Entre ombres et obscurités. Willem Ngouane
de le trouver dans ses locaux, lui qui en général était affairé aux activités sur le terrain. Je fus chanceux de le croiser pile au couloir entrain de vaquer aux obligations de son emploi du temps en laissant son bureau dans le désert auquel il s’était habitué. Je le découvris en charmante compagnie, la petite Caroline le suivait avec toute la sagesse et le dévouement caractéristique de tout stagiaire soucieux de préserver ses maigres chances d’être titularisé. Ils avaient vraiment l’air complice, elle l’écoutait attentivement et lui, s’appliquait à lui prodiguer des conseils. Il débordait de bonheur Christian, dire qu’il ne se sentait pas séduit par l’innocente beauté de la jeune demoiselle serait un pur mensonge, je ne l’avais jamais vu aussi content. Christian était le gendre idéal, un jeune homme surdoué, d’un professionnalisme précoce, j’admirais beaucoup son sens du travail et de la discipline. Il comblait par ces valeurs son physique peu enchanteur: une maigreur à en rendre jalouse ma corpulence, un visage fin et sec et une bonne tête de cocu! La vision de leur entente me fit imaginer le beau couple qu’ils pourraient former tous les deux. En fait l’idée me satisfaisait énormément, je trouvais préférable qu’elle soit l’amoureuse d’un si gentil gars au lieu d’être la victime des appétits pervers des renards du bureau, je me fis d’ailleurs la promesse d’œuvrer de manière subtile à la réalisation de ce rêve. C’est ainsi que je me préparais à lui glisser discrètement mes insinuations.
– Alors les jeunes, ça se passe bien? Caroline, il prend bien soin de toi j’espère? leur demandai-je en prenant mon ton paternel de circonstance.
Mais alors que la question ne lui était pas spécialement destinée, Christian prit très vite les devant :
– Bonjour Paul, commença-t-il, mais bien sûr que je prends bien soin d’elle, poursuivit-il. Et très bientôt elle pourra être apte à aller faire les descentes en communication dans les écoles, insista-t-il en regardant la jeune demoiselle comme pour solliciter d’elle la confirmation de ses dires. Celle-ci ne le fit d’ailleurs pas longtemps attendre en appuyant promptement ses affirmations :
– Ça se passe très bien monsieur Paul. Monsieur Christian me forme vraiment très bien, affirmait-elle en lui jetant un regard complice jusqu’à l’entrainer à rougir de bonheur!
– C’est bien, j’aime le fait que ton intégration se fasse aussi efficacement, c’est du bon boulot Christian.
Ils restèrent quelques secondes le sourire dévorant le reste du visage et confirmant mes présomptions. La complicité entre eux sautait aux yeux, et il y avait de quoi présager la naissance prochaine d’une idylle entre la demoiselle à la frimousse angélique et le jeune cadre au dynamisme et au professionnalisme admirable.
Malgré l’atmosphère bon enfant qui régnait je n’eus guère autre choix que d’y mettre un terme, étant donné la pressante nécessité d’une consultation en aparté avec mon jeune collègue pour commencer à dénouer l’épine que constituait l’affaire des grévistes. Ce fut presqu’un crève-cœur de les voir se séparer et d’entendre la douce voix aigüe de la petite Caroline nous dire « à toute à l’heure”. En à peine un mois leurs personnes s’étaient tellement attachées qu’ils devaient souffrir de devoir ne pas être ensemble pendant de longues minutes. Je vis le regard passionné de Christian suivre la démarche de top model de sa mignonne stagiaire, qui disparaissait dans ce long couloir jamais parut aussi court pour lui à cet instant, que c’est beau d’être amoureux!
– Tu vas devoir rappeler ton contact, il faut qu’on ait une rencontre dans les brefs délais, le patron met une énorme pression sur le dossier, lui dis-je sèchement.
Comme sorti d’un long et doux sommeil rythmé par un rêve fantastique, il mit un bout de temps avant d’entrer dans la conversion, toutefois son professionnalisme de tous bords ne l’abandonna pas malgré l’asphyxie qu’il subissait sous une horde de sentiments émotifs.
