Entre ombres et obscurités. Willem Ngouane
n’avait eu droit à une place dans mon véhicule jusqu’alors. Le pis était qu’elle occupait justement le siège passager habituellement voué à Caroline. La crainte de croiser madame Endenne dans une rue et de devoir témoigner de la stupéfaction qu’elle aurait face l’image d’une autre femme, qui plus est jolie, en compagnie de son homme, me dérangeait et m’empêchait de donner toute mon attention à mon invitée.
Heureusement, les remerciements sincères et répétés de Christine changèrent complètement mon état d’esprit en me faisant sentir la fierté d’un sauveur venu à la rescousse d’une pauvre personne qui risquait de souffrir des heures, immobile à attendre la venue d’un de ces véhicules jaunes. Je constatai la fraicheur frappante de la demoiselle malgré son changement professionnel et la couleur éblouissante de sa peau qui, pourtant sombre, témoignait d’une toilette de haute qualité. Son parfum enivrant faisait irruption dans mes cavités nasales et ne ressortait qu’après avoir bercé dans une sensation de jouissance mon odorat devenu en un temps record sous l’addiction de cette magnifique fragrance! Elle rangeait ensuite sa longue chevelure faite de mèches brésiliennes. Sans toutefois me donner l’audace d’une quelconque expertise d’esthéticien, je puis assurer de la valeur de ce dernier artifice qui, en m’aventurant à en faire une estimation, devait valoir plus de trois mois de salaire d’un cadre d’entreprise. Je ne me rappelle pas avoir ne serait-ce qu’un peu été séduit par la demoiselle du temps de ses fonctions au ministère, mais là je puis dire qu’elle dégageait un certain charme insoupçonnable, la jeune petite fille avait bien grandi.
Lorsqu’elle se mit à se refaire une beauté et à user de sa trousse de maquillage, nos yeux se croisèrent sur le rétroviseur en provoquant un frisson incommodant sur nous. Avec la plus grande promptitude, je dégageai mon regard de ce miroir et la laissai continuer son art. Je n’imaginais pas un tel changement physique chez cette chère Christine, tous ces artifices, toute cette fraicheur et que dire de sa joie de vivre, tout cela trahissait une certaine évolution. Le rebond de la demoiselle à côté de moi était remarquable, sa beauté et sa classe semblaient plus éblouissantes comparées à celles de ces heures en tant qu’employée dans l’administration publique. L’envie de m’actualiser sur sa situation me martyrisait désormais, mais j’avais du mal à transcender ma timidité face à la gente féminine, et ma curiosité s’étouffait dans les profondeurs de ma pensée. Le silence qui n’est d’habitude pas attendu dans les retrouvailles en général, encore moins dans le cas d’anciens collègues, gouvernait pourtant sans ombrage dans le véhicule, encouragé par le comportement des deux occupants dont elle, qui continuait à peindre son visage avec le plus d’acuité possible et moi, qui n’opposais guère de sérieuses objections à mes habitudes de garçon introverti. Une brèche vint ensuite à mon secours lorsque je lui indiquai, bousculé par mes réflexes, la nécessité de l’usage de la ceinture de sécurité: il n’en fallut pas plus pour détendre l’atmosphère et délier les langues.
– Alors qu’est-ce que tu deviens Christine? lui demandai-je avec une tonalité trahissant l’idée fixe que je m’étais déjà faite de sa réponse.
– Je suis là, je me débrouille…
Par cet élément de langage couramment utilisé dans notre pays, elle essayait de s’inscrire en faux contre mes sournoises insinuations et d’y protester un modeste train de vie, loin de la surestimation que j’avais faite juste en me fiant à des détails superficiels insuffisamment tangibles. Elle me condamnait à devoir conclure que tous ces artifices qui l’ennoblissaient m’avaient tout simplement envoyé vers la mauvaise direction.
– Tu te débrouilles bien alors, tu es toute rayonnante là, lui rétorquai-je.
Elle esquissa alors un sourire soulignant sa beauté enfantine, mit un petit temps à répondre à ma déclaration en regardant droit devant elle, fuyant mon regard de manière explicite, et finit par confirmer ce que mes remarques suggéraient.
– Je travaille dans le cabinet d’affaires Déporté, je me bats là-bas.
Je sursautai d’emballement en entendant cette réponse, elle certifiait tout ce que son élégance trahissait, seul un salaire dans une société de cette stature pouvait justifier cet agréable changement. C’est tout simplement le meilleur cabinet d’affaires dans notre pays, les employés de cet établissement n’ont rien à envier aux hauts cadres de la fonction publique, l’évolution que je soupçonnais était plus grande que ce que je m’imaginais.
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