Le Ciel De Nadira. Giovanni Mongiovì

Le Ciel De Nadira - Giovanni Mongiovì


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soigné, au visage et au nez fins ; il avait en outre l’air de quelqu’un qui connaît sa valeur dans ce monde. Il parlait même lentement, en fermant souvent les yeux avec savoir faire. Les deux autres étaient habillés presque de la même façon, avec de longues tuniques noires et des culottes blanches, mais un des deux avait une grosse médaille en or autour du cou.

      L’un en face de l’autre, de longues minutes passèrent avant que quel-qu’un ne commença à parler. Puis Umar voulu rompre la glace pour essayer de comprendre s’il pouvait cueillir une quelconque affaire :

      “ Tu es riche ! Qui es-tu, un marchand de perles ? ”

      Et lui, en riant, répondit :

      “ Mes agents cette année ont fait croître remarquablement mes gains, justement grâce au commerce des perles. ”

      “ Je pensais que étais un qā’id, mais il est vrai qu’un qā’id voyagerait avec une escorte et avec la cour. ”

      “ Salim, mon frère….. mon nom est Salim. ”

      “ Bien, Salim… quelle affaire t’a conduit chez moi ? ”

      En réalité Umar aurait voulu demander la raison pour laquelle ils n’avaient pas passé la nuit à Qasr Yanna, au lieu de se remettre en route au coucher du soleil pour faire juste quelques kilomètres. Il craint cependant que sa question ne puisse être mal interprétée, presque comme s’il était en train de leur demander pourquoi ils n’étaient pas restés chez eux.

      “ Cet homme que tu as fait lier au poteau…. Est-il en vente ? Car il m’a semblé de voir un physique exceptionnel. ”

      “ Tu es donc un marchand d’esclaves ! ”

      “ Je suis un homme qui cherche des perles rares parmi le genre humain, mon frère. ”

      Immédiatement l’esprit d’ Umar fut effleuré par la pensée de vendre Corrado à cet homme. Puis il pensa que les chrétiens du Rabaḍ n’étaient pas des esclaves, même s’ils servaient sa demeure, et il ne pouvait pas être le patron de leur vie. Donc il répondit : ” Je crains qu’au Rabaḍ il n’y ait aucune de ces perles. Ici, chacun cultive sa propre terre et prie sous ses propres murs…. A l’exception des quatre gouvernantes de cette maison. ”

      “ Pourtant je sais que tu caches une perle d’une rare beauté sous ce toit, et qu’il ne s’agit pas d’une de tes quatre servantes. ”

      Umar devint très sérieux et ayant compris qu’il s’agissait de Nadira, il répondit :

      “ La perle dont tu parles n’est pas à vendre, et ne l’a jamais été. ”

      “ pourtant je sais que le Qā’id de Qasr Yanna s’est empressé de l’acheter, mon frère. ”

      “ Tu comprendras donc quel genre d’homme la protège… ”

      “ Je ne crains personne… encore moins le Qā’id , et cela parce que je n’ai aucune intention de faire du mal à qui que ce soit… si jamais j’en avais le pouvoir. Cependant j’ai entendu parler de deux pierres de saphir entourées d’un merveilleux contour ; d’une jeune fille aux caractéristiques célestes, d’un rêve qui brise la poitrine. Le Qā’id peut avoir tout ce qu’il veut… et obtient toujours le mieux. Moi, cependant, je suis un marchand de perles – comme tu as dit – et je comprends que pour de telles perles, d’autres qā’id et seigneurs paieraient une fortune. La gloire des yeux de Nadira, si cela est son vrai nom, s’est propagée dans toute la Sicile centrale, mais moi je ne demande rien… uniquement de les voir. Maintenant que ibn al-Ḥawwās s’est offert un don aussi précieux, les autres voudront certainement l’imiter, et il ne tient qu’à moi de trouver une telle rareté, parmi les jeunes filles de l’île et outremer. ”

      “ Donc, que veux-tu ? ”

      “ Uniquement voir ce bleu dont on parle tant. ”

      Il ferma les yeux et récita avec un sourire presque moqueur :

      “ Le ciel de Nadira, les frontières de ses yeux. ”

      Umar se frotta nerveusement les mains. Cette requête engendrait des soupçons, même si dans le fond, elle n’était pas si difficile à satisfaire, n’engendrant aucune violation de pudeur ou de morale. Le patron de la maison était soucieux, partagé entre sa jalousie envers sa sœur, et la crainte de décevoir un homme plus important que lui. Celui-ci entre autre avait compris depuis le début – ou peut-être le lui avait-on dit – quel était le point faible de Umar. Avec un autre, cet homme aux évidentes compétences commerciales aurait offert de l’argent, toutefois Umar ne donnait pas d’importance aux richesses comme l’aurait donnée un avare : l’orgueil était la véritable clé pour le rendre vulnérable.

