La Cité Ravagée. Scott Kaelen
t'inquiète pas, Jalis," dit Oriken. "Si quelque chose passe au-dessus de Dag, je te protège."
Jalis rigola. "Tu es un bien brave compagnon de déclarer ça à une maîtresse-lame quand elle bloquée derrière toi dans un couloir."
"Que dit le dicton déjà ? Garde tes esprits plus affûtés que ta lame." Le ton d'Oriken était nettement enjoué mais Dagra savait que c'était pour masquer son propre malaise.
Quand il parvint à un virage dans les escaliers, Dagra se figea sur place. "Par la souffrance des dieux." La lumière de la lampe éclairait les murs à angle droit, ce qui projeta des ombres sur les pierres. De sa main libre, il saisit la poignée de son glaive.
"Que se passe-t-il ?" demanda Oriken.
"Rien. J'ai juste... Tout va bien."
"Tu ferais mieux d'oublier cette légende," conseilla Jalis.
"Ce n'est pas ce qui me dérange." Non, pensa-t-il. C'est l'obscurité. Ça, et le poids écrasant de la terre au-dessus. Et le fait qu'on soit en train de descendre dans un endroit encore plus abandonné des dieux que l'ensemble des Terres Mortes.
Il scruta les ténèbres au-delà du coude avec angoisse. Pour autant qu'il sût, l'escalier était vide.
"Je me comporte comme une petite fille qui croit aux fantômes," marmonna-t-il, se forçant à poursuivre la descente. Sauf que, si les fantômes existaient, c'est bien dans cette crypte impie qu'ils se trouveraient.
Après le virage suivant, les marches débouchèrent sur un sol plat qui s'étendait en un couloir long et étroit. Des étais de bois couraient le long des murs entre des dalles de pierre carrées. Des amas de toiles d'araignée poussiéreux pendaient depuis les coins des traverses. L'obscurité, humide et pénétrante, alliée à l'odeur de moisi qui provenait de la gorge noire du couloir, envoya un frisson le long de la colonne vertébrale de Dagra.
"Foutues Dyades," dit Oriken, obligé de se pencher dans l'espace exigu.
Dagra le fusilla du regard. "S'il te plaît, ne jure pas pendant que je prie."
Oriken inclina la tête davantage, cachant son visage dans l'obscurité ainsi que son sourire narquois.
"Sérieusement, j'ai entendu la même désinvolture de ta part depuis qu'on était gosses et ça ne vaut vraiment pas la peine qu'on en discute. Ce n'est pas du tout le moment de me pousser à défendre l'existence des forces d'au-dessus, d'au-dessous et par-delà Verragos que je sais être réelles et que tu t'obstines à—"
"Tout ce que j'ai dit, c'était Foutues Dyades."
"Ha !" Dagra leva les yeux. "J'espère que tu n'es pas si occupé à jurer que t'as pas le temps de voir qu’il y a des toiles d'araignée."
Oriken s'arrêta et gémit. "Par les étoiles... Il fallait qu'il y ait des toiles d'araignée ici, n'est-ce pas ? J'aurais pu le parier."
Dagra poursuivit sa marche, Oriken le suivant de près. Peu de temps après, ils aperçurent une arcade ouvrant sur quelque horreur impie qui les attendait à l'intérieur. Tous ses sens concentrés sur l'arcade sombre, il faillit s'évanouir et manqua de laisser tomber la lampe quand le cri d'Oriken transperça le couloir. Le cœur de Dagra battit à tout rompre quand il se retourna pour voir Oriken se dandiner et battre des bras avec affolement, battant le rebord de son chapeau et reculant en plein sur Jalis, amusée.
Elle l'attrapa par la taille, sans doute plus pour se protéger de son poids que pour calmer ce balourd sans cervelle. En dépit de sa petite stature, elle parvint sans mal à arrêter leur compagnon de haute taille dans sa lancée.
Les mouvements d'Oriken avaient provoqué un nuage de poussière et un fin voile restait en suspens dans le corridor, réduisant davantage leur visibilité. Les cheveux en sueur et décoiffés, alors qu'il retirait son chapeau, Oriken fixa avec effroi les toiles d'araignée qui s'étaient accrochées au rebord et sur la couronne gondolée de son chapeau. Avec une grimace, il s'en débarrassa.
