Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer
cinquante ans. A ce titre elle fut, en 1650, transmise par héritage à Guillaume III95, qui, à l'époque dont nous traitons, était le grand ennemi de Louis XIV, et commandait les troupes de la majeure partie des puissances coalisées contre lui. Peu après l'époque de la naissance de Guillaume, sa mère, la princesse royale, fille de Charles Ier, qui espérait l'appui de la cour de France, où ses deux frères Charles et Jacques II (le duc d'York) s'étaient réfugiés, conclut un traité qui permettait à Louis XIV de se mettre en possession de la principauté d'Orange et qui stipulait que, dans le cas où le roi pour cette prise de possession serait obligé d'employer la force, et qu'il consentît ensuite à la rendre, il pourrait préalablement faire raser les fortifications de la capitale. Mazarin, en vertu de ce traité, fit résoudre dans le conseil que l'on se saisirait de la ville d'Orange et de la citadelle. Le maréchal Duplessis-Praslin fut chargé de cette expédition. Il préleva sur les plus riches protestants de Nîmes un impôt qui fut destiné à payer le comte d'Hona, gouverneur d'Orange96.
D'Hona, après une faible résistance, rendit la ville et la citadelle au maréchal Duplessis-Praslin, qui, après avoir fait transporter tous les canons et les munitions de guerre dans la citadelle, y mit une garnison de cinq cents hommes. Duplessis alla ensuite rejoindre le cardinal Mazarin à Saint-Jean-de-Luz. Un ingénieur fut envoyé à Orange pour diriger le travail de la démolition des fortifications. Cette destruction de leurs remparts et ce changement de domination désolèrent les habitants et en firent fuir un grand nombre97. «Ce fut là, dit le pasteur de la maison de Guillaume III, le premier échec que reçut la ville d'Orange; il fit perdre à cette ville tout le lustre qu'elle avait sous le gouvernement du comte d'Hona, seigneur libéral, civil et magnifique, qui, tenant une cour aussi leste que celle des princes d'Orange eux-mêmes, y attirait une foule d'étrangers de toutes les nations, et la rendait un des plus agréables séjours de la France98.»
Après le décès de la princesse royale, la princesse douairière, veuve de Frédéric-Henri de Nassau et grand'mère de Guillaume III, eut la libre jouissance de l'administration des biens de son petit-fils. La principauté d'Orange rentra ainsi, en 1665, sous la domination hollandaise99. On fit alors de grandes réjouissances dans toute la principauté; les festins, les fêtes durèrent huit jours. Les temples protestants furent rouverts, et la foule vint entendre les prédications des ministres. Dans la ville d'Orange les fenêtres furent toutes illuminées, et des lampions de couleur y figuraient partout le chiffre du prince.
Dans le mois de janvier 1673, Guillaume ayant fait confisquer le marquisat de Berg-op-Zoom et d'autres lieux qui appartenaient au comte d'Auvergne du chef de sa femme, Louis XIV fit don de la principauté d'Orange au comte d'Auvergne, et ordonna au comte de Grignan de s'en emparer de vive force si celui qui y commandait voulait résister100.
Dire au comte de Grignan de se rendre maître de ce pays d'Orange, c'était l'envoyer à la conquête du berceau de son illustre maison et le ramener dans la patrie de ses ancêtres; car il était historiquement prouvé que le premier comte propriétaire d'Orange fut Giraud-Adhémar IV, auquel l'empereur Frédéric Ier, comme suzerain de l'ancien royaume d'Arles, accorda l'investiture des seigneuries de Monteil et de Grignan. C'est du nom de Monteil-Adhémar que, par corruption, est venu celui de la ville de Montélimar101.
Le comte de Grignan se porta avec un grand zèle à l'exécution de l'ordre qu'il avait reçu.
