La Pire Espèce. Chiara Zaccardi
pas être autrement. Juliette est très proche de ses grands-parents. Ils ont pris soin d’elle lorsqu’elle avait dix ans, au moment où ses parents ont divorcé. Juliette n’aime pas en parler. Mais, elle se souvient parfaitement.
Ses parents ont toujours plus prêté attention à leurs carrières plutôt qu’à leur relation, et finalement, c’est cette dernière qui a fini par céder. Sa mère a déménagé à Paris pour travailler dans la haute couture, alors que son père, un homme d’affaires, a fini à Moscou. Ils se sont construit deux nouvelles vies et deux nouvelles familles, dans deux nouveaux pays. Juliette s’est sentie être l’unique chose restante de cette ancienne vie.
Elle a essayé d’aller vivre avec les deux. Et, avec les deux, les résultats ont été mauvais. À Moscou, elle a trouvé que la nouvelle copine de papa était très jolie, tellement belle, jeune et blonde si bien qu’elle avait l’impression d’avoir une soeur, plus qu’une adulte, mais, malgré la grandeur majestueuse de la ville, elle n’a pas du tout réussi à apprécier autant le climat glacial et la langue, difficile à apprendre. Alors, elle est allée chez sa mère. Elle a découvert que le français est plus facile, qu’elle peut rencontrer des stylistes et avoir de magnifiques vêtements, que Paris est une ville romantique, remplie de restaurants et d’artistes. Cela aurait été un cadre de vie parfait, s’il n’y avait pas eu le nouveau et insupportable mari français, constamment méchant et agacé par sa présence.
Finalement, Juliette a fui les deux et, prétextant l’envie de voir ses grands-parents, elle est rentrée aux États-Unis. Chez ses grands-parents, elle a ressenti quelque chose qu’elle n’avait pas trouvé, ni à Moscou, ni à Paris : elle se sentait chez elle. Donc, quand ils lui ont demandé de rester, elle a accepté. Elle a été contente de pouvoir continuer à aller à la même école, celle où elle a toujours été, sans avoir à connaître une autre manière de parler ou d’autres enfants, et puis elle a été contente de pouvoir vivre à Cles, la petite ville rassurante où elle est naît.
Surtout, elle était reconnaissante de tout l’amour qu’elle recevait. Les petites attentions, les cadeaux, les discussions devant une tasse de chocolat hypercalorique, les jeux n’avaient jamais fait partie du mode éducatif de ses parents. Alors que, pour ses grands-parents, ces attentions étaient normales et elles lui ont permis d’avoir une enfance parfaite.
C’est bon d’avoir deux personnes si proches et dévouées à prendre soin d’elle.
Maintenant, elle voit sa mère deux fois par an, au moment des fêtes, toujours accompagnée de son copain ; papa, lui, téléphone, quelques fois, mais il est toujours très occupé. Voyager loin coûte cher, et elle s’est habituée à être sans eux.
Tout s’est toujours bien passé. Jusqu’à hier.
Elle soupçonne William et Matthew d’en être responsables. Ces deux-là ont toujours été ses meilleurs amis, les seuls qu’elle connaît depuis l’école primaire. Ils ont toujours joué ensemble, suivi les cours ensemble, fait les devoirs ensemble. Ils ont toujours été tous les trois. Les autres garçons étaient seulement de passage. Elle ne s’est jamais liée d’amitié avec les filles. Elle s’en moquait, elle croyait, de toute façon, qu’être avec eux lui suffisait. Puis, la dernière année du collège, Will a reçu d’un parent un héritage si énorme que ça s’est retrouvé dans les journaux locaux, alors il a décidé de s’inscrire à l’unique lycée privé du coin. Pour Matthew, ça n’a pas été un problème, son père a toujours été contre l’école publique choisie par sa femme parce qu’il considère qu’elle fournit un enseignement inadéquat et que les élèves qui la fréquentent sont des débauchés, donc il a été ravi de payer les frais de scolarité. Alors que, pour Juliette, les problèmes ont commencé.
Sachant que ses parents vivaient à l’étranger et avaient une situation stable, elle était sûre d’aller avec eux, comme toujours. Au fond, elle était d’accord : le nouveau et coûteux lycée qui l’attendait était classe et sélect contrairement au préfabriqué gris et fade du quartier.
