La trahison de Darwin. Gerardo Bartolomé

La trahison de Darwin - Gerardo Bartolomé


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dont je me rappelle le plus de ces premiers jours à bord du Beagle ce sont les hauts de coeur de Darwin. Le début du voyage était peu prometteur malgré la harangue stupéfiante que le capitaine réalisa depuis le pont de commandement et dont nous nous souviendrions tous pour longtemps.

      Une fois que le Beagle eut dépassé le brise lames extérieur du port et que la navigation fut stabilisée, Fitz Roy ordonna à l’équipage de se réunir devant le pont de commandement. De là, criant par dessus le bruit de la mer et du vent, il adressa quelques paroles destinées à donner le moral et à créer ce qu’il appelait l esprit de corps ou sentiment de groupe. C’était quelque chose de très fréquent dans la marine anglaise. Il commença par lire le texte gravé dans le bois du pont de commandement. « England expects every man to do his duty »,

      — « L’Angleterre attend de chaque homme qu’il fasse son devoir », dit Fitz Roy- ce sont les célèbres paroles de l’Amiral Nelson avant la bataille de Trafalgar dans laquelle il triompha de son ennemi mais perdit la vie. Nelson accomplit son devoir et c’est exactement ce que nous ferons, nous accomplirons notre devoir. Nous passerons plus de quatre ans loin de notre pays et de nos familles mais nous reviendrons contents et fiers d’avoir accompli la mission dont on nous a chargés. Nous relèverons et cartographierons le Sud du continent américain pour que nos bateaux puissent traverser d’un océan à l’autre sans danger. Nous chercherons et identifierons les rochers dangereux, les courants traîtres et les dangers cachés mais nous trouverons aussi les chemins les plus courts et les meilleurs ports où à l’avenir des navires en danger pourront se mettre à l’abri des tempêtes ou attendre l’arrivée des secours. Dominer le carrefour des deux océans est fondamental pour que l’Angleterre continue de régner sur les mers.

      Mais à la différence d’autres expéditions de relevé de côtes, la nôtre s’est vue confiée une autre mission tout à fait inédite pour la Marine Anglaise.

      En plus du relevé géographique, nous ferons un relevé scientifique de toute la région. Nous énumérons les animaux terrestres et marins, les plantes, les champignons, des observations géologiques seront faites aussi. C’est pour cette raison que Mr Charles Darwin est présent en tant qu’extra titulaire, c'est-à-dire qu’il ne fait pas partie de l’équipage du Beagle, mais qu’il sera traité comme s’il était de rang officiel. Mr Darwin a ma confiance absolue pour atteindre cet objectif. Ainsi messieurs, nous naviguons vers la Gloire ! (To Glory we steer).

      A ce moment résonnèrent deux coups de canon qui clôturèrent parfaitement le discours. L’équipage cria trois hourras dans un délire d’enthousiasme. Fitz Roy se les était mis dans la poche, il savait parfaitement comment les manier, il était leur meneur et ils l’adoraient.

      Alors qu’ils s’apprêtaient à regagner leur poste, le capitaine leur ordonna de rester. Ce qui suivit ne fut pas autant agréable. Trois aspirants amenèrent les hommes accusés d’ébriété le jour de Noël et les fouettèrent, selon le règlement disciplinaire. Fitz Roy montrait ainsi qu’il pouvait aussi être un capitaine implacable. Chacun devait choisir s’il allait être de ceux qui « navigueraient vers le Gloire » ou de ceux qui recevraient les coups de fouet.

      Les hommes assistèrent en silence à la triste cérémonie et tous comprirent qu’à l’instar l’Angleterre, le capitaine attendait aussi d’eux qu’ils accomplissent leur devoir.

      * * *

      Les premiers jours de voyage, le Beagle avançait rapidement. Le vent était fort, la mer était agitée et le bateau roulait beaucoup. Darwin passait presque tout le jour dans son hamac de la salle des cartes, essayant de dominer une de ces nausées persistantes. Stokes lui expliqua que les « gens de la terre » étaient toujours malades au début mais qu’au bout de quelques semaines, la majorité s’habituait. Darwin avait peur de ne pas faire partie de cette majorité et il se demanda, atterré, s’il serait capable de supporter un voyage de quatre ans dans ces conditions.

