Zézette: moeurs foraines. Oscar Méténier

Zézette: moeurs foraines - Oscar Méténier


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l'effrayaient pas. Au contraire, son grand bonheur était de pouvoir passer son après-midi dans la ménagerie, tandis que son père, enfermé dans la cage centrale, dressait les animaux.

      Il lui arrivait de dire:

      —Quand je serai grand, moi aussi je dompterai les lions!

      Alors le père l'interrompait:

      —Quand tu seras grand, tu iras au collège et on fera de toi un savant afin que tu puisses devenir un jour un monsieur, «un diplomate!»

      L'enfant faisait la moue et ne répondait rien, mais il était facile de voir que dans sa petite tête était née et s'affermissait la résolution bien arrêtée de vivre comme avaient vécu ses parents.

      Néanmoins, le dompteur tint bon, malgré les avis de la bonne-ferte qui soutenait l'enfant dans sa révolte.

      —Jamais un ramoni n'a été au collège... laisse-le donc vivre en ramoni!

      Chausserouge n'entendit rien.

      Quand l'enfant eut dix ans, malgré ses cris et ses protestations, il le plaça dans une institution, à Saint-Mandé.

      Quatre jours après, il le retrouvait un soir dans la ménagerie, installée alors boulevard de la Villette, blotti derrière la caisse aux serpents.

      François avait profité de la première promenade pour s'échapper.

      Le dompteur, inflexible, prit son fils par l'oreille et le reconduisit incontinent, en le recommandant d'une façon particulière.

      François Chausserouge passa cinq ans dans cette maison d'où on se serait bien gardé de le renvoyer, car le père payait largement; mais jamais on n'avait vu élève plus indocile, plus indiscipliné, plus amoureux de sa liberté.

      Il grandissait, s'adonnait avec passion à tous les exercices du corps, mais il montrait pour l'étude une répugnance invincible, à ce point qu'il avait dû redoubler toutes ses classes et qu'il dépassait de la tête tous ses camarades de cours.

      En vain son père lui reprochait-il son apathie:

      —Je ne puis pas, répondait-il, c'est plus fort que moi!... Je veux être dompteur... comme toi!

      Chausserouge s'entêtait, mais à la fin il dut céder.

      A quinze ans, son fils, s'il était devenu un gaillard hardi et bien planté, n'avait fait aucun progrès.

      Justement, la vieille bonne-ferte, tombée en enfance, venait de mourir; la solitude pesait au vieux belluaire.

      Le soir de l'enterrement, il ne reconduisit pas son fils à l'institution.

      —Reste avec moi, lui dit-il avec un soupir, tu m'aideras... C'est égal, j'aurais tout de même bien voulu faire de toi un monsieur...

      —Bah! j'en sais assez pour te remplacer... j'ai besoin pour vivre de l'odeur de toutes ces bonnes bêtes... J'ai besoin d'entendre leurs rugissements... je suis né pour cela, je te dis! J'ai le métier dans le sang!

      Et il embrassa son père si tendrement, que le dompteur ne sut s'il devait déplorer le manque d'aptitude de son fils ou s'en réjouir.

      Dans tous les cas, il avait fait l'impossible pour ouvrir au jeune homme une carrière moins périlleuse; il ne regrettait pas les sacrifices qu'il s'était imposés, puisqu'il avait rempli son devoir.

      —On ne peut pas résister à sa destinée, répétait sans cesse François, à qui la vieille grand'mère avait inculqué son fanatisme et ses superstitions.!

      —Eh bien! advienne que pourra! prononça Chausserouge.

      De ce jour, il eut un lieutenant sur lequel il pouvait aveuglément compter.

      A François était dévolue la tâche de surveiller les garçons, d'assurer le service des vivres, de seconder son père en faisant «l'explication» pendant le cours des représentations, de présider au montage et au démontage de l'établissement à chacun des déplacements de la ménagerie.

      Mais François ne se résignait qu'à regret à ce rôle qu'il jugeait par trop effacé.

      Ce qu'il voulait, c'était affronter, lui aussi, les crocs des fauves, soumettre à sa volonté les redoutables pensionnaires de la ménagerie.

      Il avait soif des applaudissements qui saluaient son père, chaque fois qu'il avait terminé ses exercices.

      Vivre libre, courir les routes, ne plus être obligé de pâlir sur des livres entre quatre murs, c'était très bien, mais ce qui l'attirait, c'était l'appât du danger et le bruit des bravos, journalière récompense de la glorieuse victoire de l'homme sur la bête.

      Lui aussi, il voulait voir fixés sur lui les yeux de tout un public frémissant de crainte, partagé entre l'effroi et l'admiration.

      Mais quand il parla pour la première fois à son père d'entrer à son tour dans les cages, de commencer son apprentissage, il se heurta à un refus formel.

      Cet homme qu'une sorte d'inconscience avait toujours protégé contre la peur, qui avait affronté mille périls sans un battement de coeur, tremblait à l'idée de voir son unique enfant s'exposer aux mêmes dangers.

      François insista. Le père tint bon, tout d'abord, mais il finit par se laisser toucher.

      Il fut convenu que le jeune homme débuterait le jour où il aurait atteint sa dix-huitième année.

      En attendant, le vieux dompteur lui enseigna les premiers principes de son art.

      Une lionne venait justement de mettre bas.

      Chausserouge résolut de confier à son fils le dressage des trois lionceaux.

      Tout d'abord, il lui rappela que, comme l'homme, l'animal naît avec des instincts bons ou mauvais, qu'il n'était pas rare de trouver dans des sujets issus du même père et de la même mère, des types de caractères absolument dissemblables; les uns dociles et doux, les autres rebelles à toute éducation.

      La difficulté énorme pour le dompteur quand il s'adresse à des animaux arrivés adultes chez lui, se trouve bien amoindrie quand il a affaire à des bêtes qu'il a vu naître, dont il a eu le temps par conséquent d'étudier le tempérament, de discerner le degré de franchise.

      Il lui reste alors à habituer ses élèves à sa présence, à appliquer à chacun le genre de travail qui lui convient, en ayant soin de ne pas trop demander à la fois, afin de ne pas rebuter l'animal et provoquer ainsi ses légitimes révoltes.

      Se faire craindre, en sachant se faire aimer, telle devait être le but et la devise du dompteur.

      Chausserouge fut charmé de voir avec quel entrain son fils acceptait sa nouvelle tâche, avec quelle adresse il mettait en pratique ses conseils.

      En effet, du moment où il fut institué le précepteur des lionceaux, François tint à ce que nul que lui ne les approchât.

      Il les soignait, leur donnait à manger, entrait chaque jour dans leur cage, afin de les familiariser avec lui.

      Il avait à lui deux lionnes et un lion; il les baptisa Saïda, Rachel et Néron.

      Au bout de quelques mois, il commença leur éducation.

      Les lionnes étaient assez dociles, surtout Rachel, mais Néron se montrait rétif; le jeune homme dut déployer à l'égard de ce dernier, beaucoup de patience et d'énergie.

      Le père qui suivait tous ces essais d'un oeil inquiet, sentit bientôt s'évanouir toutes ses appréhensions.

      Son fils était bien un vrai Chausserouge; il en avait les qualités, l'audace et la persévérance, pourquoi fallait-il qu'il y joignit des défauts inconnus à sa race?

      Car s'il remplissait avec une exemplaire rectitude tous les devoirs de son nouvel état, François depuis qu'il était libre, laissait,


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