Actrice. Keith Dixon
a persuadé. Tu sais comme il peut être un dur petit oiseau. Plus un petit perroquet méchant sur les épaules qu’un agent. On m’a dit que j’étais déjà une grande favorite. Tu t’imagines !
- C’est bien. Tu dois être très contente.
- Oh oui, vraiment. Je ne vois vraiment pas d’où sera tirée la concurrence – as-tu une idée ?
Elle s’était trahie en retenant son lumineux sourire une seconde de trop. Elle était inquiète, pensa Mai. Elle ne veut pas que je tente le coup.
Mai avait battu Helena dans le rôle de Steffi dans Amberside Terrace il y a deux ans de cela et elle ne l’avait jamais pardonnée, même si Helena avait trouvé une place aux yeux du public comme une célébrité qui performait de temps en temps dans les comédies musicales de West End et dansait dans des émissions télévisées. Mai n’était pas du genre à jubiler, mais dans le cas d’Helena, elle était parfaitement disposée à faire une exception.
- Je dois y aller. La nature m’appelle, dit –elle.
- Alors tu ne vas pas tenter Deannah ?
- Ce serait vendre la mèche, sourit Mai.
- Parce que les gens du Daily Paper ont dit qu’ils me soutenaient. Je plais, apparemment, au mec russe, le propriétaire. La compétition sera uniquement une sorte de publicité, mais il veut que ce soit moi la gagnante.
En poussant la porte pour entrer dans les toilettes caverneuses pour femmes, les lumières s’allumèrent à l’intérieur tel le pont de Starship Entreprise, pensa Mai : elle n’aurait jamais dû me dire ça. Elle avait réalisé qu’elle avait décidé de ne participer pas à la compétition. Elle avait trop à faire les quatre semaines à venir pour perdre son temps à autre chose. Mais une chose avait attisé une étincelle concurrentielle : peut-être était-ce l’idée que le rôle soit attribué à une personne qui ne le comprenait pas. Une actrice prometteuse prend une décision très importante dans les toilettes d’un club. C’était l’un de ces moments déterminants qui laissait une petite trace dans sa conscience qu’elle connaissait bien, qu’elle n’arriverait jamais à oublier ou à effacer, telle une entaille de couteau sur un placard Chippendale.
Lorsqu’elle sortit des toilettes, Helena était toujours assise à sa table, mais seule. Sans le sourire cette fois, l’atmosphère avait changé. Mai sentit qu’elle avait renvoyé les garçons pour qu’ils ne soient pas témoins de ce qui allait se produire. Helena se leva de sa chaise et s’approcha de Mai, qui put distinguer maintenant les taches de rousseur barbouillées de maquillage. Gros plan, visage large, les yeux écarquillés et une grande bouche – trop frappants dans les photos professionnels – c’était grossier et presque moche. Une vigilance sauvage apparut dans ses pupilles sombres.
- Je sais ce que tu fais, dit-elle à Mai. Je t’ai vu déjà vu le faire et je ne permettrai pas que cela recommence !
Mai se sentit reculer.
- Je suis venue ici pour rencontrer un ami. Je suis désolée si tu n’arrives pas à supporter cela.
- Ha ha, putain toujours aussi intelligente et pleine d’esprit. Les mots ne te manquent jamais, c’est ça, grande maline ? J’ai vécu une vie entière à avoir affaire à des gens comme toi et je ne compte pas perdre à nouveau. Je vais avoir ce rôle, cette femme Deannah, et je vais te battre pour le faire.
- Je pense que tu ferais mieux d’éviter le gin. Ça te donne des illusions.
- Tu te la joues décontractée maintenant, parce que c’est ta spécialité. Toujours en contrôle, toujours la petite fille souriante, qui s’implique jamais, qui ne laisse jamais tomber. Je sais ce que tu fais. Laisser les gens venir à toi au lieu d’aller toi-même vers eux, parce que, oh non, on ne doit pas putain voir que tu veux quelque chose, c’est ça ? Pour qu’ensuite on voit que ce n’est pas facile pour toi, n’est-ce pas ? Tu dois te la jouer décontractée.
