Politik – Kirche – politische Kirche (1919–2019). Группа авторов

Politik – Kirche – politische Kirche (1919–2019) - Группа авторов


Скачать книгу
éventuellement de mort ceux qui dérogeraient aux croyances de l’État10. Mais le platonisme religieux, notamment celui des Lois, incarne un projet politique de type théocratique qui demeure tout à fait singulier au sein de la nébuleuse religieuse grecque, même si son influence s’avèrera ensuite immense11.

      De manière générale, les réformes théologiques induites par les philosophes n’étaient pas assorties de ce type d’exigences ou de contrôle social, et chacun pouvait spéculer relativement librement sur la nature des dieux et leur rôle – ou absence de rôle, s’agissant de l’épicurisme – au sein du cosmos sans encourir de risques réels pour soi-même ni en occasionner aux autres. Pour Aristote, il y a une piété traditionnelle qui contient une part de vérité sur les dieux, dont il recommande d’ailleurs de suivre tout naturellement les préceptes, mais le Stagirite se livre d’autre part à une spéculation philosophique libre sur la nature du divin, principe premier comme source universelle, en tant que cause finale, du mouvement du monde, une substance dont il n’hésite pas à déclarer, en opposition aux enseignements traditionnels, qu’elle est le dieu même :

      Nous disons par conséquent que le dieu est un vivant éternel excellent, nous disons donc que la vie et la durée continue et éternelle appartiennent au dieu, car c’est cela qu’est le dieu12.

      Or, cette philosophie théorétique qu’incarne la « théologique » (Mét. E, 1, 1026 a 19), et qui se trouve être la science théorétique supérieure et préférable (1026 a 23) aux deux autres (physique, mathématique), joue certes un rôle axiomatique et de modèle pour l’ensemble de la réalité, puisque « d’un tel principe », souligne-t-il, « dépendent le ciel et la nature » (Mét. Λ, 7, 1072 b 13–14), mais elle demeure bien peu détaillée et explicite dans ses exigences concrètes. Par ailleurs, sur la nature interne de cette vie excellente en elle-même, et qui pense sa propre pensée, presque rien ne nous est révélé si tant est qu’il y ait quelque chose à en dire. Le « message théologique » apparaît ici minimal, et on se rappellera qu’Aristote insiste ailleurs sur nos connaissances forcément limitées du monde divin :

      Or sur les êtres supérieurs et divins que sont les premiers, nos connaissances se trouvent être très réduites (en effet, l’observation nous fournit infiniment peu de données sensibles qui puissent servir de point de départ à l’étude de ces êtres et des problèmes qui nous passionnent à leur propos)13.

      Théologie minimale aussi, du côté d’Épicure dont le but premier est de nous libérer des craintes inspirées par les dieux, la religion populaire voulant que « des dieux nous viennent les plus grands dommages et les plus grands avantages14 », alors que rien de cela n’émane d’eux, puisque « les occupations, les soucis, les colères et les faveurs ne s’accordent pas avec la béatitude [des dieux], mais que ces choses ont leur origine dans la faiblesse, la peur et la dépendance à l’égard de ses voisins15 ». Se trouvent dès lors laissées librement à l’homme la tâche d’imiter autant que possible par sa vie heureuse ici-bas la makaria exemplaire des dieux, et la possibilité « de vivre comme un dieu parmi les hommes16 ». L’autolimitation critique du savoir est ici clairement marquée par Épicure, puisqu’il s’agit, en un geste pré-néoplatonicien17, de ne rien ajouter ou attribuer en sus (προσάπτειν) au divin, outre le fait brut de sa béatitude et de son incorruptibilité18, théologie minimaliste et quasi nue donc, à défaut d’être négative19.

      Dans le prolongement du texte de Lucien dont nous sommes partis, il vaut la peine de s’arrêter un instant sur Sextus Empiricus, dont l’attitude à l’égard du divin est marquée également par la réserve ou la retenue20. Je cite sur ce point un passage exemplaire :

      Puisque ce n’est pas tout ce qui est conçu qui participe de l’existence, mais qu’il est possible d’un côté de concevoir quelque chose, mais qui n’existe pas, comme un Hippocentaure ou une Scylla, il sera nécessaire après notre recherche sur la conception des dieux, d’examiner aussi ce qui touche l’existence de ceux-ci. Car, sans doute, le sceptique se trouvera en une situation plus sûre (ἀσφαλέστερος) que ceux qui philosophent d’une autre manière, parce que, d’un côté, en conformité avec les coutumes ancestrales et les lois, il dit qu’il y a des dieux et il accomplit tout ce qui concourt à leur culte et à la piété, mais de l’autre côté, pour autant que la recherche philosophique est concernée, il ne se précipite (προπετευόμενος) pas21.