Donc, elle en a parlé avec enthousiasme à ses grands-parents, qui se sont limités à un échange de regard préoccupé, et qui lui ont conseillé d’appeler ses parents.
Au téléphone, elle a appris toute la vérité : sa mère a été licenciée il y a plus d’un an, elle n’a plus de beaux vêtements, plus de bonnes relations et vit grâce au salaire de cuisinier de l’insupportable nouveau mari. Les affaires de son père n’ont pas marché aussi bien qu’il l’avait prévu, et il a été contraint de lui expliquer qu’il ne pouvait pas rester plus longtemps à écouter les caprices d’une adolescente gâtée alors qu’il a une deuxième famille à nourrir.
À cet instant-là, Juliette a été prise de panique. Okay, ce n’était pas vraiment l’école en elle-même qui l’importait, mais le fait qu’elle ne pouvait pas laisser tomber les seules personnes avec lesquelles elle se sentait bien. Elle n’a jamais essayé d’élargir son cercle social, parce qu’elle n’en voyait pas l’utilité et qu’elle n’en ressentait pas le besoin, alors elle n’arriverait jamais à commencer une nouvelle année toute seule, dans un lieu aussi grand, rempli d’inconnus.
Comme elle ne sait pas tenir sa langue, avant d’appeler ses parents, Matt et Will se sont inscrits à la Kennedy High School sachant, comme elle avait dit, qu’elle les aurait suivis. Par conséquent, contrairement à ce que son père lui a ordonné, elle n’a eu d’autre option que de s’agripper à la jupe de sa grand-mère et de commencer vraiment à faire des caprices. Elle l’a implorée pendant des jours, elle a crié, disant que si elle n’y allait pas elle passerait ses plus horribles années. En définitive, elle savait que l’argent, ils ne l’avaient pas, mais il devait bien exister une autre solution. Et elle, elle voulait, elle devait la trouver.
La grand-mère, qui n’était pas indifférente à ses supplications et à ses plaintes, contrairement à son père, a trouvé une solution par la suite. Elle connaissait le gardien de l’école privée, alors elle l’a supplié de parler avec le directeur pour expliquer le cas de sa petite-fille. Elle a évité de mentionner la carrière scolaire de Juliette, car dans bon nombre de matières, soit elle n’a jamais été très forte, soit elle n’a jamais été vraiment intéressée. En revanche, elle a longuement parlé de sa situation familiale.
L’affaire a été réglée à la façon d’une chaîne de Saint Antoine : le gardien devait une faveur à la grand-mère, et le directeur, en plus d’avoir un sérieux penchant envers ceux que l’on appelle les cas sociaux, devait une faveur au gardien. Juliette a été satisfaite grâce une bourse d’études particulière, créée spécialement pour elle.
Durant tout l’été, elle a été sur un petit nuage, heureuse de pouvoir commencer le lycée avec ses amis au sein d’un établissement prestigieux, sans que rien ne change.
Erreur.
Les choses changent. Un peu, parce que la vie est comme ça et que tout change en permanence, un peu à cause de cette stupide loi de la nature selon laquelle les meilleures choses ont une fin.
C’est pourquoi, la première année à la Kennedy s’est révélée être sans aucun doute la pire de sa carrière scolaire.
Will et Matt ont rencontré d’autres filles et ont commencé à se désintéresser complètement d’elle. Juliette espérait qu’entre elle et Matthew pourrait naître quelque chose depuis qu’il l’avait embrassée sur la joue, en CM2. Ses attentes sont parties en fumée dès qu’il a commencé à sortir avec d’autres filles, dont certaines étaient même plus vieilles que lui.
Elle s’est sentie trahie et dupée par ses propres sentiments. Mais le pire a été sans aucun doute William : il a toujours eu le défaut de se moquer d’elle, mais ses blagues sont devenues de véritables coups de poignard après avoir appris la recommandation qu’elle avait obtenue pour réussir à entrer dans l’école. Elle n’a jamais su d’où venait la fuite, mais une chose est sûre, c’est que c’est grâce à Will qu’un bon nombre de garçons