La Cité Ravagée. Scott Kaelen
"Il y a une odeur dans l'air," dit Jalis, son regard survolant les rangées de pierres tombales inclinées.
Oriken aussi pouvait la sentir. Ce n'était pas juste l'odeur moisie des longues années d'isolation, ni l'odeur salée de l'océan voisin ; c'était autre chose, à peine perceptible, mais présent néanmoins. Il renifla, plissa les yeux.
Doux, comme le parfum qui persiste longtemps après qu'une fille qui l'a porté ait quitté la pièce.
"C'est malsain," dit Dagra. "Rien n'est vivant ici. La moisissure recouvre tout et même celle-ci a séché."
"Tu connais la légende," dit Oriken. "Il y a peut-être une once de vérité dans la légende de la Cité Ravagée après tout."
Dagra renâcla. "Un nom approprié, s'il en est un."
Oriken éclata de rire. "Ouais, et puis ces soi-disant Jardins Funéraires, un véritable..." il frotta son pouce contre sa barbe et regarda en direction de Jalis. "Quel est ce mot que tu utilisais ? Non-sécateur ? Ouais, c'est ça. Cet endroit ne pourrait être plus mort. Ça, ils ont vu juste. Mais pourquoi des Jardins ? Un nom stupide pour un endroit où il n'y a pas le moindre brin d'herbe."
Jalis le regarda, amusée. "C'est génial que tu aies prêté attention à ma langue maternelle. Je crois que l'expression que tu cherches est non sequitur. Des sécateurs, ce sont des cisailles de jardinage. Mais dans un sens, tu as raison. Ces Jardins n'ont pas du tout besoin d'entretien."
"Eh bien, fléau ou pas, ça s'est passé il y a très longtemps." Oriken regarda au-dessus de la ligne de toits de la cité tentaculaire. "Maintenant qu'on est tout proche, c'est franchement tentant d'aller jeter un coup d'œil."
Dagra souffla. "Toi-même tu ressens comment c'est malsain ici, Orik. Ne tente pas le destin plus que nous ne l'ayons déjà fait. Je ne suis pas un lâche et tu le sais, mais je me souviens de la peur que j'éprouvais pour cet endroit quand j'étais garçon, et je n'ai pas besoin de pénétrer dans cette cité pour que cette peur revienne. Être entouré de ces cryptes impies, ces tombes et ces statues est déjà bien suffisant."
"Je disais juste, c'est tout. Eh Dag, tu n'as pas à serrer ton pendentif si fort. Tu n'as pas besoin des Dyades, on est avec toi." Oriken fit un clin d'œil à Jalis. Ses lèvres esquissèrent un sourire.
"Je prendrai les Dyades et vous deux en plus," dit Dagra. "Plus on est nombreux..."
"Ouais— Woohoo !" Oriken s'arrêta quand il aperçut quelque chose qui émergeait de la poussière à quelques pas du chemin. Il fit quelques pas et se pencha pour observer de plus près. Il y avait un amas de petits os partiellement déterrés dans la terre fissurée, une main humaine, ça ne faisait aucun doute. "Faut croire qu'ils n’enterraient pas bien profond par ici."
"Qu’est-ce qu’il y a ?" La voix de Dagra était nerveuse.
"Tu te souviens de cette maison où on est tombé sur les cravants ?"
"Oui."
"Eh bien, quand je dis qu'il vaut mieux s'en aller, rends-toi service et écoute-moi, cette fois. Tu es déjà assez sur les nerfs comme ça, on n'a pas besoin que tu nous fasses une crise de panique totale."
Dagra se rebiffa et tourna la tête. "C'est noté."
Ils continuèrent le long de l'Allée des Morts-Vivants jusqu'à ce qu'ils soient en mesure d'apercevoir au lointain le mur qui séparait le cimetière de la cité, avec la herse abaissée tout comme au portail d'entrée. Oriken jeta un œil par-dessus son épaule aux tours et aux remparts du mur de la lande, à peine visible derrière les entrées surélevées des cryptes, les statues plus grandes que nature et les arbres squelettiques.
"La crypte Chiddari devrait être proche maintenant," dit-il.