C’est ainsi qu’il se remit tout de même de ses émotions mais constata que je l’avais démasqué. Il réagit alors promptement en poussant ma concentration à se détourner de ce moment de faiblesse dans lequel il venait de s’illustrer.
– Finalement il n’est pas revenu sur sa décision ce malgré les arguments que tu lui as présentés… me répondit-il, le regard contrarié.
– Je t’assure, espérons qu’on pourra arriver à un compromis avec leur leader, et surtout que la popularité du boss ne s’en ressortira pas plus écorchée.
– Espérons… connaissant la fougue de ces gars, j’ai peur…
Je me sentais malheureusement confirmé dans mes appréhensions, nous étions en position de faiblesse, mais nous nous apprêtions quand même à aller dans un territoire ennemi, face à de véritables rapaces qui n’allaient nous faire certainement aucun cadeau, il y avait de quoi être inquiet!
Nous restâmes encore quelques minutes à réfléchir sur la meilleure approche à avoir pour mener à bien cette périlleuse sortie, étant résolus à devoir aller contre notre conviction commune et à souffrir de devoir foncer droit dans le mur.
Le soutien de Christian était plus que louable, le fait était que l’affaire ne le concernait que très peu, il ne devait pas être de cette effrayante expédition mais par amitié et surtout à cause de son trop plein de dévotion au travail et de disponibilité aux autres, il mettait quand même toute son énergie pour aider à la réussite de cette entrevue. Je ne pouvais que le remercier de cela, en plus de son aide déterminante dans l’établissement du premier contact avec les porteurs de la revendication.
C“était un bosseur, un homme rempli d’enthousiasme, permanemment focalisé au travail et à rien d’autre! C’est l’autre raison qui me poussa à encourager la possibilité d’une aventure entre lui et Caroline, elle constituerait une meilleure distraction à mes yeux pour le formidable travailleur qu’il était. Cela éloignerait les chances de le voir tomber sous les griffes d’une de ces croqueuses d’hommes il faut protéger les bonnes âmes.
C’est ainsi que je revins sur ce sujet quelques instants plus tard :
– Alors Christian, dis-moi, elle te plait la petite… Avoue qu’elle te plait.
Après avoir fait mine de ne pas savoir de qui je parlais, il esquissa un léger sourire puis se rétracta dans sa timidité défensive, essayant ainsi de cacher son béguin. Mais j’insistai de plus belle, appuyant ma question avec plus de tact pour mieux le mettre en confiance et établir un climat dans lequel il se sentirait plus à l’aise à laisser parler son cœur.
– C’est vrai qu’elle est jolie, et très sympathique…
– Mais… ajoutai-je en discernant le scepticisme qu’il affichait sur son visage plissé, il se sentit une fois de plus cerné dans son esprit et ne comprenait pas comment je pouvais aussi facilement anticiper ses réactions, s’il pouvait s’imaginer que j’étais loin d’être devin mais plutôt qu’il était facile à lire comme personnalité…
Il resta un moment calme, gêné par mon insistance avant d’ajouter :
– Ah je ne sais pas… Serait-elle intéressée par le gars que je suis? Elle est vraiment très jolie, les filles comme elle ne sortent qu’avec des ministres!
– Pourquoi dis-tu cela, tente ta chance mon gars, elle a l’air de beaucoup t’apprécier.
Son manque d’assurance ne me surprenait pas, à trop être droit on ne peut pas développer des qualités de cavaleurs. Christian me renvoyait l’image d’un gars toujours sérieux, n’ayant certainement jamais connu les joies de la nuit, et n’ayant assurément qu’à de très rares occasions vécu des amourettes, sa naïveté était semblable à celle d’un préadolescent. Dans tous les cas, j’avais réussi à au moins lui mettre l’idée dans la tête en espérant qu’il saurait prendre les choses en main et déclarer sa flamme à la très jolie Caroline.
Constatant qu’il se perdait maintenant dans l’ambigüité que constituait sa situation, mais aussi qu’une