Zézette: moeurs foraines. Oscar Méténier

Zézette: moeurs foraines - Oscar Méténier


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qui sortit et prit sa course à travers les rues du village.

      Une demi-heure après, il était de retour.

      Le docteur, qu'il était parvenu à découvrir dans ce trou perdu du Berry, se pencha sur le malade; il l'examina longuement, se fit raconter les circonstances qui avaient précédé et accompagné sa chute, puis il secoua la tête d'un air qui indiquait que tout espoir lui semblait perdu.

      Le père Michel avait été frappé d'une congestion pulmonaire.

      Toutefois, avant de se retirer, le médecin prescrivit quelques médicaments.

      Sur le seuil de la caravane, Chausserouge l'interrogea:

      —Il ne passera pas la nuit! fit le docteur.

      Le dompteur lui glissa dans la main le prix de sa visite et courut de nouveau au village pour faire exécuter l'ordonnance.

      Quand il revint, le malade, rappelé à la vie par le breuvage que la vieille, sans se soucier des prescriptions du médecin, était parvenue à lui administrer, avait repris connaissance.

      Ses yeux étaient ouverts et fixés sur sa fille.

      A la vue de Chausserouge, son regard, terne jusque-là, parut s'illuminer; ses lèvres remuèrent sans articuler une parole.

      Les trois assistants s'agenouillèrent alors au chevet du mourant.

      Le vieux ramoni faisait des efforts inouïs pour parler; une sueur froide perlait à ses tempes. Il parvint enfin à lever un bras, saisit la main velue du dompteur et il la posa sur celle de sa fille.

      —Que veux-tu, Michel? demanda la bonne-ferte. Que notre voisin épouse Maria?...

      —Vous me donnez votre fille?... articula le dompteur, la gorge serrée par l'émotion.

      Michel ne répondit pas, mais ses paupières, qui battirent fébrilement, disaient oui.

      —Il sera fait selon ta volonté, si Chausserouge consent, prononça la vieille.

      —Et si mamz'elle Maria... veut bien de moi, ajouta le dompteur en implorant la jeune fille d'un regard si tendre, que celle-ci ne put s'empêcher de sourire à travers ses pleurs.

      —Je consens! dit-elle, en prenant la main du meneur de loups.

      Alors, le vieux ramoni pencha la tête en fermant les yeux. Tout son corps reprit une immobilité cadavérique. Soudain, deux hoquets soulevèrent sa poitrine; une pâleur de cire s'épandit sur son visage.

      Le père Michel était mort.

      Ce fut Chausserouge qui, le surlendemain, conduisit le deuil du ramoni.

      Maria avait demandé qu'un prêtre accompagnât son père jusqu'à sa dernière demeure.

      Le Voyage tout entier, à quelques exceptions près, fit cortège au cercueil.

      Les rancunes semblaient s'être éteintes devant la mort et peut-être aussi, les forains, peu curieux d'initier les populations à leurs dissensions intimes, avaient-ils tenu à donner un gage public de leur bonne entente.

      Lorsque Chausserouge et Maria furent de retour du cimetière, ils trouvèrent la bonne-ferte accroupie dans un coin de la caravane, l'oeil fixé sur ses tarots étalés.

      Bien qu'elle ressentit une douleur réelle de la perte de son mari, sa croyance en la fatalité lui avait fait rapidement reprendre le dessus.

      —Les cartes annonçaient une mort, dit-elle, et je n'avais rien vu.

      —Et les cartes annonçaient-elles aussi... un mariage? demanda timidement le dompteur.

      —Oui, répliqua la vieille. Il faut que tout s'accomplisse ici-bas. Il n'y a rien à faire contre la destinée. Tu te marieras, mon garçon! D'ailleurs, il y a longtemps que tu aimes ma fille, ajouta-t-elle. A l'heure dernière, le regard des mourants est devin...

      —Mais vous, mamz'elle Maria, m'aimez-vous aussi?

      —Aurais-je été vous chercher si je ne vous avais pas mieux considéré que tous les autres forains du Voyage? répliqua la jeune fille.

      —Il n'est pas bon que des femmes soient seules dans la vie... prononça la bonne-ferte. Tu es plus digne que tous les autres d'entrer dans la grande famille des ramonis... C'est pourquoi le père, qui voyait loin... t'a choisi! Sa volonté sera faite.

      Le lendemain, Chausserouge fit publier les bans et les forains comprirent pourquoi ils avaient vu le dompteur conduire le deuil du vieux ramoni.

      Toutefois, de ce jour la fusion fut complète entre les deux campements.

      La jeune fille apportait en dot une caravane, un vieux cheval et cinquante écus enfouis au fond d'un vieux bas.

      Le dompteur apportait de son côté son pécule qui se montait à trois mille francs environ et ses animaux.

      La première partie de son rêve était accomplie. Il allait maintenant pouvoir marcher de pair avec les forains qui l'avaient si fort méprisé jusque-là.

      Pour permettre à la noce de se faire dans ce pays berrichon dont il garderait désormais un éternel souvenir, il retarda son départ et utilisa le temps que lui laissaient les délais légaux, à apporter à son nouvel établissement d'utiles améliorations.

      Il avait acheté avant le départ de ses confrères une caravane spacieuse et presque neuve à un forain qui se retirait des affaires. Il se complut à l'embellir pour la rendre digne de sa compagne, dont ce serait désormais le séjour habituel, maintenant qu'elle allait rester vouée aux soins uniques du ménage.

      La vieille caravane de Michel, complètement mise à neuf, fut affectée au transport des animaux.

      Et une fois le mariage accompli, ce fut plein d'orgueil et le coeur rempli d'espoir que, debout, à l'avant de sa maison roulante attelée d'un vigoureux cheval, il prit le chemin qui devait lui faire rejoindre le Voyage.

      A présent, il ne doutait plus, il avait foi en son étoile. Il avait tout oublié, les déboires et les douleurs passées.

      Son désir le plus cher, le ciel l'avait pour ainsi dire miraculeusement réalisé, car comment expliquer autrement le geste suprême de ce mourant, à qui il ne s'était jamais ouvert de ses sentiments, mettant dans sa main caleuse la petite main hâlée de Maria?

      Par quelle divination, par quelle double vue le vieux ramoni avait-il lu au plus profond de son coeur?

      Il était sûr à présent de faire fortune.

      Après trois jours de marche, il atteignit Bourges où le Voyage était installé.

      Quand il débarqua sur la place Seraucourt, les forains firent le cercle autour de la belle caravane verte sur laquelle on lisait, peintes en lettres jaunes d'un pied de haut, l'inscription suivante:

      GRANDE MÉNAGERIE CHAUSSEROUGE

      Après un moment de stupéfaction, les principaux d'entre eux s'approchèrent et serrèrent la main du dompteur un peu ébahi.

      Une fois de plus, le proverbe avait raison: On pardonne tout aux riches.

      La fortune venait de réhabiliter Chausserouge, de lui donner droit de cité.

      Le soir même, sous une tente neuve, il donnait sa première représentation.

       Table des matières

      Une ère de prospérité et de bonheur s'ouvrit pour Chausserouge. Maria était en effet la femme forte, accoutumée aux privations, aux misères et aux fatigues du Voyage qu'il s'était figuré; la vieille mère, qui bien à contre-coeur et sur la prière du dompteur,


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