Zézette: moeurs foraines. Oscar Méténier
>
Oscar Méténier
Zézette: moeurs foraines
Publié par Good Press, 2020
EAN 4064066089047
Table des matières
Chapitres
I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII, XIII XIV XV XVI
I
Debout sur la parade, Chausserouge fit un signe et l'orchestre attaqua les premières mesures d'une marche.
Puis, tandis que pistons et trombones s'évertuaient, il jeta un coup d'oeil autour de lui.
A ses pieds, un cormoran déplumé faisait claquer son bec, tandis que, perché au sommet d'une échelle, un singe enchaîné promenait sur les rares passants un regard résigné.
Une peau de lion et une peau d'ours, se faisant face, tapissaient le réduit ouvert qui donnait accès dans la ménagerie. Au fond, un trophée de cornes gigantesques entourait une tête de bison.
Soudain, Chausserouge remarqua que le contrôle était vide. Il courut à l'entrée des premières, souleva une portière effilochée, et de sa grosse voix brutale:
—Zézette, cria-t-il, ah ça! vas-tu venir, mauvaise gamine!
—Oui, papa! mais c'est Anatole qui ne veut pas me suivre...
—Eh bien! tape dessus!
Et presqu'aussitôt apparut une petite fille de douze ans environ, dont les yeux et les cheveux noirs faisaient encore ressortir la pâleur, traînant derrière elle, comme un chien, un jeune lionceau.
—Donne-moi ça! fit l'homme en arrachant brusquement la laisse des mains de l'enfant, colle-toi à ton comptoir et fais-moi le plaisir de ne plus en bouger.
Puis comme l'animal résistait, cherchant avec ses pattes de devant à se débarrasser du collier qui lui serrait la gorge, il lui allongea un coup de pied qui l'amena au bord du plancher.
—Avance donc, sale bête!
Le lionceau fit entendre une sorte de miaulement plaintif et vint se tapir au pied du piquet autour duquel Chausserouge enroula la laisse.
L'orchestre se tut; le dompteur fit, une minute durant, résonner, un gong retentissant; puis, tandis que le bonisseur achevait son invariable discours, il vint se camper, face au public, le jarret tendu, les bras croisés sur son dolman bleu-ciel à brandebourgs noirs.
Mais, ni cette mise en scène, ni les alléchantes promesses du boniment, ne parvenaient à fixer l'attention des rares passants qui sillonnaient encore le cours de Vincennes.
Il était dix heures du soir, et bien que la fête battit son plein, qu'on fût encore dans la semaine de Pâques, jamais peut-être, de mémoire de «voyageur», la foire n'avait attiré moins de monde.
En vain, de la place du Trône à la barrière, les orchestres faisaient rage; en vain les bateleurs déployaient toutes les ressources de leur esprit, le public passait indifférent, accordant à peine un regard aux parades, un sourire aux lazzis des pitres.
Depuis le matin, une chaleur lourde, accablante, avait fait regretter la bise de la veille. Maintenant les nuages noirs amoncelés à l'horizon se rapprochaient; un petit vent, précurseur de l'orage, faisait bruisser les feuilles des arbres et voltiger l'étoffe des drapeaux.
—Allons! messieurs, mesdames! glapissait le bonisseur, prenez vos places! Entrez! Pour la dernière représentation de la soirée, c'est à cinquante centimes les premières, vingt-cinq centimes les secondes! Travail dans toutes les cages par le célèbre dompteur Chausserouge! Et la séance sera terminée par le repas des animaux! Entrez! Entrez!
Mais personne ne répondait à cet appel. Les projections électriques des baraques voisines n'illuminaient que le vide; les animaux, énervés par l'atmosphère pesante, se promenaient inquiets dans leurs cages poussant des rugissements sourds, quand tout à coup de larges gouttes de pluie mouchetèrent les marches de bois de la ménagerie.
—V'là