La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits. Rosette

La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits - Rosette


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      Quand je levai les yeux sur son visage je remarquai avec joie qu’il était de nouveau souriant.

      “Comme vous êtes formelle, Mademoiselle Bruno. Rien ne presse. Ils ne sont pas de lettres si importantes. Ce n’est pas question de vie ou de mort. Je suis un mort vivant il y a trop d’années désormais ”.

      En dépit de la cruauté de votre déclaration, il semblait qu’il lui fût retourné la bonne humeur. Son sourire était contaminé, et il échauffait mon âme en émoi. Heureusement il ne restait pas fâché pendant trop de temps, même si ses colères étaient déroutantes et violentes.

      “Vous savez conduire, Mélisande? Je devrais vous envoyer à prendre quelques livres à la bibliothèque locale. Vous savez, recherches”. Le sourire fut remplacé par une grimace. “Bien évidemment je ne peux pas y aller” ajouta-t-il, à titre d’explication.

      Embarrassée, je serrai encore plus les papiers dans mes mains, au risque de les chiffonner. “Je n’ai pas le permis de conduire, monsieur” je m’excusai.

      La surprise altéra ses traits très beaux. “Je pensai que la jeunesse de nos jours serait pressée de croitre exclusivement pour avoir le droit de conduire. Quand même, ils le font déjà avant, et en cachette ”.

      “Je suis différente, monsieur” dis-je laconique. Et je l’étais vraiment. Presque aliène dans ma diversité.

      Il me scruta avec ses yeux noirs, plus perforantes d’un radar. Je soutins son regard, en inventant sur le moment une excuse plausible.

      “J’ai peur de conduire la voiture, et avec une telle prémisse, je ferais des bêtises” expliquai-je rapide, en lissant les plis des papiers que j’avais chiffonné.

      “Après si tante sincérité de votre côté, je sens l’odeur de mensonge ” psalmodia-t-il.

      “C’est la vérité. Je pourrais vraiment...” Je perdis la voix pendant une longue instante, donc j’essayai encore. “Je pourrais vraiment tuer quelqu’un”.

      “La mort est le mal mineur” chuchota. Il baissa les yeux sur ses jambes, et donc il contracta sa mâchoire.

      Je me maudis mentalement. Encore. J’étais vraiment un fauteur de troubles, même sans un volant dans les mains. Une menace publique, impardonnable, insensible, habile seulement à faire des gaffes.

      “Je vous ai peut-être vexé, Monsieur Mc Laine?” L’anxiété s’était manifestée dans ma question en le réveillant de son survenu torpeur.

      “Mélisande Bruno, une jeune femme, arrivé d’où on ne le sait pas, bizarre et amusante comme un dessin animé... Comment peut cette fille vexer le grand écrivain de romans de l’horreur, le satanique et perverse Sébastian Mc Laine?” Sa voix était plate, en contraste avec la dureté de ses phrases.

      Je me tordis les mains, nerveuse comme à la première rencontre. “Vous avez raison, monsieur. Je ne suis personne. Et...”

      Ses yeux s’effilaient, menaçants. “En effet. Vous n’êtes personne. Vous êtes Mélisande Bruno. Donc vous êtes quelqu’un. Ne permettez à personne de vous humilier, néanmoins à moi-même ”.

      “Je devrais apprendre à me taire. Avant d’arriver dans cette maison j’y réussissait très bien” chuchotais-je triste, la tête basse.

      “Midnight rose a le pouvoir de retirer le pire de vous, Mélisande Bruno? Ou c’est moi à posséder cette incroyable habilité?” Il me fit un sourire bienveillant, avec la magnanimité d’un souverain.

      J’acceptai heureuse cette offre de paix, et je retrouvai le sourire. “Je crois qu’il dépend de vous, monsieur” révélai-je à baisse voix, comme si je confirmais un péché capital.

      “Je savais déjà d’être un démon” dit-il solennel. “Mais jusqu’à ce point? Vous me laissez sans mots...”

