La Pire Espèce. Chiara Zaccardi
pour le soir même, car malgré les livres qui l’attendent, elle souhaite passer une soirée avec lui, pour une fois qu’elle n’a pas ses répétitions. Comme ça, au moins, elle lui évitera les pubs et les mauvaises rencontres.
Mais, une fois à la maison, elle n’arrive à rien : chaque page, chaque ligne, chaque mot est parasité par le visage de Melissa, et par ses sales pattes collantes qui se posent sur son copain.
Ce n’est pas possible. C’est la deuxième fois que quelqu’un essaie de lui piquer le mec qui lui plaît. C’est le moment d’en finir avec ça.
Pour évacuer, elle s’enferme dans la salle de bain, l’unique endroit où elle peut avoir un peu d’intimité, et téléphone à Grace. Grace est sa meilleure amie, c’est elle qui l’a sauvée après l’affaire Sullivan.
« Saluut ma belle ! » Grace répond aussitôt. C’est une maniaque du téléphone.
« Salut, tu fais quoi ? »
« Je suis en train d’écrire les derniers mots du devoir de biologie... » on entend le mouvement de la feuille. « Et
voilà ! Terminé ! Enfin ! J’y ai passé tout l’après-midi d’hier ! »
« Quel devoir ? »
« Comment ça quel devoir ? Celui sur la division cellulaire, ça ne te dit rien ? Évidemment ! C’est pour demain ! »
« Eh ? J’en savais rien ! »
Elle a été absente au derniers cours de biologie et à celui de chimie parce qu’elle a dû accompagner Sophie chez le dentiste, alors elle a demandé à Grace quels exercices avait donnés le professeur.
« Tu te trompes, je t’en avais parlé » .
« Non, je m’en serais souvenu ! » Claire désespère. Elle n’a même pas fini les autres devoirs.
« Peut-être que l’on s’est mal comprises. Je suis désolée, ma chérie. Tu peux copier le mien, demain matin » .
« On ne peut pas rendre deux devoirs identiques... Et je n’aurai pas le temps de le faire. Au point où j’en suis, tant pis, j’inventerai une excuse... » Claire soupire, sûre de ne pas s’être trompée.
Grace a oublié d’ajouter le devoir aux exercices qu’elle lui a notés. C’est une chose qui peut arriver, mais aujourd’hui, avec l’incident de la Boots, la frustration de voir baisser sa moyenne est décuplée.
« Ma chérie, je te sens déprimée. Je suis sûre que ce n’est pas parce que tu rends ton devoir en retard que le professeur... »
« Ce n’est pas ça » Claire interrompt son amie, impatiente, et lui raconte tout en détails.
« Oh, mon Dieu » commente Grace une fois son récit terminé. « Ce qu’a fait Melissa est un comportement vraiment inqualifiable » .
« En fait, elle va me le payer » précise Claire. Elle ne sait pas encore comment, mais cette certitude la rend méchamment euphorique.
« Tu ne crois pas qu’il faudrait au contraire passer au-dessus de ça ? Au fond, Phil n’a rien fait » .
« Je veux lui faire comprendre qu’elle ne doit plus jamais recommencer » .
Grace hésite un instant.
« Oui, tu as raison » reprend-t-elle. « Au fond, elle mérite une leçon. Moi aussi je suis allée au Goah hier soir, et par chance, je n’ai pas assisté à une scène aussi effrayante, sinon je crois que, par colère, je serai intervenue la première et j’aurais gâché ta vengeance » .
« Merci » Claire sourit. « C’est dommage que tu n’aies pas vu la Boots s’approcher de Phil, sinon tu m’aurais appelée » .
« Je ne savais même pas qu’elle était dans le bar. Il y avait plein de monde, à cause de l’inauguration et du concert » .
« Oui, j’imagine » .
Claire s’apprête à ajouter quelque chose, mais depuis l’étage en-dessous elle entend la voix de sa mère qui l’appelle.
