Entre ombres et obscurités. Willem Ngouane

Entre ombres et obscurités - Willem Ngouane


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un calcul politique et un moyen de redorer son blason. Moi je vois juste en monsieur le ministre un homme qui a de la compassion, un homme qui a du cœur. Depuis la guerre nous sommes devenus des parias dans cette République. Nous payons le prix des décisions des autres… Actuellement même les miettes nous n’avons pas. Vous avez vu par vous même l’état du village, dites-moi, pourquoi les jeunes ne se rebelleraient-ils pas!!!?

      Il était presque devenu nerveux à cause de ce qu’il racontait, ce qui me poussa à prendre un air attristé pour lui montrer toute ma commisération. En général je m’abstiens de prononcer le moindre mot face aux interlocuteurs qui prennent le chemin d’un monologue guidé par des motivations passionnées, le calme est la meilleure des réponses dans ce genre de situation. Il resta ensuite silencieux un moment puis prit son téléphone. Je l’entendis converser en dialecte avec son interlocuteur avant de le voir se retourner brusquement vers moi et me dire :

      – Repartez à l’école! Des jeunes vous y attendent. Ils vont vous donner un coup de main.

      – Merci beaucoup, lui répondis-je un peu surpris par cette aide qui m’embarrassait du fait qu’elle ne coïncidait pas avec les vraies raisons de ma venue que je qualifierais de courtoise.

      Ma sournoise ingratitude fut sanctionnée quand deux heures de travail plus tard, j’en étais rendu à remercier ciel et terre pour l’assistance dont m’avait fait bénéficier le vieil homme. On ne s’en serait jamais sorti sans la débauche d’énergie de ces jeunes qui avaient suivi les ordres de leur chef. Ils avaient travaillé avec tellement de gaieté et d’enthousiasme en m’aidant à installer les bâches et les chaises en plastique nécessaires à l’accueil des personnalités conviées à la cérémonie. Je préférais retenir ce visage de la jeunesse, loin des clichés sur l’inhospitalité de la région tout entière et surtout à des kilomètres du comportement animal qu’avaient eu les agresseurs à l’entrée du village. Une fois le travail fini, il ne restait plus qu’à attendre l’arrivée du ministre. Malgré son indéniable popularité, la peur de constater plus tard une mobilisation peu significative de la population m’angoissait. Franchement cela allait faire mauvaise presse de ne voir que quelques personnes assister à cet évènement. J’imaginais combien les opposants s’en seraient donné à cœur joie pour utiliser cet éventuel échec comme preuve de l’impopularité du gouvernement et du ministre en personne. Malheureusement pour eux petit à petit les gens commençaient à s’amasser autour de l’endroit.

      Trente minutes plus tard le petit nombre s’était transformé en une grande foule dans la cour de l’école, tout le village était désormais présent, même les autorités administratives de la région étaient au complet. Il y avait une forte ambiance, au rythme des tam-tams et des balafons des jeunes se déhanchaient, de petits enfants nous offraient le spectacle d’une chorégraphie certainement travaillée depuis des semaines, l’excitation était à son comble. La chaine de télévision nationale capturait cette liesse, toute une équipe avait été missionnée pour immortaliser l’évènement. Soudainement, comme dans un mirage, nous aperçûmes un quatre-quatre noir aux vitres fumées s’amener à l’avant d’un convoi de véhicules de ce même calibre. Deux minutes après, la garde rapprochée du ministre, constituée d’hommes habillés en noir, lunettes aux yeux et chuchotant dans leurs oreillettes, ouvrait les portières de la Volkswagen située au milieu du groupe de véhicules.

      Monsieur le ministre sortit tout magnanimement de la caisse, dans un costume gris, des lunettes noires, tout bien accoutré comme à son habitude, sa prestance n’avait d’égal que son charisme. À sa vue, la liesse grimpa en tonalité et envoya une gifle à tous ceux qui imaginaient que la popularité de cet homme avait considérablement diminué depuis les révélations de la presse et toutes les campagnes de dénigrement dont il avait été l’objet. L’amour que cette population témoigna à mon patron me fit comprendre pourquoi ce village avait été choisi parmi tant d’autres pour cette campagne d’image. Effectivement le message qui en résultait était celui de la communion du peuple avec ce héros qui lui avait tant donné et qui continuait à le faire sans distinction d’appartenance ethnique ou politique.