      “Si vous voulez je vous passe le vocabulaire” dis-je en riant. L’atmosphère s’était allégée, et même mon cœur.

      “Je crois que le vrai diable êtes-vous, Mélisande Bruno” continua-t-il à me taquiner. “Il est Satane en personne que vous envoie, pour perturber ma tranquillité ”.

      “Tranquillité? Vous êtes sûr de ne pas la confondre avec ennui?” badinai-je.

      “Si l’était, avec vous ici, je ne serais plus ennuyé, cela est sûr. Peut-être, à cette allure, je finirai pour vous regretter” répondit avec emphase.

      Nous étions en train de rire tous les deux, sur la même longueur d’onde, quand quelqu’un frappa à la porte. Trois fois.

      “Madame Mc Millian” anticipa-t-il, sans détourner le regard de mon visage.

      Je le fis, à contrecœur, pour accueillir la gouvernante.

      “Le Docteur Mc Intosh est arrivé, monsieur” dit la bonne femme, une pointe d’anxiété dans la voix.

      L’écrivain s’assombrit à l’instant. “Il est déjà mardi?”

      “Absolument, monsieur. Voulez-vous que je le fasse entrer dans votre chambre?” demanda-t-elle, gentiment.

      “Ça va bien. Appelle Kyle” ordonna-t-il, le ton sec comme un quintal de poudre. Il s’adressa à moi, encore plus sec. “Nous nous verrons après, mademoiselle Bruno”.

      Je suivis la gouvernante par les escaliers. Elle répondit à ma question inexprimée. “Le Docteur Mc Intosh est le médecin local. Tous les mardis il vient à visiter Monsieur Mc Laine. A part la paralyse, il est pétant de santé, toutefois il est une consuétude, et même une prudence”.

      “Sa...” J’hésitai, indécise dans le choix des mots. “...condition est irréversible?”

      “Malheureusement oui, il n’y a pas d’espoirs” il fut sa triste confirmation.

      Aux pieds des escaliers un homme attendait, en faisant balancer la mallette avec les outils.

      “Donc Millicent? Il a encore oublié la visite?” L’homme me cligna de l’œil, en cherchant ma complicité. “Vous êtes la nouvelle secrétaire, n’est-ce-pas? Il sera votre soin de lui rappeler les prochains rendez-vous. Tous les mardis, à trois heures dans l’après-midi”. Il me tendit la main, en souriant amicalement. “Je suis le médecin au service de la commune. John McIntosh”.

      Il était un homme grand, presque de même que Kyle, mais plus ancien, âgée entre les soixante et les soixante-dix.

      “Et je suis Mélisande Bruno” dis-je, en retournant la poignée de main.

      “Un nom exotique pour une beauté digne des femmes écossaises”. L’admiration dans son regard fut éloquente. Je lui souris avec gratitude. Avant d’arriver dans ce village néanmoins repéré sur les cartes, j’étais considérée mignonne, tout au plus jolie, le plus souvent à peine passable. Jamais belle.

      Madame Mc Millian s’éclaira en écoutant ce compliment, comme si elle était ma mère et moi sa fille à marier. Heureusement le médecin était âgé et marié, à juger de la grande alliance à l’annulaire, ou elle se serait donnée de la peine pour combiner un beau mariage, dans le panorama idyllique de Midnight Rose.

      Après l’avoir accompagné à l’étage supérieur, elle revint chez moi, une expression coquine sur son visage maigre. “C’est dommage qu’il soit marié. Il serait un parti magnifique pour vous”.

      C’est dommage qu’il soit vieux, j’aurais ajouté volontiers. Je me tus juste le temps pour me rappeler que la Mc Millian avait au moins cinquante ans et que probablement elle trouvait le médecin séduisant et désirable.

      “Je ne cherche pas de fiancés” je lui rappelai avec fermeté. “J’espère que vous ne voudriez me mettre sur le dos même Kyle”.

      Elle


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