      Stokes continua à lui expliquer que dans les pires tempêtes même les marins les plus expérimentés étaient malades. —« Je peux vous dire que les seuls que je n’ai jamais vu être malades, ni même dans la pire houle, ce sont les aborigènes « fueguinos ». Quand nous les avons ramenés, dans notre dernier voyage, nous sommes passés par des moments terribles et ils ne montrèrent jamais le moindre signe d’incommodité. »

      A mesure que passaient les jours et que le Beagle avançait vers le Sud, le climat s’adoucissait-ils venaient d’un hiver anglais rigoureux — et la mer était aussi de plus en plus calme. Darwin put sortir sur le pont profiter du beau temps. Avec un filet et quelques fils de fer, il fit un entonnoir qui, maintenu quelques heures dans l’eau, lui permit de récolter la faune marine. C’est ainsi que commença son travail de naturaliste à bord du Beagle, en attendant d’atteindre la première halte, Santa Cruz de Tenerife, dans les Iles Canaries.

      * * *

      Dans la matinée du 6 janvier, Darwin fut réveillé par Stokes qui le secouait. « Charles, c’est l’aube, nous arrivons. Viens sur le pont. »

      Darwin s’habilla rapidement et sortit aussitôt. Il y avait une grande animation sur le pont bien qu’il soit très tôt. Beaucoup s’étaient levés avant leur service pour contempler le merveilleux Teide.

      Le soleil venait de se lever, il était énorme et orange à peine au dessus de l’horizon brumeux. Avec le soleil dans le dos, Charles vit devant lui une île avec un petit village de maisons blanches. Au dessus des maisons, le brouillard gênait la visibilité, mais plus haut émergeait une énorme et majestueuse montagne d’aspect volcanique. La moitié supérieure du cône parfait était couverte de neige, bien que l’on soit presque à la latitude du Tropique du Cancer. L’aube donnait à la neige une couleur jaune orangée qui ressortait sur le ciel, encore sombre, en arrière plan.

      Pour les aborigènes qui avaient vécu dans les Iles Canaries par le passé, les « guanches », cette montagne avait un caractère sacré, semi divin. Les espagnols avaient conservé le nom aborigène original, le Teide.

      — C’est beaucoup plus grand que ce que je m’imaginais, dit Darwin.

      — Il a une douzaine de milliers de pieds d’altitude, c’est plus haut que n’importe quelle montagne de Galles, d’Angleterre ou des Alpes.

      — Elle est plus spectaculaire que n’importe quelle autre montagne que j’ai vue jusqu’à maintenant. C’est probablement lié au fait qu’en général les montagnes font partie de chaînes montagneuses, alors que celle là est seule, isolée en mer, ce qui la fait ressortir davantage.

      — Pas si seule et isolée que ça, dit Stokes en désignant la direction de la proue du bateau, regardez là bas à l’horizon, on voit une autre île dominée elle aussi par une grande montagne mais sans neige celle fois ; cette île est la Grande Canarie. J’ai mesuré la hauteur de la montagne avec mes instruments, il faudrait faire les mesures depuis la terre ferme pour une meilleure précision, mais il semble qu’elle ait six milles pieds de hauteur, ce qui pour une île si petite est beaucoup.

      — Comment sont les autres îles de l’archipel?

      — Toutes ont un fort relief, bien qu’aucune autre n’ait de montagne aussi haute que celle-ci. Pourquoi ça ?

      — Parce que j’imagine que les deux montagnes sont volcaniques et probablement toujours actives. Ces îles ne sont ni plus ni moins des montagnes qui, depuis le fond de la mer, atteignent la surface. Les éruptions continuelles ont dû les faire s’élever au dessus du niveau de la mer. La totalité de l’archipel a sûrement la même origine, c’est pour ça qu’elles sont toutes très montagneuses. Quand nous descendrons à terre, je vérifierai si les pierres sont bien le produit de la lave.

      — Pour cela il faut encore attendre deux heures. Nous ne pouvons pas descendre avant d’avoir l’autorisation de débarquer, et le bureau du port n’a pas encore ouvert.

      Les jeunes hommes restèrent silencieux, accoudés à la balustrade du pont à admirer le paysage que la matinée leur offrait. Après


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