      Une mignonne petite fille vint ensuite lui offrir un bouquet de fleurs en guise d’accueil, puis il fit sous des applaudissements intermittents un discours à la fois fort en paroles d’encouragement et de solidarité, mais aussi avec une pointe de démagogie politicienne. Par la suite il remit à la directrice de l’école du matériel informatique constitué de vingt ordinateurs et quatre imprimantes. Cela me permit de découvrir avec émerveillement le sourire de cette femme. Elle semblait comblée et accompagnait son état de jouissance absolue par une petite danse saccadée qui provoqua l’hilarité générale. Les jeunes à côté de moi me confieront d’ailleurs leur surprise de voir cette dame habituellement droite dans ses bottes entrain de se laisser aller à une telle expression corporelle en public.

      Cette cérémonie riche en émotions prit son terme lorsque nous partagions un repas avec les principales autorités du village et de la région. Il ne nous restait plus qu’à rentrer en ville, et malgré toute l’allégresse ressentie au cours de cet évènement, je préférais me savoir chez moi le plus tôt possible.

      Un peu plus tard, mon impatience se faisait de plus en plus croissante en attendant le ministre toujours assis dans la salle du banquet et occupé depuis longtemps par une longue discussion avec le gouverneur. Mais alors que l’ennui en moi était presqu’à son paroxysme, j’entendis loin derrière moi:

      – Paul, Paul viens…

      Après avoir constaté qu’il s’agissait de lui, et donc que son entrevue avec le chef de terre venait certainement de se terminer, je courus à grandes enjambées le rejoindre. Une fois à sa taille, il chatouilla mon égo avec des paroles plaisantes.

      – Bon travail mon petit, continue comme ça, un jour tu deviendras ministre, me dit-il avec un ton assuré.

      – Merci, merci monsieur le ministre, lui répondis-je tout flatté. Ce n’était pas la première fois qu’il me promettait un si bel avenir, mais j’avoue que cela m’a toujours fait du bien d’entendre de telles éloges de la bouche d’un homme aussi accompli que lui.

      Il mit ensuite la main dans sa poche droite puis sortit une liasse de billets. Malgré ma bonne condition sociale, je fus très impressionné de voir tout ce cash. Sans compter, il me les tendit et dit :

      – Tiens ceci! Partage à tous ceux qui t’ont donné un coup de main.

      – Mais monsieur, mais le budget… objectai-je avec beaucoup de gêne et de respect.

      Mais ce fut sans compter sur sa grande générosité.

      – Fais ce que je te dis, me coupa-t-il avant de conclure: tu comprendras plus tard.

      C“était à cause de toutes ces choses qu’on l’aimait, il a toujours eu le bon mot, le bon geste. Il était un mélange subtil de charisme et de charité. Je l’admirais et priais fort de lui ressembler, moi qui étais tout son contraire: toujours discret, agoraphobe, timide et surtout dénué de tout charisme. Si on rajoute à cela ma chicheté, le compte de mes défauts les plus criards est bon.

      Trente minutes plus tard nous prenions finalement le chemin retour vers la capitale. Anticipant une probable réorganisation du planning de la journée fort des expériences passées, je décidai d’être à une meilleure proximité physique du ministre en choisissant de rentrer par le biais de sa voiture, la mienne étant désormais conduite par un de mes subalternes. Mais en seulement quelques minutes passées dans ce véhicule, l’insécurité commença à me gagner en me renvoyant aux regrets de mon choix lorsque la vitesse de plus en plus grandissante du chauffeur devenait anormale et dangereuse. Mon rythme cardiaque montait en flèche à chacun de nos passages à côté de ces gros camions transporteurs de billes de bois habituellement croisés dans les routes liaisons entre la côte et l’intérieur du pays. Le ministre lui n’avait visiblement aucun problème. Il était au téléphone, concentré dans une discussion. Je l’entendais dire « mon amour, oui mon amour”, ce qui m’amena à la conclusion que ce devait être sa femme. Monsieur


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