La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits. Rosette
ma tentative de formuler une pensée rationnelle. Je reculai instinctivement d’un pas. Il fit semblance de ne pas remarquer mon déplacement, et il indiqua la librairie à ma droite.
“Prends le quatrième livre de gauche, troisième étagère”.
Obéissante, je saisis le livre qu’il m’indiquait. Le titre m’était familier puisque j’avais fait une recherche sur lui sur Internet avant de partir, toutefois je n’avais jamais lu rien écrit par lui. L'horreur n’était pas mon genre, décidemment plus apte à palais forts, et inapte au mien, délicat et romantique.
“Zombies en chemin” je lus à haute voix.
“Il est le plus indiqué pour commencer. Il est le moins... comment dire? Moins peureux?” Il rit aux éclats, en se moquant clairement de moi, et du malaise décidemment peu voilé qui transparut par les pores de mon corps.
“Pourquoi tu ne le commences à lire ce soir? Juste pour te préparer à ton nouveau travail” suggéra-t-il, les yeux riants.
“Ok, je le ferai” répondis-je avec peu d’enthousiasme.
“A demain matin, Mademoiselle Bruno” il me congédia, l’air encore grave. “Ferme-toi dans ta chambre, je ne voudrais pas que les esprits du palais, ou quelque autre redoutable créature nocturne, viendraient te visiter cette nuit. Tu sais...” Il fit une pause, un éclair de drôle dans le noir de ses yeux. “Comme Je t’ai dit avant, il est difficile de trouver employées par ici ”.
J’essayais un sourire, peu convaincant, tout bien considéré.
“Bonne nuit Monsieur Mc Laine”. Avant de fermer la porte, la répartie me sortit des lèvres, sans que je pusse la retenir.
“Je ne crois pas aux esprits ou aux créatures nocturnes”.
“Vous êtes sûre?”
“Il n’existe aucune preuve de leur existence, monsieur” je répondis, en lui signant involontairement.
“Néanmoins du fait qu’ils n’existent pas” répliqua-t-il. Tourna le fauteuil roulant, et il reviendra derrière le bureau.
Je fermai délicatement la porte, le cœur sous les pieds. Peut-être qu’il avait raison, et les zombies existent. Parce que dans ce moment je me sentais une d’eux. Etourdie, le cerveau en tilt, suspendue dans des limbes dans lesquels je ne savais plus distinguer entre réel et irréel. Il était pire que ne savoir pas distinguer les couleurs.
Je dînai sans conviction en compagnie de Madame Mc Millian, la tête ailleurs, avec une toute autre compagnie. Je craignais que je l’eusse récupérée seulement le lendemain matin, en retournant chez celui au près duquel je l’avais laissée. Quelque chose me disait qu’ils n’étaient pas de bonnes mains celles auxquelles mon cœur confiant l’avait livrée.
Je me rappelle très peu de la conversation de ce soir avec la gouvernante. Elle parlait toute seule, incessante. Elle semblait au septième ciel pour avoir finalement quelqu’un avec lequel parler. Ou plutôt, qui l’écoutait. J’étais parfaite en ce sens. Trop polie pour l’interrompre, trop respectueuse pour montrer mon désintérêt, trop occupée pour penser à autre pour avertir la nécessité de rester seule. Dans tout cas j’aurais pensé à lui.
Dans ma chambre, une heure plus tard, assise tranquillement dans mon lit, la tête appuyée sur les coussins, j’ouvris le livre en me plongeant dans la lecture. A la deuxième page j’étais déjà terrifiée, et répréhensiblement, en considérant qu’il s’agissait simplement d’un livre.
Malgré le bon sens duquel, en théorie, j’étais bien douée, l’atmosphère dans la chambre devenait asphyxiante, et le désir de prendre l’air devint urgent.
