Les etranges noces de Rouletabille. Гастон Леру
s'étaient d'abord réfugiés, dans les caves où ils espéraient être plus en sûreté.
Ivana suivait Rouletabille comme une ombre… ses gestes étaient ceux d'une automate… En vérité, depuis la mort de Gaulow, elle semblait avoir perdu la raison… Quelquefois un étrange et désolé sourire apparaissait par instant sur cette face de morte quand Rouletabille lui parlait, et ajoutait à l'allure générale de démence qui frappait en elle…
Maintenant ils étaient terrés dans cette cave… et ils pouvaient espérer y passer quelques heures tranquilles jusqu'à l'arrivée du gros de l'armée bulgare quand, par les soupiraux qui donnent sur la place, ils aperçurent un mouvement qui les intrigua et bientôt les effraya… C'étaient toutes les familles osmanlis qui revenaient dans le village, persuadées qu'elles n'avaient plus rien à craindre, et se réinstallaient à domicile.
N'ayant pas trouvé de quoi se loger à Almadjik, elles s'étaient laissé facilement convaincre par les raisonnements optimistes du chef du détachement et s'étaient remises en route pour rentrer chez elles derrière les troupes.
La demeure abandonnée dans laquelle les reporters s'étaient réfugiés allait donc se trouver de nouveau occupée: ils pouvaient redouter d'être à chaque instant découverts. Or la première entrevue qu'ils avaient eue avec l'agha n'était point pour les encourager à avoir une confiance illimitée dans l'hospitalité turque, surtout depuis qu'ils savaient qu'ils avaient été dénoncés aux autorités comme des agents de Sofia.
Si on les fouillait, ils n'avaient sur eux que des laissez-passer bulgares et ils pouvaient être fusillés sur-le-champ, comme espions.
Le propriétaire de la bâtisse, l'une des plus importantes du village, fit bientôt son entrée dans la cour avec sa famille, ses femmes et ses domestiques. Ces gens étaient suivis des charrettes sur lesquelles ils avaient entassé leur mobilier… Ils passèrent une partie de la nuit à les décharger, cependant que, sur la place, les réguliers et les bachi-bouzouks devisaient en fumant et en buvant du raki autour de grands feux.
C'est en vain que nos jeunes gens essayèrent plusieurs fois de sortir… Ils n'avaient pas plus tôt risqué quelques pas dehors qu'ils étaient obligés de regagner leur retraite s'ils ne voulaient pas être découverts. Au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient, leur situation devenait plus tragique: ils n'attendaient plus l'armée bulgare avant la journée du lendemain et ils ne doutaient pas que, pour une raison ou pour une autre, leurs hôtes ne descendissent bientôt dans les caves.
–Si encore elles étaient pleines de vin! soupira La Candeur, qui ignorait les lois du Prophète et qui, depuis le donjon où il avait cru trouver la mort, s'efforçait, de temps à autre, à se donner des airs de bravache et affectait, par désespoir, de rire de tout… Ça n'est pas plus désolant qu'autre chose de passer sa vie dans une cave quand elle est bien garnie… Ainsi, Rouletabille, rappelle-toi, dans les Trois Mousquetaires, rappelle-toi Athos assiégé dans une cave, et le massacre de bouteilles qu'il faisait!…
–Mon pauvre La Candeur… dit Rouletabille, tu n'as vraiment pas de veine… je t'ai conduit dans un pays où le massacre des bouteilles est le seul qui soit défendu!
Et comme si l'événement voulait lui donner raison, des cris terribles montèrent tout à coup dans la nuit, au milieu d'un grand bruit de bataille.
Des coups de feu se faisaient entendre aux quatre coins du village et toute la soldatesque qui remplissait la place disparut en un instant, fuyant dans un désordre indescriptible, abandonnant armes et bagages.
–Ça ne peut-être que les Bulgares qui reviennent, s'écria Vladimir! nous voilà bons!
Et il était déjà prêt à se jeter dehors, mais Rouletabille le pria de se tenir tranquille…
En effet, bien que ce fût, comme il était à prévoir, une des colonnes de la troisième armée qui traversait le village, il était bien dangereux de se montrer à cette heure, où la rage des comitadjis qui avaient rejoint cette colonne et la fureur des soldats que leurs officiers étaient impuissants à retenir, anéantissaient tout, tuaient tout.
Des clameurs de mort, les cris des femmes et des enfants que l'on égorge allaient faire frissonner les reporters au fond de leur retraite…
Les Bulgares mettaient à sac les maisons et faisaient autant d'innocentes victimes que les Turcs eux-mêmes. Le sang payait le sang.
Sur la place de ce petit village, les reporters assistaient dès la première heure de la lutte à toute la guerre balkanique et à ses hideuses représailles. Du courage, de l'héroïsme et des atrocités!
Ils avaient vu les pauvres paysans bulgares assassinés par les Turcs: maintenant, ils regardaient avec horreur les familles turques massacrées par les Bulgares.
Par les soupiraux de la cave, rien ne leur échappait de ce qui se passait sur la place où s'étaient réfugiés, derrière la porte à demi consumée de la mosquée, des femmes et des enfants. Les malheureuses victimes poussaient des cris déchirants et tendaient en vain des mains suppliantes… Les comitadjis qui, tous, avaient quelque membre de leur famille à venger, n'en épargnaient aucune. Longtemps Rouletabille et ses compagnons devaient être poursuivis par le hideux cauchemar de cette affreuse nuit. Misérable terre où depuis des siècles s'accumulaient tant de sujets de discorde; les uns et les autres se la disputaient au nom de la justice et de la fraternité, prétendant chacun qu'ils avaient des populations asservies à délivrer!
–Eh bien! ils les délivrent tous! exprimait avec une amère mélancolie le brave La Candeur… Oui, ils les délivrent de la vie!… Quand les Turcs ont passé et que les Bulgares sont partis, la population peut être tranquille, elle n'existe plus!…
Et il conclut, étrangement prophétique: «Au fond, ces gens-là ont les mêmes goûts. Ils doivent être de la même race: ils ne sont pas faits pour se combattre, mais pour s'entendre!…»
Ivana s'était détournée pour ne point voir et Rouletabille constata même qu'elle se bouchait les oreilles pour ne pas entendre. Soudain, une petite fille qui avait échappé aux comitadjis fit le tour de la place en courant, en criant et en pleurant.
La pauvre petite avait été découverte tandis qu'elle se cachait sous un amas de cadavres qui étaient sans doute ceux de sa mère et de sa famille, et maintenant elle fuyait devant un grand diable de Bulgare qui courait derrière elle, le sabre nu.
Rouletabille n'avait pu retenir une sourde exclamation de pitié à laquelle répondit une injure de La Candeur à l'adresse du soldat barbare.
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