Jalis replia la carte et la glissa dans sa poche. "Il y a pas mal de cryptes par ici. Je propose qu'on se sépare et qu'on les vérifie séparément."
Dagra secoua vigoureusement la tête. "Oublie ça. Je n'irai pas seul dans ces lieux."
Jalis réprima un soupir. "Je n'ai pas dit qu'on y entrait, Dagra. Je dis qu'on devrait vérifier les noms au-dessus des entrées et sur les statues, là où il y en a."
"Oh." Il s'éclaircit la gorge. "D'accord. Très bien."
Oriken regarda son ami barbu. En vérité, le courage de Dagra avait diminué au fur et à mesure qu'ils avaient pénétré le Plateau de Scapa et là, au milieu du cimetière, il n'en avait plus. Ça n'allait pas. Ça n'allait pas du tout. Il claqua des doigts devant le visage de Dagra et lui jeta un regard sévère. "Eh. Allez, là. Arrête ça tout de suite. Je comprends que tu aies des problèmes spirituels en ce moment, mais fais-nous une faveur à nous, tes amis, et mets un couvercle dessus. Allons vérifier ces plaques comme Jalis vient de le dire."
"Va te faire foutre," marmonna Dagra. Il leva les yeux pour rencontrer le regard d'Oriken et lui fit un bref signe de la tête. Puis, il tourna les talons et se dirigea vers la crypte la plus proche.
Oriken échangea un regard avec Jalis avant de s'en aller explorer la douzaine d'entrées de cryptes des environs immédiats. Devant la première, il s'étira pour inspecter les inscriptions gravées dans la pierre au-dessus de l'entrée. La pierre avait une fissure verticale qui coupait le nom Hauverydh juste en son centre. La statue qui ornait la crypte gisait couchée près de la porte, sa face de pierre effritée et usée, ses mains serrant sa poitrine, ce qu'elle avait tenu par le passé à présent érodé ou tombé depuis longtemps.
Oriken passa entre des pierres tombales pour se rendre vers la seconde crypte. Certaines des plaques avaient disparu, d'autres s'étaient enfoncées ou étaient penchées, tandis que d'autres encore étaient demeurées parfaitement droites. Plusieurs des inscriptions comportaient le nom Chiddari, ou ce qui semblait être une variante.
"Ça s'en rapproche par ici !" appela-t-il.
Arrivé à la crypte, il se tint debout devant sa statue et vérifia le nom effacé par le temps sur la plinthe. Cunaxa Tjiddarei. Les traits altérés étaient ceux d'une femme fière, tenant contre sa poitrine ce qui semblait être un marteau et un ciseau. La statue en bronze était dans une posture oblique, penchée vers l'avant, comme sur le point de faire une révérence à Oriken, le félicitant d'avoir trouvé son lieu de repos.
"Ouais," appela-t-il. "C'est ici !"
"Bien joué," dit Jalis dans son dos, ce qui le fit presque sauter hors de lui-même.
"Par les putain d'étoiles et de lunes, Jalis !" siffla Oriken. "Ne fais pas ça !"
Elle lui sourit. "Désolée."
À l'approche de Dagra, Jalis prit la lampe à huile et la poudrière de son paquetage et s’occupa à produire des étincelles pour enflammer un morceau de tissu à brûler. Une fois que le feu prit, elle plaça un bâton de soufre sur la flamme et s'en servit pour allumer la lampe.
Quand la lampe fut allumée, Dagra dit : "Donne-la moi." Il avait une expression hagarde mais il avait l'air plus déterminé que plus tôt.
Jalis le regarda. "Tu es sûr ?"
"Non. Mais donne quand même." Il prit la lampe et les guida vers l'entrée ténébreuse de la crypte Chiddari.
Chapitre Neuf
Rien Sans Peur
"Finissons-en avec cette affaire." Dagra souleva la lampe et scruta la cage d'escalier. Les flammes projetaient une lueur tremblante sur les murs rugueux et les marches en pierre. Au-delà du halo de lumière, la fosse du caveau s'ouvrait dans une sinistre invitation.
Se préparant mentalement, il pressa son pendentif Avato sur ses lèvres, puis avança dans l'obscurité d'un pas lent et délibéré. Un pas, deux...