La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits. Rosette

La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits - Rosette


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Je savais peu de lui pour me relaxer. Un homme seul, condamné à une captivité pire que la mort, relégué à une vie à moitié, un écrivain solitaire et avec un mauvais caractère... D’après les allusions voilées de ma guide, il s’agissait d’un homme qui profitait de la mise en difficulté des personnes, peut-être qu’il aimait exprimer son désir de vengeance sur les autres, ne pouvant pas s’en prendre à sa seule ennemie: la sorte. Aveugle, bandée, indifférente aux souffrances infligées à droite et à gauche, démocratique en quelque sorte.

      Je poussais un soupir profond. Si mon séjour dans cette maison était destiné à être bref, on aurait pu même ne pas déballer les bagages. Je n’avais pas envie de gaspiller le temps.

      J’errai dans la chambre, encore stupéfaite. J’hésitai devant le miroir accroché au-dessus de la commode, et je regardai tristement mon visage. Mes cheveux étaient rouges, bien sûr. Je le savais seulement parce que les autres personnes me le disaient, je n’étais pas capable d’en établir la couleur. Je vivais une vie en blanc et noir, prisonnière de moi-même comme Monsieur Mc Laine. Non pas d’un fauteuil roulant, peut-être, toutefois incomplète aussi. Je glissais le doigt sur une brosse en argent, posée sur la commode avec d’autres objets de toilette, un objet exquis, de valeur, mis à ma disposition avec une générosité inégalable.

      Les yeux avaient couru vers la grande horloge à mur, et ils me rappelèrent, presque perfidement, le rendez-vous avec le propriétaire de la maison.

      Je ne pouvais pas arriver en retard.

      Non pas à notre première rencontre.

      Peut être le dernier, si je ne réussissais pas... Comme il avait dit Madame Mc Millian? Ah, oui. Lui tenir tête. Un mot pour la princesse des lapins. Mon mot préféré, celui utilisé le plus fréquemment, était pardon, décliné selon les circonstances en pardon ou pardonnez-moi. Tôt ou tard j’aurais demandé pardon d’exister. Je redressai les épaules en un sursaut d’orgueil. J’aurais vendu la peau chèrement. Je me serais gagné le droit, le plaisir, de rester dans celle maison, dans celle chambre, dans ce coin de monde.

      Sur le palier, en engageant les escaliers, les épaules devenaient encore voutées, l’esprit à crier, le cœur à galoper. Ma tranquillité été durée... combien? Une minute?

      Presque un record.

      Chapitre deuxième

      

      

      

      

      

      

      

      

      Arrivée dans l’entrée, je fus consciente de mon inévitable ignorance. Où il était le bureau? Comment j’aurais pu le trouver, si j’avais réussi à grand-peine à arriver jusqu’à là? Avant de s’affaisser dans la boue du désespoir j’avais été sauvée par l’intervention providentielle de Madame Mc Millian, un sourire ample sur le visage émacié.

      “Mademoiselle Bruno, J’étais en train justement de venir à vous appeler...” Elle donna un rapide regarde à la pendule à mur. “Quelle ponctualité! Vous êtes vraiment une perle rare! Vous êtes sûr d’avoir origines italiennes, et non pas suisses?” Elle seulement riait à la boutade.

      Je souris poliment, en adaptant le pas au sien, tandis que je remontais les escaliers. Nous dépassâmes la porte de ma chambre de lit, dirigées apparemment au fond du couloir, vers une porte lourde.

      Sans arrêter son bavardage aigu, elle frappa légèrement à la porte, trois fois, et l’entrouvrit.

      Je restais derrière ses épaules, les jambes tremblantes, tandis qu’elle passait la tête dans la chambre.

      “Monsieur Mc Laine... il y a Mademoiselle Bruno”.

      “Il était temps. Vous êtes en retard”. La voix sonna rude, grossière.

      La gouvernante éclata en de salves de rire, habituée à la mauvaise humeur du propriétaire de la maison.

