Entre ombres et obscurités. Willem Ngouane

Entre ombres et obscurités - Willem Ngouane


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confidence. Sachant en plus que c’était justement pour être proche de toute information que je me suis risqué à faire chemin dans ce train à grande vitesse, mes interrogations se mêlaient à une amère frustration. J’étais rendu à devoir deviner notre prochaine destination qui devenait de plus en plus claire au fil des minutes à travers les chemins choisis par le chauffeur. Mes intuitions, tournant autour d’une escale dans un établissement hôtelier certainement pour y tenir une réunion improvisée, augmentées ensuite dans leur intensité une fois que nous entrions dans le quartier d’affaires de la ville, se confirmèrent lorsque je découvris se rapprocher le grand portail du palace le plus chic de toute la capitale, le seul cinq étoiles du pays: l’hôtel Atlantique. Un merveilleux endroit, autant renommé par sa qualité de service que par sa beauté et son design, mais sélectif en tout bord pour ceux qui ne se sentiraient pas suffisamment dissuadés par les prix exorbitants des chambres. Malgré la splendeur de l’établissement, le sentiment intrigué qui m’avait gagné depuis la marginalisation informationnelle dont j’avais fait l’objet se trouvait étrangement grandi lorsque nous pénétrions le cinq étoiles. Il m’était difficile de chasser de mon esprit les autres faits, moins glorieux, qui faisaient aussi la réputation de cet endroit. De nombreuses légendes circulaient autour de pratiques mystiques au sein de cet hôtel et, plus grave encore, il était avéré que ce lieu constituait un véritable bordel de luxe. Alors quand j’ajoutais à mes questionnements le fait que notre visite reste exceptionnelle et surprenante puisque l’hôtel en question ne constituait pas les habituelles destinations du ministre, je voyais les anciennes rumeurs faisant de mon patron un homme aux lourds secrets et aux pratiques sombres me prendre de nouveau en otage alors même que je les croyais mortes depuis qu’il avait été démontré qu’elles étaient infondées. Troublé par ces obscurités, je me laissais aller dans des imaginations en tout genre durant toute la période au cours de laquelle nous l’attendions assis au rez-de-chaussée depuis qu’il était monté sans une fois de plus rien me dire. Le doute adore l’inconnu, et dans l’inconnu j’étais bien noyé, pas seulement du fait de cet établissement de haut standing dont l’intérieur m’émerveillait et m’intriguait en même temps, mais surtout à cause des minutes qui se transformaient en heures sans que nous ne revoyions le ministre redescendu avec le seul garde du corps qui l’avait accompagné vers l’ascenseur plus tôt.

      L’attente finit par prendre fin et le ministre finit par mettre un terme à mes doutes en sanctionnant la malice qui avait profité de l’inconnu dans lequel il m’avait laissé, il s’excusa de ne m’avoir pas informé et me confia que l’urgence familiale était la cause de ses curieux agissements. Je ne pus guère insister d’avoir plus amples explications que celle-là puisque obnubilé par tant d’humilité de la part de ce grand homme!

      A peine sortis de l’immeuble en prenant la direction du garage, nous fûmes brusqués par un groupe d’enfants de la rue qui vint à notre rencontre en mendiant. Il s’agissait de quatre garnements caractérisés d’une pestilence accentuée et visiblement affamés. Leur paraître justifiait la pauvreté dans notre pays. Les cheveux crépus sur leurs têtes augmentaient l’aspect de chien errant qu’ils partageaient tous. La saleté qui les caractérisait contrastait parfaitement du luxe qui les environnait et rendait presque brutale leur présence dans ce lieu en questionnant la qualité du travail des agents de sécurité de l’hôtel. Les nerveux gardes du corps du ministre quant à eux ne laissèrent pas bien longtemps l’occasion de douter de leur efficacité, ils sautèrent sur ces gamins et les saisirent rudement.

      – Laissez! Laissez! se mit à crier le ministre en nous rendant tous abasourdis par sa réaction. Malgré la notoriété de sa bonté, l’énergie contenue dans sa réplique paraissait quand même démesurée.

      Il prit ensuite un des enfants à l’écart, ce devait être le plus âgé d’entre eux.

      – Que faites-vous là? lui demanda-t-il.

