Zézette: moeurs foraines. Oscar Méténier

Zézette: moeurs foraines - Oscar Méténier


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de la lampe fumeuse qui les éclairait.

      La flamme jetait autour d'eux des reflets rougeâtres qui firent de nouveau frissonner le dompteur.

      —Poule mouillée! va! Tu as peur? dit Jean en haussant les épaules.

      —Je n'ai pas peur... mais je suis plus à mon aise quand j'entre dans mes cages.

      —Laisse-donc! Le feu purifie tout... Et voilà, ajouta-t-il en broyant sous son pied les cendres provenant de l'auto-da-fé, les infamies de Vermieux réparées et notre crime pardonné.

      A ce moment, un éclair illumina la caravane, suivi presque aussitôt d'un coup de foudre terrible, auquel répondirent les rugissements des bêtes fauves.

      —V'là le bon Dieu qui dit oui! ricana Jean. Finissons-en!

      Chausserouge, livide, les yeux hagards, s'était cramponné, pour ne pas tomber, à la cloison de la caravane. Il sentait ses jambes flageoler sous lui.

      —Ah! Tu m'embêtes avec ta peur... fit Jean durement. Le vin est tiré... il faut le boire! Aide-moi!

      —Je n'oserai jamais! balbutia le dompteur.

      —Je le croyais plus d'aplomb que ça, tu sais... Aide-moi seulement à le déshabiller... Après, je me charge du reste!

      Chausserouge rassembla ses forces. Il se pencha, ainsi que Jean, et tous deux relevèrent le cadavre toujours chaud qu'ils étendirent sur la table.

      Le visage, couvert de sang, était méconnaissable. Le crâne presque chauve de l'usurier était partagé en deux par une large ligne sanglante. A la hâte et en silence, les deux hommes enlevèrent les vêtements souillés du vieillard qu'ils transportèrent ensuite dans la ménagerie.

      Rapidement, Jean débarrassa l'état roulant, il y coucha le corps et se prépara à commencer son office.

      —Barricade la portière... commanda-t-il, et viens m'éclairer.

      Chausserouge plaça devant l'entrée deux larges planches qu'il assujettit avec une barre de fer, puis, la lampe à la main, il regarda son aide accomplissant sa terrible besogne.

      Toujours calme, Jean avait saisi sa hachette et, méthodiquement, sans apparence d'émotion, il détacha les membres du tronc.

      Minuit sonna. Dans les cages, les lions et les tigres, alléchés par l'odeur du sang, rugissaient.

      Tout à coup, dans un angle obscur de la ménagerie, à trente pas des deux hommes, une tête émergea d'un monceau de paille.

      C'était Zézette, qui, contrevenant à l'ordre de son père et épouvantée par l'orage, au lieu d'aller se coucher chez la mère Tabary, s'était tapie dans le réduit où le dompteur serrait le fourrage.

      Elle reconnut son père, puis Jean... Tout d'abord elle ne se rendit pas compte de ce qu'elle voyait... puis soudain un cri s'étrangla dans sa gorge...

      C'était bien un homme... un homme mort... assassiné sans doute... que l'autre, l'aide, dépeçait avec tranquillité...

      Elle crut rêver... Mais non, elle ne se trompait pas.

      Un des lions, Néron, le plus rapproché des deux hommes, grattait avec fureur le plancher de sa cage, les yeux injectés, la crinière hérissée.

      —Allons! patience donc, Néron! Voilà que c'est fini! fit Jean en poussant devant lui son étal roulant.

      La petite charrette passa à trois pas de l'enfant... Ses yeux agrandis par l'épouvante ne pouvaient se détacher de l'horrible spectacle auquel présidait son père.

      Elle ne bougea pas, ne fit pas un mouvement, craignant de se montrer... de faire voir qu'elle avait surpris cet affreux secret... On la tuerait peut-être aussi, elle, si on la trouvait là... et elle sentit tout son petit corps frissonner des pieds à la tête.

      Jean s'était armé d'une fourche de fer; il commença la distribution.

      —Les gros morceaux aux plus gourmands! dit-il d'une voix gouailleuse en passant une cuisse à Néron, qui se jeta sur cette proie, dans laquelle il enfonça ses crocs avec rage.

      —Et je vous recommande les os, mes enfants! continuait Jean, c'est un morceau de roi... n'en laissez pas surtout!

      —Écoute, dit Chausserouge, qui sentait une sueur froide perler à ses tempes, n'en donne pas aux bêtes qui travaillent. J'ai entendu dire que la chair humaine avait un goût, et que quand ils en avaient mangé une fois...

      —Allons donc, peureux! Il faut que chacun ait sa part!

      Quelques instants après, l'étal était vide. Il ne restait plus rien du corps de Vermieux.

      —Et voilà... ça y est! fit Jean tout joyeux. Maintenant je vais me laver les mains et la police sera rudement fine si elle retrouve la trace du vieux!

      —Est-ce que... tu vas t'en aller? demanda le dompteur.

      —Non! diable! ce n'est pas le moment de s'endormir. Il faut veiller à ce que ces sacrés animaux-là n'en laissent pas une miette... Vois-tu qu'on retrouve demain matin un doigt de pied du père Vermieux? Après, nous brûlerons ses frusques!

      Tout à coup un bruit semblable à un cri humain retentit derrière eux.

      —As-tu entendu? fit Chausserouge en se retournant vivement.

      —Mon Dieu! que tu es embêtant... c'est un singe qui jacte... Il n'y a ici que des amis... des croque-mort!

      Les deux hommes prirent place sur un banc des premières.

      —Et que comptes-tu faire de ta galette? demanda Jean.

      —Dame! je ne sais pas... payer mes dettes... m'agrandir.

      —Veux-tu que je te fasse une proposition? Associons-nous!

      —Oui! c'est cela, associons-nous! répliqua vivement le dompteur. Comme cela, pensait-il, il restera près de moi toujours et je ne serai plus seul... en face de ces bêtes qui ont mangé Vermieux.

      Derrière eux gisait, évanouie sur la paille, Zézette qui avait compris.

       Table des matières

      François Chausserouge, âgé de trente-cinq ans environ, était, par sa mère, d'origine bohème, de cette race aujourd'hui à peu près disparue qu'on nomme sur tout le Voyage, romanichelle, par corruption abréviative, ramoni.

      Son père, un robuste Auvergnat, dernier né d'une nombreuse famille, avait, au temps de sa prime jeunesse, et fatigué de la vie des champs, quitté le pays pour suivre une ménagerie de passage, en qualité de palefrenier.

      Très satisfait de ses services, le directeur l'avait élevé bientôt au rang de garçon de ménagerie.

      Peu à peu, le jeune homme s'était familiarisé avec les animaux et il avait été mordu de la secrète ambition de travailler à son compte.

      A force d'économies, il avait fini par amasser un petit pécule et un beau jour, profitant d'une occasion qui s'offrait à lui, il quitta son patron, acheta un ours et deux loups et se fit montreur de bêtes.

      Pendant des années, il parcourut les campagnes, faisant travailler ses pensionnaires sur les places publiques des villages.

      Pas assez riche pour acheter un cheval, ni une caravane, il avait fait l'acquisition d'une petite charrette traînée par des chiens, dans laquelle il renfermait ses vivres et son maigre matériel.

      Cela dura jusqu'au moment où, ayant renforcé sa troupe de plusieurs singes et d'un perroquet, il songea à se joindre au Voyage, c'est-à-dire à la réunion générale des saltimbanques.

      Il


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