A pieds nus je traversai la chambre dans la pénombre et j’ouvris grande la fenêtre. Je m’assis sur le rebord, en m’immergeant dans la nuit tiède de début été, le silence déchiré seulement par le striduler des grillons et le rappel d’une chouette. Il était beau d’être là, loin années-lumière de la frénésie de Londres, de ses rythmes pressants, toujours au fil de l’hystérie. Le nuit était un édredon noir, à part la blancheur de quelques étoiles ici et là. J’aimais la nuit, et je pensai oisivement que j’aurais aimé d’être une créature nocturne. L’obscurité était mon alliée. Sans lumière tout est noir, et mon incapacité génétique de distinguer les couleurs diminuait, perdait d’importance. La nuit mes yeux étaient identiques à ceux d’une autre personne. Pendant quelques heures je ne me sentais pas différente. Un soulagement momentané bien sûr, mais rafraichissant comme de l’eau sur la peau chaude.
Le matin après je me réveillait au son du réveil, et je restais pendant quelques minutes dans le lit, ahuri. Après un étourdissement initial, je me rappelai ce qu’il avait eu lieu le jour avant, et je reconnus la chambre.
Quand Je fus habillée, je descendis les escaliers, presque effrayée par le silence profond tout autour. La vue de Millicent Mc Millian, joyeuse et bavardant comme toujours, effaça le brouillard et reporta le beau temps dans mon esprit tourbillonnant.
“Vous avez bien dormi, mademoiselle Bruno?” elle commença.
“Jamais si bien” répondis-je, surprise moi-même de celle nouveauté. Il y avait des années que je ne m’abandonnais si sereinement au sommeil, les pensées négatives mises à part pendant au moins quelques heures.
“Voulez-vous du café ou du thé?”
“Du thé, s’il-vous-plait” je la priai, en m’asseyant à la table de la cuisine.
“Allez dans le salon, je vous le serve de là”.
“Je préfère de faire le petit déjeuner avec vous” dis-je, en suffocant un bâillement.
La femme me parait satisfaite et elle commença à s’affairer au tour des réchauds. Elle reprit le bavardage habituel, et je fus libre de penser à Monique. Qu’est-ce qu’elle était en train de faire à cette heure? Avait-elle déjà préparé le petit déjeuner? Penser à ma sœur avait reporté le fardeau sur mes épaules minces, et j’accueillis volontiers l’arrivé de la tasse de thé.
“Merci, Madame Mc Millian”. Je sirotai avec plaisir la liquide chaude et agréablement parfumée, tandis que la gouvernant servait le pain grillé et une série de petits bols remplies avec diverses confitures invitantes.
“Prenez celle de framboises. Elle est fantastique”.
J’allongeai la main vers le plateau, le cœur déjà en fibrillation. Ma diversité retourna à m’inonder de boue, sombre et avec une mauvaise odeur. Pourquoi moi? Et dans tout le monde il y en avait d’autres comme moi? Ou j’étais une anomalie isolée, un aberrante erreur de la nature?
Je saisis un bol quelconque, en espérant que la vieille femme était trop concentrée à parler pour s’apercevoir d’une mienne erreur éventuelle. Les confitures étaient cinq, donc j’avais une possibilité sur cinq, deux sur dix, vingt sur cent de deviner la bonne à la première tentative.
Elle me corrigea rapidement, moins distraite que ce que je pensais. “Non, mademoiselle. Celle-là est d’oranges”. Elle sourit, pas du tout consciente de l’agitation qui me poussait dedans, et de mon front perlé de sueur. Elle me passa un petit bol. “Voilà, il est facile de la confondre avec celle de fraises ”.
Elle ne s’aperçoit pas de mon sourire forcé, et elle reprit l’histoire de ses aventures amoureuses avec un jeune florentin qui avait fini pour la laisser pour une sudaméricaine.
Je mangeai à contrecœur, encore nerveuse pour l’incident juste avant, et déjà repentante de n’avoir pas accepté la proposition de manger seule. Dans ce cas il n’y aurait pas été aucun problème. Eviter les situations potentiellement critiques: il était mon mantra. Depuis toujours. Je ne devais pas permettre que l’atmosphère délicieuse de celle maison me poussait à faire des actions hasardeuses, en oubliant la prudence nécessaire. Madame Mc