« Excuse-moi, je dois y aller. Les parents qui cassent les pieds » dit-elle à son amie.
« Pas de soucis, moi aussi, je dois étudier. On se voit à l’école » .
« Okay » Claire raccroche.
Elle descend les escaliers, tout en soufflant fortement.
« C’est toi qui la paye la facture de téléphone ce mois-ci ? » ironise sa mère. Elle est dans l’entrée en train d’enfiler une veste de tailleur froissée.
« Je ne suis pas restée si longtemps que ça » réplique-t-elle.
« Oui, bien sûr. Écoute, passe prendre quelque chose déjà préparé en bas au magasin, je n’ai pas le temps de cuisiner. Et assure toi que Milly finisse ses devoirs, demain elle a un test en science » .
« Où tu vas ? »
« J’ai ma réunion ce soir » Madame Davidson embrasse sa fille sur la joue et sort en vitesse.
« Fantastique » pense Claire, l’observant partir avec la voiture qu’elles utilisent en commun. « Sans voiture et sans dîner. Et avec deux soeurs emmerdantes à surveiller. Pendant qu’elle, elle s’en va toute contente d’aller chanter dans ce stupide choeur » .
Elle retire tout de suite cette pensée de sa tête. Sa mère aussi, comme tout le monde, a besoin de se détendre un peu. Déjà toute petite, elle avait rêvé de devenir une chanteuse soul, puis elle avait eu des enfants et elle avait dû se contenter d’un emploi comme secrétaire à temps partiel. Claire ne devrait pas se plaindre. C’est juste qu’elle n’arrive pas à se contrôler : elle est agitée et en colère par ce qu’elle a appris.
En plus, comme le dit Grace, se plaindre fait partie intégrante de l’ADN féminin.
Elle remet ses baskets, vérifie son maquillage et hurle à sa soeur qu’elle sort. Cette petite idiote est encore en train de regarder la tv. En ce qui concerne les devoirs, elle n’est pas sûre de pouvoir obéir à sa mère : Milly se fout d’une leçon qu’elle pourrait recevoir sur l’école et elle, elle ne veut pas perdre son temps à lui faire changer d’idée. Surtout qu’elle n’est plus vraiment convaincue de qui a raison. En définitive, les perspectives d’avenir d’une adolescente se limitent-elles vraiment à de bons résultats et à des sacrifices en vue d’aller à l’université ? Il n’y a pas d’autre choix ? Elle est prête à parier qu’un tas de gens intelligents ont pris d’autres voies. Qui sait, peut-être que Milly trouvera un super travail sans trop de difficulté. Oui, peut-être. Ou peut-être que sa mère devra subvenir à ses besoins toute sa vie. Et elle ? Qu’est-ce qu’elle fera, elle ? La veille au soir, elle a vu une émission dans laquelle le présentateur demandait aux participants comment ils voyaient leurs vies dans dix ans, elle a eu alors une boule dans la gorge car elle était incapable d’imaginer quoique ce soit de sa vie future. Parfois, elle a peur de mourir. De disparaître comme ça, sans explication.
Quelqu’un se rendrait-il compte de son absence ? La chercherait ?
Mince, peut-être qu’elle a besoin de voir un psy. Comme si elle avait les moyens de pouvoir s’en payer un. Sa mère est très attentive au budget de la famille et elle déteste devoir ajouter des dépenses à leurs économies déjà faibles.
Il y a toujours l’assistante scolaire, mais plutôt que de mettre un pied dans son cagibi “ pour losers ”, comme on l’appelle, elle préférerait mettre fin à ses jours avec élégance et beaucoup de bruit. Parce qu’à Kennedy, on peut avoir des problèmes mais c’est toujours la réputation avant tout. Donc, il vaut mieux qu’elle soit considérée comme étant stressée, voilà tout.
« Salut Claire ! » une personne lui tape sur l’épaule sortant Claire de ses pensées.
Incroyable,