Entre ombres et obscurités. Willem Ngouane
du déroulement des choses, monsieur m’avait plutôt montré les fruits qui accompagneront notre sacrifice. Effectivement la connaissance par l’opinion publique de la violence des manifestants face à une pauvre délégation pourtant venue leur tendre l’oreille réduirait énormément la sympathie généralisée dont faisaient l’objet les grévistes et la position de force changerait donc désormais de mains.
Il ne fallut rien de plus pour me faire oublier le massage à l’eau tiède que ma tendre épouse m’avait administré pour calmer les douleurs ressenties dans mes muscles dorsaux, occasionnées par cette inhabituelle activité sportive supportée la veille. Je me laissais alors complètement assujettir par la brillantissime logique de ce sage qu’était monsieur le ministre, et culpabilisais presque d’avoir fait preuve d’un égoïsme barbant. Il avait réussi à complètement me retourner la cervelle, moi qui venait me rendre justice je me retrouvais à me flageller pour me punir de mon incapacité à lire les faits d’une distance hautement spirituelle. Mais si! Lui aussi avait vu le respect qui est supposé lui être accordé être foulé au pied par ces gens, mais il ne s’en plaignait pas pour autant, il regardait plutôt vers l’avenir et reprenait la main dans cette crise. Naturellement, étant loin d’être machiavélique, mon cher patron ne pourrait en aucun cas abuser de son état de dominance et devrait plutôt tranquillement apporter une solution qui calmerait les esprits en tuant les plus durs ressentiments dans la profondeur où ils se hasarderaient à se cacher. Je lui aurais attribué le prix Nobel rien que pour sa sagesse, sa vision et son affuté!
Je transmis cette clairvoyance des choses très rapidement à Christian quand il vint lui aussi me plaindre plus tard dans l’après-midi de ce même jour. A lui aussi il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour rompre le verrou de son indignation et pénétrer dans la célébration de la victoire que nous venions de remporter en cette période morose que nous traversions au ministère. Nous nous laissions aller à une exaltation à cause de cette résolution de crise, en louant la lucidité de notre cher patron et sa capacité à toujours remettre les choses en ordre.
– C’est visiblement la semaine des bonnes nouvelles Paul! J’ai invité Caroline à sortir et elle a accepté, avait-il ajouté dans la foulée de notre ambiance joyeuse.
Cette autre nouvelle me plut au plus haut point, même si une petite culpabilité intérieure me gênait du fait de l’entrave au règlement que constituait cette relation amoureuse naissante. En tant que chef de département surtout supérieur hiérarchique du très entiché Christian, je me devais de faire respecter les règles notamment celle qui prohibait les rapports intimes entre deux collègues d’un même service. Mais à ce moment-là j’étouffai sans aucun scrupule toute intention de rappel à l’ordre à ces amants illicites en me consolant de n’avoir fermé les yeux que sur une petite entrave de la part d’un employé qui a toujours fait preuve de la plus grande droiture, il n’y avait aucune raison pour me laisser submerger par une quelconque impression d’irresponsabilité de ma part. Je lui exprimai même mon immense enchantement devant cette idylle débutante, et lui souhaitai tout le meilleur du monde dans cette quête que j’avais savamment déclenchée. Caroline ferait une très bonne épouse pour lui, moi-même étant en couple avec une Caroline, je pouvais l’assurer du moins à cause du prénom la qualité de sa future compagne.
Nous fûmes surpris dans notre élan de gaieté par l’arrivée soudaine d’André dans mon bureau, qui comme à son habitude avait d’abord dû déranger la pauvre Jasmine des minutes durant et n’ayant pas pu bénéficier d’une suite positive à ses avances, il avait certainement déposé toute sa frustration sur la poignée de ma porte avant de débouler sans frapper dans mon bureau comme dans une pétaudière. On ne peut pas dire qu’entre ce dernier et Christian il règne une amitié passionnée, bien au contraire il s’agissait plus d’une inimitié inavouée dont leurs comportements de respect mutuel faisaient l’effort d’en cacher l’amplitude.
Tout les opposait! Contrairement à Christian, André était un mec aux manières moyenâgeuses, dragueur à tout bord et très prétentieux. Mais aussi bizarre que cela était, il n’était pas seulement un collègue mais aussi mon ami de depuis bien des années.
