La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits. Rosette

La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits - Rosette


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au hasard et espérer qu’il s’agissait de la bonne? Je ne pouvais pas l’ouvrir avant et en espionner le contenu, elles étaient fermées avec de grands morceaux de ruban adhésif. A la pensée des boutades terrifiantes dont j’aurais été l’objet si j’avais dit la vérité, je me décidai. Je montai sur la chaise, je pris la boîte. Je l’appuyai sur le bureau sans le regarder.

      Je le sentis tandis qu’il fouillait dans la même. En silence. Etonnamment c’était la bonne. Et je respirai de nouveau.

      “Voilà”. Il me donna un disque. Debussy.

      “Pourquoi lui?” demandai-je.

      “Parce que j’ai réévalué Debussy de quand je sais que votre nom a été choisi comme hommage à lui”.

      La simplicité primitive de sa réponse me laissa essoufflée, le cœur qui se tordais parmi espoirs acuminés comme épines. Parce qu’il était trop beau pour y croire vraiment.

      Je ne savais pas rêver. Peut-être parce que mon esprit avait déjà compris à la naissance ce que mon cœur se refusait de faire. C’est-à-dire les rêves ne deviennent jamais réalité. Pas les miens, au moins.

      La musique prit corps, et envahit la chambre. D’abord délicatement, ensuite avec une plus grande vigueur, jusqu’à augmenter dans une surenchère émotionnante, séduisante.

      Mc Laine ferma les yeux, et il s’appuya au dossier du fauteuil, en absorbant le rythme, en le faisant sien, en s’en appropriant comme s’il s’agissait d’un vol autorisé.

      Je le regardais, en profitant du fait qu’il ne pouvait pas me voir, Dans ce moment il me semblait terriblement jeune et fragile, comme si un simple souffle de vent pouvait me le prendre. Je fermais les yeux à celle pensée scandaleuse et ridicule. Il n’était pas mien. Il ne l’aurait été jamais. Fauteuil roulant ou non. Avant je l’aurais compris, avant j’aurais retrouvé mon bon sens, ma confortable résignation, mon équilibre mental. Je ne pouvais pas mettre en danger la cage dans laquelle je m’étais volontairement enfermée, en risquant de souffrir affreusement pour une simple fantaisie, un rêve irréalisable, digne d’un adolescent.

      La musique s’arrêta, enflammée et inébriante.

      Nous réouvrions les yeux dans le même instant. Les siens auraient repris la froideur habituelle. Les miens étaient décolorés, endormies.

      “Le livre comme ça ne va pas ” décréta-t-il. “Fait disparaitre le tourne-disque, Mélisande. Je voudrais écrire un peu, ou mieux récrire tout”.

      Il me fit un grand sourire. “L’idée de la musique a été géniale. Merci”.

      “Pas de quoi... Je n’ai rien fait de spécial” bégayais-je, en échappant à son regard, à ces profondeurs dans lesquelles je risquais de me perdre régulièrement.

      “Non, vous n’avez rien fait de spécial, en effet” admit-il, en faisant tomber mon humeur au-dessous de mes talons, pour la rapidité avec laquelle il s’était débarrassé de moi. “C’est vous à être spéciale, Mélisande. Vous, pas ce que vous dites, ou que vous faites”.

      Son regard se heurta contre le mien, déterminé à le capturer comme d’habitude. Il souleva les sourcils, avec celle ironie que désormais je connaissais si bien.

      “Merci, monsieur” répondis-je d’un air contrit.

      Il rit, comme si j’avais raconté une blague. Ça m’importait peu. Il me trouvait amusante. Mieux que rien, peut-être. Je remontai à notre conversation de quelque jour avant, quand il m’avait demandé si pour amour j’aurais cédé mes jambes, ou mon esprit. Alors j’avais répondu que je n’avais jamais aimé, et donc j’ignorais quelle aurait été mon comportement. Maintenant je me rendis compte que peut-être je pourrais répondre à celle question insidieuse.