      L’absence d’empressement ou de précipitation (προπέτεια) du sceptique tient au fait qu’en même temps qu’il reconnaît que tous les hommes ont une certaine conception (ἔννοια) ou préconception (πρόληψις) du divin – puisque tous d’une manière ou d’une autre y font référence –, préconception qui voudrait communément que le dieu fut un être de béatitude, impérissable, parfaitement heureux et sans méchanceté (ΙΧ 32 et 33), il observe qu’au-delà de cela, les représentations du divin varient d’une personne à l’autre et d’un peuple à l’autre (IX 32), que les préconceptions elles-mêmes peuvent d’ailleurs s’opposer et différer entre elles (IX 192), et qu’au surplus, ceux qui nient l’existence même des dieux ne le cèdent en rien pour la persuasion, par égalité de force (ἰσοσθενεία), aux dogmatiques (IX 137). L’absence de légitimité nette pour une option plutôt qu’une autre incite peut-être le sceptique à s’accorder pratiquement avec les usages dominants, mais ce faisant, il évitera tout au moins de se précipiter dans l’argumentation comme s’il détenait quelque chose de solide. Philosophiquement parlant, il prendra garde de ne pas tomber dans la présomption (οἴησιν), c’est-à-dire dans l’arrogance doctrinaire. Comme Sextus l’exprime dans ses Esquisses pyrrhoniennes, « le sceptique, du fait qu’il aime l’humanité, veut dans la mesure du possible guérir par la puissance de l’argumentation la présomption (οἴησις) et la précipitation (προπέτεια) des dogmatiques » (HP III 280). On remarquera que chez les cyniques également, on pratique volontiers la retenue dans les affaires religieuses22, mais j’en viens dès à présent à la tradition aphairétique.

      La tradition hénologique est un autre bel exemple de modération ou, disons, de stricte économie théologique. Par le moyen du concept d’« unité », la méthode hénologique parvient à dégager une sorte de substructure de la réalité tout entière23, chaque niveau de réalité pouvant être ramené à un certain coefficient d’unité, jusqu’à ce qu’on parvienne à la notion d’une unité parfaite, un « un » purum qui n’est rien d’autre qu’unité et prend dès lors le nom, avec une majuscule, de l’« Un ». On peut même aller plus loin dans la maigreur théologique, en posant que le nom de « Un » lui-même n’est qu’une désignation extrinsèque et finalement fausse ou inadéquate24, une façon commode de référer à soi-même ce principe premier inexprimable ou ineffable, sorte de trou noir métaphysique en lequel tous les noms se défont ou s’effilochent, à la manière des trous noirs cosmiques en lesquels les objets se spaghettisent et la lumière elle-même, on le sait, s’évanouit.

      La méthode hénologique apparaît ainsi comme une échelle qu’on rejette une fois parvenu au sommet. Dans ces conditions, c’est le principe du ἄφελε πάντα clôturant le traité 49 (V 3), c’est-à-dire le principe du « retranche tout » ou du « élimine tout », qui s’impose désormais25. Certes, l’idée même de la principialité demeure, dans la mesure où ce qu’on dénomme l’« Un » est bien source et puissance de toutes choses26, mais l’entité ou la chose qu’elle incarne ou représente, en fait la « non-chose », puisque Plotin place l’Un en-deçà du « quelque chose27 », se révèle une non-chose étrange ou merveilleuse comme on voudra (VI 9 [9] 5, 30 : θαῦμα), ou encore un certain infini (VI 9 [9] 6, 10 ; VI 7 [38] 32, 15), qui en un sens franchit même l’appellation de dieu : « si tu le penses comme Intellect ou comme Dieu, observe Plotin, il est plus28 » (6, 12).

      À partir de là se produit une sorte de révélation en forme de chiasme, où la certitude se mêle à l’indétermination


Скачать книгу