      – Mes parents sont morts monsieur. Je suis avec mes frères, nous essayons de trouver quelque chose à manger. Nous vendions des arachides et cirions les chaussures des passants quand on nous a tout volés l’autre jour.

      – Humm, s’exclama-t-il avant d’appeler un de ses gardes pour lui donner quelques consignes.

      Aussitôt nous entendions les enfants manifester leur allégresse avec des expressions de reconnaissance envers leur inattendu bienfaiteur. Il m’a été impossible de connaitre l’objet de leur joie soudainement retrouvée, mais la beauté du geste de mon patron me stupéfia durant tout le reste du trajet retour vers nos bureaux. Il y avait à cette époque-là une recrudescence du nombre d’enfants dans les rues. Beaucoup quittaient leurs villages pour tenter une aventure dans les villes, d’autres étaient issus de familles pauvres résidant dans la cité, mais restaient comme ultimes secours de leurs parents pour la plupart en situation de chômage et de misère. J’avais une opinion contrastée sur le sujet, autant j’éprouvais de la compassion pour ces enfants qu’on livrait à l’incertitude de la rue, autant je ressentais du dégout envers ceux qui les y envoyaient, mais aussi envers ceux qui pouvaient changer les choses mais dont les actions restaient soit absentes soit insignifiantes. Tout ce qui venait de se passer m’avait définitivement fait oublier cette inattendue escapade à l’hôtel Atlantique, même de retour au bureau je n’eus de cesse d’y repenser, j’étais dépassé par tant de bonté.

      La soirée venue, je n’hésitai pas à raconter ma journée à Caroline en insistant surtout sur les derniers évènements à l’hôtel Atlantique. Mais comme d’habitude, surtout quand le nom du ministre était engagé, mon épouse ne retint que les points négatifs. Elle se plaignit d’abord du danger auquel nous avions été confrontés entre les mains des brigands au village Waloua, puis suivit ensuite le chemin des rumeurs dans ses insinuations lorsque nous rediscutions de l’inopinée escale de la délégation au cinq étoiles. Elle n’hésita pas à dire sa méfiance devant cette inaccoutumée destination du ministre, et me conseilla la prudence au cas où ce dernier envisagerait de se rendre à nouveau dans ce genre d’endroit.

      Fort heureusement, pour une fois, nous ne nous étions pas trop étalés sur ce sujet, et n’avions pas donné le spectacle navrant d’une argumentation agitée portant généralement sur la personne de mon patron.

      Il faut dire que la vie au travail et la personne du ministre s’invitaient dans presque toutes nos conversations à la maison. Ce travail était comme une seconde famille, et plus encore, une sérieuse concubine pour Caroline, c’est ce qui justifiait son comportement de rivale possessive et aigrie cherchant inlassablement à mieux connaître son ennemi pour mieux le railler. La majeure partie de ses opinions sur le ministère et surtout sur le ministre était négative. Mon patron qui pour moi était un homme admirable, un modèle pour la société, avait une tout autre image chez mon épouse. Elle trouvait qu’il était une mauvaise influence, qu’il avait un mauvais côté bien caché et qu’il essaierait de m’y entrainer tôt ou tard, tout cela sans justifier ses dires. N’empêche qu’elle avait fort bien raison de laisser parler sa frustration, je ne peux compter le nombre de fois où elle a dû dormir seule, couper des repas après un coup de fil reçu de ma part. Le plus dur pour elle restait la passion avec laquelle je parlais de mon activité et la puissance de ma motivation professionnelle.

      Elle n’arrivait jamais à influencer mon regard sur monsieur malgré ses insistances. Bien au contraire je ressentais envers lui en plus de l’admiration, une commisération grandissante en le sachant attaqué de toutes parts avec de plus en plus de virulence malgré sa bonté. Les récentes révélations de la place faisant état de malversations au sein de son ministère ne paraissaient pas trop le mettre en difficulté au tout début lorsque l’affaire venait d’éclater. Lui qui était habitué aux fausses informations autour de sa personne et ses collaborateurs avait certainement dû vite caser celle-là dans ce même panier de « fake news” alors qu’elle était bien véridique. Depuis quelques semaines, je le sentais atteint, et cela coïncidait avec les preuves de plus en plus accablantes apportées par ses accusateurs. Il avait perdu de son sourire habituel et paraissait plus nerveux que jamais. Il m’arrivait très souvent de le surprendre plongé dans de longues réflexions dans


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