Zézette: moeurs foraines. Oscar Méténier

Zézette: moeurs foraines - Oscar Méténier


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animaux malades.

      Aidée par sa grande connaissance des simples, possédant les recettes traditionnelles de ceux de sa race, elle acquit bientôt sur tout le Voyage une réputation de guérisseuse telle qu'on venait la chercher des ménageries voisines dès qu'une bête ne mangeait plus ou donnait des signes de maladie.

      Son concours fut à Chausserouge d'une utilité d'autant plus grande qu'il ne perdait jamais une occasion d'augmenter sa collection.

      Quelques campagnes heureuses lui avaient permis de reconstituer à peu près son capital; il en profita pour acheter une lionne, puis deux hyènes, puis une panthère.

      La lionne mit bas, et deux lionceaux, qu'il fit élever par une chienne Terre-Neuve, furent la souche de toute une génération.

      Sans demander plus de conseils aux spécialistes du métier qu'il ne l'avait fait jadis pour les loups et les ours, Chausserouge se livra à l'éducation de ces nouveaux pensionnaires, dont il ne connaissait ni les habitudes, ni le caractère, avec la même insouciance et la même énergie qu'autrefois.

      Un succès pareil couronna son effort.

      Bref, il eût été complètement heureux s'il fût né un enfant de son union avec Maria.

      Un enfant dont il aurait fait un monsieur, que, selon son expression, il aurait mis dans la «diplomatie», c'est-à-dire à qui il eût donné une profession libérale, celle de médecin ou d'avocat, par exemple.

      Un enfant dont il pût, dans ses vieux jours, être fier et qui n'aurait pas besoin de traînailler comme lui par les routes pour gagner son pain.

      Combien de fois n'interrogea-t-il pas à cet effet sa belle-mère, qui passait à consulter ses cartes tout le temps que lui laissait ses multiples occupations.

      —Tu auras un fils, lui répétait toujours la vieille, mais ne désire pas trop sa venue, qui sera pour toi le signal d'un grand malheur!

      Et si Chausserouge insistait pour savoir de quelle calamité il était menacé:

      —Les cartes ne le disent pas. Elles parlent d'un malheur, voilà tout!

      La prédiction de la vieille se réalisa. Maria devint enceinte après six ans de mariage et accoucha d'un fils, mais une fièvre puerpérale consécutive à son accouchement se déclara et l'enleva en trois jours.

      La douleur de Chausserouge fut immense.

      Une épidémie décimant ses animaux, même la déconfiture complète le remettant au point d'où il était parti, l'eût trouvé ferme et résigné, prêt à recommencer la lutte, mais l'irrémédiable catastrophe qui l'atteignait brisa son courage en ruinant son espérance.

      Six années durant, Maria avait été la compagne dévouée, l'assistant dans ses déboires, l'aidant dans ses entreprises.

      Désormais, une place allait rester vide éternellement, qui lui rappellerait son bonheur passé; lui, qui sans appui était parvenu à se créer une situation indépendante et enviable, il se sentait à présent isolé, faible, comme si le génie qui avait présidé à sa fortune l'eût pour toujours abandonné.

      Il se sentait vaincu et perdait toute foi dans l'avenir.

      La vieille mère se montra plus forte. Après l'abattement du premier moment, elle se releva plus courageuse, plus fataliste que jamais.

      —Ainsi l'a voulu la destinée! disait-elle.

      Et elle lui montra le petit François, dont l'éducation restait à faire.

      C'est pour celui-là que maintenant il allait falloir travailler.

      Le père, désolé, prit l'enfant dans ses bras et tout en conservant gravé éternellement dans son coeur le souvenir de sa chère Maria, il reporta sur l'être chéri, dont la venue tant désirée avait coûté si cher, toute l'affection dont il était capable.

      Il se remit au travail avec plus d'acharnement que jamais, voulant oublier; il se plut aux exercices les plus audacieux, tels qu'il n'aurait pas osé les tenter auparavant, et il dépassa en prouesses les dompteurs les plus fameux.

      Il se lançait avec une sorte de furie dans les aventures les plus hardies, étonnant par le stoïque mépris de la mort, le sang-froid avec lequel il s'exposait au danger.

      Quelques jours avant la mort de sa femme, il avait reçu d'un marchand d'animaux deux superbes tigres royaux adultes, qu'il avait baptisés Jim et Toby.

      Personne n'avait encore osé pénétrer dans leur cage et chaque jour il remettait au lendemain cette dangereuse expérience.

      Un soir, qu'il venait de terminer différents exercices dans la cage centrale, devant une assistance nombreuse, il eut l'idée, soudain, d'affronter les deux terribles fauves.

      Au lieu de se retirer, comme il avait l'habitude de le faire pour permettre de faire passer dans des cages voisines les animaux qui ne devaient pas travailler, il frappa résolument du pommeau de son fouet, à la mince cloison de planches qui le séparait de Jim et de Toby.

      —Ouvre! cria-t-il au garçon de piste.

      —Mais, monsieur Chausserouge, ce sont les tigres!

      —Ouvre! répéta le dompteur d'un ton qui n'admettait pas de réplique. Passe-moi la fourche et ouvre!

      Tremblant à la pensée de ce qui allait arriver, s'attendant à voir son maître mis en pièces par les monstres furieux, le garçon obéit.

      A l'aide d'un croc en fer, il tira le portant et livra passage au dompteur, qui s'avança brusquement, le fouet haut et la fourche en arrêt.

      Un instant stupéfait par cette visite inattendue, les deux tigres se tapirent en grondant au fond de la cage, prêts à bondir.

      Chausserouge, sous les yeux d'un public haletant, marcha à leur rencontre et fouailla...

      Surpris par l'attaque, fascinés par le regard du dompteur, Jim et Toby s'élancèrent, décrivant autour de la tête de l'imprudent des cercles vertigineux, ébranlant la voiture par leurs bonds désordonnés...

      Lui, ne les quittait pas de l'oeil et fouaillait sans relâche...

      —La chasse au tigre, messieurs!

      Et il déchargea sur eux ses pistolets chargés à poudre... les poursuivant dans les angles de la cage, ne se laissant pas intimider par leurs effroyables rugissements...

      —Passe les barrières! cria-t-il tout à coup.

      Et les deux tigres affolés, harcelés par le dompteur, dont la lutte doublait l'audace et l'énergie, sautèrent les barrières d'abord, puis les cerceaux enflammés.

      Sur les gradins, la foule trépignait d'enthousiasme.

      Enfin, le garçon tira de nouveau le portant de sortie et les deux monstres se précipitèrent dans l'ouverture béante.

      Le dompteur était sauvé.

      Debout, sans une égratignure, toujours très calme, quoique ruisselant de sueur, il salua les spectateurs qui l'acclamèrent.

      --- Vous savez, patron, lui dit le garçon encore tout tremblant d'émotion, c'est bon pour aujourd'hui, mais il ne faudrait pas recommencer ce petit jeu-là!

      —Pourquoi pas? répliqua Chausserouge, les tigres sont domptée, ils ont obéi. Maintenant je suis sûr de moi!

      Et le lendemain, et les jours suivants, il renouvela son périlleux exercice avec le même succès que la veille.

      Cependant le petit François grandissait.

      Le père l'entourait d'une affection jalouse; l'enfant ressemblait trait pour trait à sa mère et il croyait voir revivre en lui sa défunte.

      La vieille bonne-ferte élevait son petit-fils en vrai ramoni.

      Si à


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