      “ Umar, mon frère, maintenant que tu es le beau-frère du Qā’id, tu au-ras certainement déjà pensé à comment mettre en évidence ton état, et à comment te faire respecter en tant que tel… ”

      Umar le regarda perplexe, au fond il y pensait depuis qu’Ali ibn al-Ḥawwās avait visité le Rabaḍ.

      “ Mon manteau, en as-tu déjà vu un semblable ? ” demanda Salim, s’étant rendu compte que Umar l’avait fixé émerveillé.

      “ J’imagine qu’il provient de bien loin. ”

      L’ autre homme se mit à rire, entraînant également ses hommes dans ce geste.

      “ cela en dit long sur toi, mon frère. As-tu déjà mis les pieds hors du Rabaḍ ? ”

      “ Je fréquente assidûment le marché de Qasr Yanna. Là il y a une grande quantité de personnes : beaucoup de fidèles, mais également des paysans chrétiens qui travaillent la terre à l’intérieur des remparts de la ville, et même des artisans juifs provenant de Qal’at an-Nisā’31. On peut y trouver de tout : du souffre des mines au sel provenant des gisements, du sucre extrait de la canne au riz des rizières. Et les jardins de la ville avec ses sources… Cela vaut la peine d’y aller. ”

      “ Mais Qasr Yanna est seulement à une demie heure de ce village ! ” pensa l’homme au médaillon.

      “ Peut-être en montant, mon frère ! ” répondit l’autre en se moquant d’ Umar.

      “ mon cher Umar, l’étoffe de mon manteau provient des établissements de Balarm32.

      Es-tu jamais allé à Balarm ? ”

      Salim utilisait avec succès l’art du commerce, toutefois il n’était pas en train de vendre des biens matériels à Umar, mais quelque chose que le collecteur d’impôts du Qā’id possédait : l’orgueil. Tout comme un vendeur fait naître au client le besoin de posséder l’objet qu’il entend lui vendre, ainsi Salim était en train d’humilier Umar, en lui faisant comprendre la nécessité de devenir une autre personne, une personne qui démontre son lien de parenté avec le Qā’id, qui exhibe avec orgueil son nouveau statut. En lui faisant peser le fait qu’il ne soit jamais allé à Balarm, il le rendait petit… petit comme pouvait l’être n’importe quel habitant d’un village rural, même si fonctionnaire du Qā’id. Maintenant Salim lui aurait proposé une solution en visant son orgueil qu’il avait habilement démonté, et qui nécessitait d’une nouvelle vie.

      “ Le manteau est à toi, mon frère ! Tu as vraiment besoin d’un habit qui ne te fasse pas passer inobservé. ”

      “ C’est quelque chose de trop précieux pour que tu en sois privé. ”

      “ Tu plaisantes, Umar ? Je possède une centaine d’étoffes de ce genre… que mes couturières sauront confectionner correctement. D’ailleurs je ne te demande qu’un simple regard des yeux d’une jeune fille… Penses-y, c’est l’unique chose que tu possèdes et qui vaut la peine d’être montré… et tu la tiens sous-clé… ”

      Donc Umar fit un signe à la servante qui était sur la porte, et qui tenait une grande cruche en terre cuite pleine d’eau.

      “


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<p>31</p>

Qal’at an-Nisa: nom de la ville de Caltanissetta durant la période arabe. Probablement signifie ”citadelle des femmes”, de ”qal’at”, citadelle, fortification en arabe. De nombreuses localités siciliennes conservent les préfixes ”calta”, ”calata” ou ”cala”, provenant de la signification originaire de citadelle ou fortification.

<p>32</p>

Balarm: nom de la ville de Palerme durant la période arabe.