      Il approcha l’ordinateur à soi-même et il commença à écrire, en m’excluant de son monde. Je retournai à mes tâches, même si j’avais le cœur en fibrillation. Tomber amoureuse de Sébastian Mc Laine était un suicide. Et je n’avais pas de velléités de kamikaze. C’est juste? J’étais une fille de bon sens, pratique, raisonnable, qui ne savait rêver. Même les yeux ouverts. Ou au moins je l’avais été jusqu’à ce moment, je me corrigeai.

      “Mélisande?”

      “Oui, monsieur?” Je me tournais vers lui, étonnée qu’il m’avait adressé la parole. Quand il commençait à écrire il se tint en dehors de tous et de tout.

      “J’ai envie de roses” dit-il, en indiquant le vase sur le bureau. Demande à Millicent de le remplir, s’il-te-plait”.

      “Bien-sûr, monsieur”. Je pris le vase en céramique avec les deux mains. Je savais combien il était lourd.

      “Roses rouges” précisa-t-il. “Telles que tes cheveux”.

      Je rougis, bien que ses mots n’eussent rien de romantique.

      “Ça va bien, monsieur”.

      Je sentais son regard me transpercer le dos, tandis que j’ouvrais la porte et sortais dans le couloir. Je descendis au rez-de-chaussée, le vase était étroit dans mes mains.

      “Madame Mc Millian? Madame?” Pas de preuve de la gouvernante âgée, et ensuite un souvenir arriva à mon esprit, trop faible pour le prendre. La femme, pendant le petit-déjeuner, m’avait dit quelque chose, à propos du jour de repos... Elle faisait référence à aujourd’hui? Il était difficile de l’établir. Madame Mc Millian était une usine d’informations Même dans la cuisine pas de preuve d’elle. Désolée, j’appuyai le vase sur la table, à côté d’un panier de fruits frais.

      C’est splendide. Je me suis rendu compte que c’était moi que devait choisir les roses dans le jardin. Une tâche au-delà de mes capacités. Il aurait été plus facile de prendre un nuage, et d’y danser un valser.

      Avec un bourdonnement insistant aux oreilles, et la sensation d’une catastrophe imminente, je sortis au dehors. La roseraie était devant moi, ardente comme un feu de pétales. Rouges, jaunes, roses, blanches, même bleus. Quel dommage que je vivais en blanc et noir, dans un monde où tout était ombre. Dans un monde où la lumière était quelque chose d’inexplicable, quelque chose d’indéfinie, d’interdit. Je ne pouvais néanmoins rêver de distinguer les couleurs, puisque j’ignorais qu’est-ce qu’elles furent. De ma naissance.

      Je mus un pas incertain vers la roseraie, les joues en flammes. Je devais inventer une excuse pour justifier mon retour à l’étage supérieur sans fleurs. Choisir entre deux boîtes c’était une chose, porter des roses de la même couleur c’était une autre. Rouge. Comment est-il le rouge? Comment imaginer quelque chose que nous n’avons jamais vu, néanmoins sur un livre?

      Je piétinai une rose coupée. Je me penchai à la cueillir, puisqu’elle aurait fanée, languide dans sa morte végétale, toutefois elle sentait encore de bon.

      “Qu’est-ce que tu fais ici?”

      Je m’écartai brusquement les cheveux du front, en regrettant de ne les avoir pas attachés en chignon. Ils étaient longs sur la nuque, et déjà trempés de sueur.

      “Je dois cueillir des roses pour Monsieur Mc Laine” répondis-je laconique.

      Kyle me sourit, le même sourire plein de sous-entendus irritants. “As-tu besoin d’aide?”

      Je trouvai une voie de fuite dans ces mots laissés aller, vides et ambigus, un raccourci inespéré, à prendre comme il était venu.

      “En réalité c’est toi qui le devrait faire, mais tu n’étais là. Comme d’habitude” dis-je acide.

      Un frémissement lui traversa le visage. “Je ne suis pas un jardinier. Je travaille assez”.

      L’avoir entendu cette déclaration ne m’empêchait de rire. Je me portai une main à la bouche, comme à atténuer


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