– Alors c’est comment Paul? J’ai suivi que vous avez été presque dévorés hier! disait-il en ricanant comme une hyène heureuse de voir le lion laisser sa proie pour qu’elle en profite.
Ces rires égaux à de vraies nuisances au sens auditif sonnèrent le glas de la patience de Christian qui comme à son habitude respectueuse, décida de manifester son mécontentement en s’en allant simplement, ne supportant plus de voir cette gourde d’André se moquer aussi aisément du malheur d’autrui.
Un gênant moment silencieux prit place ensuite et avant que mon nuisible ami n’y mette un terme en disant :
– Et si on allait oublier tout ça devant une bonne bière mon cher Paul!
Le plus désolant chez cet homme était le fait qu’il permettait rarement aux gens de voir ses bons côtés. Il était la première victime de ses conneries mais il commençait quand même à prendre conscience des inimitiés que posait sa conduite, et essayait de se rattraper de ses erreurs. Malheureusement son action après coup n’était pas suffisamment forte pour faire oublier le tsunami occasionné par la nocuité de ses actes.
Trente minutes plus tard, nous nous asseyions tranquillement dans ce bar-restaurant situé à quelques deux cents mètres de notre lieu de service, un bar privé hyper sélectif, où seules de grandes personnalités ont accès. L’établissement profitait du besoin d’intimité qu’éprouvent certaines personnes de l’élite dans leurs saines détentes et avait fait de sa qualité dans la gestion de la clientèle son fer de lance. Rapidement entrainés dans une atmosphère bruyante mais tout autant savoureuse, nous nous camouflions dans cette forêt, tentant de ne pas trop se faire remarquer malgré la bonne réputation de l’établissement jusqu’au moment où André commença à lancer de petites flatteries à une serveuse qui les recevait visiblement plutôt bien avec un sourire flatté, une jeune demoiselle à la lourde poitrine, un visage peu enchanteur, mais suffisamment noyé dans une silhouette provocante qui ferait se retourner plus d’un.
Alors que je me débattais à couvrir la gêne que causait la bestialité de mon collègue, qui vis-je! Dame! La jeune Caroline à l’entrée du restaurant bras dessus bras dessous avec un homme à première vue autre que le timide Christian!!! Et pourtant, il y avait à peine quelques heures de cela, ce dernier me disait sa joie de commencer une aventure amoureuse avec elle, terrible désillusion! Son apparence d’ange m’avait donc menti! Comment n’ai-je pas pu être plus méfiant devant cette inconnue avant de la conseiller à ce gentil gars. Le pauvre jeune homme, s’il savait que sa belle faisait les restaurants avec une compagnie masculine autre que la sienne… Quelle désolation!
Mais je n’étais cependant pas encore au bout de mes surprises! Cet homme qui la tenait amoureusement par le bras, cette corpulence, ces manières, cette élégance me rappelait quelqu’un: monsieur le ministre! Oui c’était bel et bien lui! Bon Dieu que faisaient-ils là à batifoler dans un restaurant?
Immense stupeur! Je n’arrivais pas à en croire mes yeux! Fallait-il commencer à me questionner de ce que la situation pouvait laisser penser? Fallait-il y voir la confirmation de ce que les bruits de couloir affirmaient depuis plusieurs mois? C’était sûr que si André voyait ce qui se déroulait devant nous ce serait le comble, lui le principal animateur des rumeurs qui faisaient de monsieur le ministre un cavaleur de première, lui qui m’accusait d’être trop naïf à chaque fois que je m’insurgeais contre ce qu’il me semblait être des commérages abjects. Fort heureusement il était toujours perdu dans ses tentatives de séduction de sa nouvelle conquête.
Je ne les quittais plus des yeux. Ils avaient choisi de s’asseoir côté restaurant à l’abri des regards comme s’ils se savaient guettés, ce qui a encore plus éveillé mes soupçons. Etait-ce un sain besoin d’intimité pour justement éviter de malsaines conclusions comme la mienne ou alors devrais-je réellement m’inquiéter d’une infamie? J’en tremblais de stupéfaction!
Deux minutes plus