Jalis posa ses mains sur ses hanches, leva le menton et lui jeta un regard déçu.
Remarquant le reproche, Oriken haussa les épaules tout en s'excusant et remit son chapeau sur la tête. "Ah ! Ça me fout les jetons !"
Dagra soupira. "On le sait !"
Jalis ne pouvait réprimer son sourire narquois, puis elle dit, "Tu en as raté une, là." Elle tendit le bras et retira un fil de toile de sa barbe, puis l'essuya contre le mur. "Voilà. C'est fini." Elle plissa les lèvres, puis rajouta, "Vas-tu maintenant te comporter comme un brave sabreur ?"
"J'avais bien dit qu'on aurait mieux fait d'emmener plusieurs torches au lieu de cette stupide lampe," marmonna Oriken. "On aurait pu flamber tout le satané plafond en passant."
Dagra secoua la tête et tourna son attention vers l'arcade plongée dans les ténèbres. Il avança prudemment, chaque pas amenant son lot d'angoisse. Ses peurs avaient repris le dessus.
Je n'ai aucune hâte à aller trouver ce qui se cache là-bas, pensa-t-il. Personne n'est entré dans ce caveau mortuaire depuis des siècles. C'est contre nature ! Mais bon, on est arrivés jusqu'ici, à défaut on ramènera une bonne histoire. Ressaisis-toi. On y est presque.
Il atteignit l'arcade et s'immobilisa. "Pour une pièce de cuivre, pour une pièce d'argent," grommela-t-il. Prenant une profonde inspiration, il franchit le seuil et entra dans un couloir au plafond haut, beaucoup plus large que le couloir exigu. Tout était silencieux et immobile. Trop calme. Trop immobile. Il scruta dans l'obscurité pendant un long moment. Les poils sur son cuir chevelu s'étaient dressés alors qu'il fit un pas de côté pour laisser les autres passer.
Oriken se pencha pour franchir l'arcade en souriant et s'étira de toute sa hauteur. "Ah, voilà qui est bien mieux !"
"Content que tu sois heureux," dit Dagra, "mais pourrais-tu exprimer ta joie avec un peu moins de bruit ?"
"Ah, allez, Dag. L'incident de la cave, c'était il y a des années."
"Ouais, parfaitement ! Sept, pour être précis. Et je n'ai pas besoin que tu me le rappelles encore une fois, merci beaucoup."
Oriken railla. "Si tu continues à crier comme ça, tu vas finir par réveiller les morts, sans parler des plafonds qui risquent de s’effondrer et les entrées qui seront bloquées."
Dagra frissonna, serra les dents et lança à Oriken un regard furieux.
"Les mômes, ça suffit," Jalis les rappela à l'ordre. "Gardez vos plaisanteries pour quand on sera de retour sur la lande. Vous pourrez même plaisanter tout le long du chemin du retour mais essayons de nous comporter comme des sabreurs pendant que nous sommes ici." Elle regarda Dagra. "Je te laisse nous guider."
Il avança avec précaution dans le hall. La flamme de la lampe vacillait alors qu'il la balançait de droite et de gauche pour scruter les alcôves creusées dans les murs à intervalles réguliers. Des ombres tremblaient tout autour d'eux comme des spectres fuyant le halo de lumière. Dans les alcôves ainsi que sur des piédestaux alignés le long du centre du couloir, des assortiments de pierres précieuses captaient la lumière ; il reconnut de l'obsidienne, de la pierre d'étoile, du lapis, des cymophanes, de la pierre de tonnerre et plusieurs autres pierres, jolies mais peu précieuses. À l'arrière de l'une des alcôves, une pierre de soleil veinée de rouge attira son attention. Il s'en approcha pour la regarder de plus près. Le joyau était enchâssé à hauteur de taille au centre d'une dalle de granit allant des genoux de Dagra jusqu'à sa poitrine, deux fois plus grande en largeur, et dont les côtés étaient fermement encastrés dans des piliers d'angle. Il saisit la pierre de soleil pour la déloger mais elle était fermement incrustée dans le granit.
Il y avait des mots et des dates gravés autour de la pierre. Dagra se pencha plus près mais les lettres gravées étaient en himaerien ancien et à peine lisible. Secouant la tête, il retourna vers le couloir.
Alors