Un Hollandais, nommé Berkoffer, était depuis sept ans, pour Guillaume, gouverneur de la principauté d'Orange; il refusa de se soumettre aux injonctions du comte de Grignan, et, avec le petit nombre de soldats qu'il avait à sa disposition, il se retira dans la citadelle, et parut déterminé à se défendre à outrance. Le bruit courait que Berkoffer avait deux cents hommes avec lui, et l'on savait qu'il ne manquait ni de canons ni de munitions102. Grignan se vit donc dans la nécessité d'entreprendre un siége; et cependant Louvois s'était refusé à lui envoyer les troupes et l'artillerie nécessaires pour une telle entreprise. Ce fut pour madame de Sévigné une cause d'inquiétude et d'angoisses. Elle redoutait les dangers, et s'affligeait de la dépense; et si son gendre ne réussissait pas, elle voyait le triomphe de l'évêque de Marseille assuré: toutes les négociations conduites avec tant de labeur et d'adresse pour faire nommer le marquis de Buous devaient échouer alors infailliblement. Les uns épouvantaient madame de Sévigné en exagérant les difficultés du siége; les autres la rassuraient et même la raillaient sur le peu de fondement de ses craintes. De Guilleragues,
Esprit né pour la cour et maître en l'art de plaire103,
ne tarissait pas sur ce sujet. Selon lui104, il ne fallait que des pommes cuites pour venir à bout de ce siége. C'était un duel entre Berkoffer et Grignan; donc il fallait couper le cou à Grignan, parce qu'il enfreignait les ordonnances contre les duels; et lui, Guilleragues, déjà demandait sa charge. Mais le marquis de Gorze, grand sénéchal de Provence, et de Vivonne prétendaient au contraire que le siége d'Orange serait long; qu'il était plus difficile qu'on ne croyait; que la citadelle était entourée de bons fossés, bien pourvue de canons, et avait des forces suffisantes pour faire une vive défense; qu'enfin M. de Grignan, avec sa petite troupe, avait tort d'entreprendre de forcer le gouverneur. Le duc d'Enghien et la Rochefoucauld assuraient qu'il ne réussirait pas105; que l'attaque d'une place de guerre exigeait des connaissances militaires spéciales, dont Grignan était dépourvu.
Tandis qu'on tenait ces discours, le comte de Grignan, quoiqu'il fût saisi de la fièvre106, ne se laissa pas décourager. Le ministre ne lui donnait ni argent ni soldats. Il fit prier cinq cents gentilshommes de la province de venir le joindre. Pas un ne refusa de répondre à son appel. Plusieurs nobles du comtat d'Avignon vinrent à sa rencontre sans avoir été convoqués: marque de sympathie qui le toucha vivement. Ainsi, à la tête d'environ sept cents cavaliers et de deux mille soldats des galères, qu'il avait commandés, Grignan se mit en marche le 31 octobre, et arriva le 2 novembre devant Orange avec sa petite armée, munie de quelques canons.
Il commença aussitôt le siége de la citadelle. On remplit les fossés avec des fagots et des mannequins fournis par la ville d'Orange, d'après les réquisitions faites aux magistrats107. Berkoffer voulut en vain s'opposer aux travaux des assiégeants par quelques volées de canon. Deux gentilshommes, le marquis de Briancour et M. de Roays, se distinguèrent par leur bravoure.
Le 12 novembre la tranchée fut ouverte, et le comte de Grignan ordonna l'assaut. Le marquis de Barbantane108, d'une valeur romanesque, selon madame de Sévigné, et M. de Ramatuelle commandaient l'escadron des nobles destinés à soutenir les soldats qui étaient sur la tranchée. Après que le comte de Grignan eut fait tirer deux décharges de canon, Berkoffer fit battre la chamade109, et M. de Beaufin fut admis dans la place. Le gouverneur promit de se rendre le 17, et l'on donna des otages de part et d'autre. Berkoffer avait assez d'artillerie pour faire acheter cher le triomphe aux assiégeants; mais il eût fallu abîmer la ville, ruiner ses amis: il aima mieux se rendre.
Le 18 novembre (1673), la garnison sortit de la citadelle sans aucune marque d'honneur; elle se composait de trente et un hommes; tous eurent la liberté d'emporter ce qui leur appartenait. Berkoffer se retira en Hollande avec sa famille110.
Le comte de Grignan fit démanteler la citadelle deux jours après son entrée; il y trouva douze canons de trente-six de balles de bronze, quarante petites pièces de campagne, deux coulevrines et onze autres pièces de moyen calibre, sept cents mousquets, deux cents fusils, des piques, des mousquetons,
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Guillaume-Henri de Nassau.
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J. CONVENENT,
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J. CONVENENT,
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Dom CLÉMENT,
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J. CONVENENT,
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Boileau, épître V, t. I, p. 320 à 321, édit. de Saint-Marc, 1747.
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SÉVIGNÉ,
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SÉVIGNÉ,
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SÉVIGNÉ,
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SÉVIGNÉ,
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