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SÉVIGNÉ,