      “Seulement un minute monsieur. Ne pas oubliez qu’elle ne connait pas la maison et elle est encore perdue ici. C’est moi qui l’a faite arriver en retard parce que...”

      “Faites-là passer, Millicent”. L’interruption avait été brusque, presque comme un coup de cravache, et je sursautai à la place de l’autre femme que, sans perdre contenance, se tourna à me regarder.

      “Monsieur Mc Laine vous attend Mademoiselle Bruno. Entrez, s’il-vous”.

      La femme se déplaçait en arrière, en me faisant signe d’entrer. Je lui adressai un dernier regard préoccupé. Elle, pour m’encourager, me chuchota. “Bonne chance”.

      Voilà, elle avait produit l’effet contraire. Mon cerveau s’était réduit à une bouillie liquéfiée, sans aucune logique, ou de cognition du temps et de l’espace.

      J’hasardai un pas timide à l’intérieur de la chambre. Avant de voir quoi ce soit, j’entendis la voix qu’avant était en train de congédier quelqu’un.

      “Tu peux y aller Kyle. A demain. Sois à l’heure s’il te plait. Je ne tolérerais pas d’autres retards”.

      Un homme était debout, à quelques centimètres de moi, haut et robuste. Il me regarda et esquissa un salut de la tête, dans son regard un sursaut silencieux d’appréciation tandis qu’il me passait à côté.

      “Bonsoir”.

      “Bonsoir” j’ai répondu en retour, en le regardant plus longtemps que nécessaire pour procrastiner le moment dans lequel je me serais ridiculisée, j’aurais méconnu les attentes de Madame Mc Millian, de même que mes espoirs ridicules.

      La porte se ferma à mes épaules, et cela me rappela la politesse.

      “Bonsoir Monsieur Mc Laine. Je m’appelle Mélisande Bruno, Je viens de Londres et...”

      “Epargnez-moi la kyrielle de vos compétences Mademoiselle Bruno. Par ailleurs modestes”. La voix maintenant était ennuyée.

      Mes yeux se soulevèrent, prêts finalement à rencontrer ceux de mon interlocuteur. Et quand ils le firent, je remerciai le ciel de l’avoir salué d’abord. Puisque maintenant j’aurais eu de sérieuses difficultés même à me rappeler mon nom.

      Il était assis au-delà du bureau, sur le fauteuil roulant, une main allongée sur le bord, à frôler le bois, l’autre qui jouait avec une stylographique, les yeux foncés fixement dans les miens, insondables. Encore une fois, la nième, j’ai regretté de ne pouvoir pas voir les couleurs. J’aurai donné volontiers une année de ma vie pour pouvoir distinguer les couleurs de son visage et de ses cheveux. Mais cette joie m’était empêchée. Sans appel. Dans une lueur de lucidité je pensais qu’il était beau comme ça: le visage d’une pâleur innaturel, yeux noirs, ombragés par de longs cils, les cheveux noirs, ondulés et touffus.

      “Vous êtes muette? Ou sourde?”

      Je retombai sur la terre, en précipitant d’hauteurs vertigineuses. Il me sembla presque d’entendre le fracas de mes membres sur le sol. Un grondement grand et sinistre, suivi par un craquement peureux et dévastant.

      “Excusez-moi, je me suis distraite” je marmonnai, en m’enflammant à l’instant.

      Il me regarda avec une attention qui me parut exagérée. Il semblait vouloir mémoriser chaque ligne de mon visage, en s’arrêtant sur ma gueule. Je rougis encore plus. Pour la première fois je désirai ardemment que mon défaut de naissance était partagé par un autre être humain. Il aurait été moins gênant penser que Monsieur Mc Laine, en sa beauté aristocratique et triomphante, ne pouvait pas remarquer la rougeur affluer violemment sur tout centimètre de peau découverte.

      Je me balançais sur les pieds, mal à l’aise


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