- Tu l’as déjà dit. Tu te répètes. Est-ce que je peux passer ?
- Rappelle-toi, petite Mai, tu ne vas pas gagner cette fois-ci. Tu as gagné la dernière fois, fille de la putain Geraldine Rose, putain de vedette de cinéma ratée. Mais cette fois, j’ai des gens de mon côté. C’est mon tour. Et tu n’as pas putain intérêt à l’oublier.
Mai évitait ses yeux et s’était fait poussé en arrière vers la porte des toilettes pour femmes. Elle se redressa alors, regarda directement dans les yeux d’Helena et se pencha en avant au niveau des hanches pour que l’autre femme soit obligée de reculer petit à petit.
- Pour ton information, dit Mai savourant le ton de la phrase dans sa bouche uniforme lorsqu’elle le dit et le répéta, pour ton information, je n’avais pas l’intention de jouer le jeu. J’allais dire, Merci mais non, s’ils me l’offraient. Je te remercie beaucoup. Je te remercie de m’avoir fait changer d’avis. La partie commence, pute !
Elle passa en la poussant, sachant qu’Helena la fixait dans son dos et espérait que sa grande bouche soit toujours légèrement ouverte – ça ne lui allait pas du tout.
Elle fit signe à Stefan en passant devant lui et se dirigea directement vers Patty Leading, l’éditrice du showbiz pour Daily Paper. Elle tenait à ce qui ressemblait à une Bloody Mary dans une main maigre, une caméra Canon haute-définition dans l’autre. Son corps était de la minceur osseuse d’une personne qui se punissait par des exercices, plutôt que par déni. Elle parlait avec un jeune homme aux cheveux roux que Mai reconnut comme étant le membre ‘rebelle’ d’un nouveau groupe de garçons. Il portait des basquets Adidas rouge brillant. En public.
Elle saisit le bras de Patty et l’emmena de côté.
- Peux-tu me garantir que le vote au sondage de Deannah est équitable ?
Patty semblait amusée, malheureusement, car les rides autour de ses yeux révélèrent soudainement l’âge que son corps essayait de dissimuler.
- Helena t’a parlé, n’est-ce pas, mon chou ? Une personne du bureau lui a balancé une phrase qu’elle a avalée. Valentin ne reconnaitrait pas Helena Cross d’Helena Bonham-Carter. Même s’il avait vu la Planète des singes.
- Comment ça marche, alors ? Est-ce que je dois mettre formellement mon nom dans un chapeau ou quoi ?
- Non, rien de tel. On demande aux gens de voter pour qui ils veulent. On soumet cependant quelques suggestions, bien sûr. Ça a été annoncé dans notre édition du Sunday d’hier et le premier jour de vote était aujourd’hui, tu as donc déjà loupé une journée, petite idiote.
- Pourquoi idiote ?
- Tu aurais pu commencer la campagne. Les photos etc.
- Je travaillais. Tu sais ce que c’est, le devoir !
Patty rit et prit une gorgée de sa boisson.
- On cherche à avoir une liste restreinte de cinq personnes, puis on demandera aux gens de voter pour elles au cours des semaines à venir.
Elle regarda Mai de près :
- Tu es sûre de vouloir faire ça ?
- Pourquoi pas ? C’est honnête, non ?
- Bien sûr. Les producteurs nous ont dit qu’ils utiliseront les résultats du sondage pour attribuer le rôle de Deannah. Selon le succès populaire, en quelque sorte. Je crois simplement que tu es trop intelligente pour ça. Depuis combien de temps nous nous connaissons ?
- Depuis que tu étais à Hello ! Environ deux semaines après que j’ai commencé à la télé.
- Exactement, et tout ce temps-là, combien de fois es-tu venue me trouvée comme ça et que tu as essayé de te promouvoir ? Ne réponds pas, je vais te le dire. Précisément, jamais. Tu n’as jamais été une tarte médiatique. Alors pourquoi commencer maintenant ?
Mai ne dit