Zézette: moeurs foraines. Oscar Méténier

Zézette: moeurs foraines - Oscar Méténier


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par ses triomphes quotidiens, il oublia son humble origine et par quelle série de privations son père avait dû passer pour atteindre à ce degré de prospérité, qui lui avait permis de débuter si brillamment.

      Il n'attribua qu'à lui l'engouement subit dont le public avait été saisi et qui faisait chaque soir affluer dans la baraque le «monde chic» et tout ce que Paris comptait de notabilités.

      Certes, sa jeunesse, la crânerie avec laquelle il affrontait le péril étaient pour quelque chose dans cet enthousiasme, mais la vieille renommée de son père, qui l'avait façonné, instruit, qui l'avait fait bénéficier de ses trente années de dure expérience, y était aussi pour beaucoup.

      Plein d'orgueil, le jeune homme s'en rendit d'autant moins compte qu'il était en but à des sollicitations bien faites pour flatter sa vanité.

      Comme les militaires, comme les acrobates, comme tout ce qui porte élégamment un uniforme ou un costume brillant, il fut assailli de déclarations, de demandes de rendez-vous et il en vint bonnement à penser que ces marques d'une sympathie un peu outrée s'adressaient bien plus à son intime personnalité qu'à son dolman soutaché d'or.

      Il y répondit, et certaines déconvenues qui auraient dû le convaincre que son prestige tombait quand il n'apparaissait pas dans la cage, debout au milieu de ses fauves, ne parvinrent pas à le détromper.

      Il dédaigna dès lors de coucher dans la caravane paternelle.

      A proximité du campement, il choisissait un hôtel de belle apparence et il y louait une chambre pour la durée de chaque séjour.

      Le père, aveuglé par sa tendresse paternelle, laissait faire.

      —Il jette sa gourme, pensait-il, il deviendra sérieux quand il sera temps.

      Au contraire, la recherche de mauvais goût avec laquelle son fils s'habillait lui semblait le dernier mot de l'élégance.

      Il trouvait un motif d'orgueil dans le genre de succès qu'obtenait François et il finissait par fermer les yeux sur la vie qu'il lui voyait mener, si en désaccord pourtant avec l'existence austère qu'il avait tenue lui-même dans sa jeunesse.

      Il avait rêvé de faire un «monsieur» de son enfant, et François avait trouvé le moyen de devenir un «monsieur» tout en restant dompteur.

      Il réhabilitait la profession; c'était l'idéal.

      Le pauvre homme n'apercevait pas le danger qu'il y avait à laisser contracter à son fils des habitudes de plaisir et d'intempérance.

      Mais peu à peu François se relâcha de ses devoirs. S'il se livrait avec la même ardeur au périlleux exercice de son état, il jugea bientôt indigne de lui de s'adonner comme par le passé aux mille petits détails que nécessite le bon entretien de la ménagerie.

      En dehors des heures consacrées au dressage des nouveaux pensionnaires ou aux représentations, il devint impossible d'obtenir de lui le moindre service.

      C'eût été déroger.

      C'est ce qu'il parvint à persuader à son père, la première fois que celui-ci hasarda une timide observation.

      Il parla même de renforcer le personnel, d'engager de nouveaux employés.

      —Tant que je serai là, répliqua le vieillard, nous n'aurons pas besoin d'augmenter nos frais déjà si lourds, je suffirai à tout par mon travail et mon active surveillance, mais si je venais à disparaître?...

      —Bah! je gagne assez d'argent pour ne pas m'astreindre à une besogne de manoeuvre et de domestique!

      —Rien ne vaut l'oeil du maître! Tu te laisseras voler et les animaux en souffriront. Un dompteur doit toujours tenir ses bêtes en haleine.

      —J'ai mon fouet et cela suffit! répondait le jeune homme.

      Le père hochait la tête, n'osait pas insister, et des semaines, des mois, des années passèrent, sans que rien vint remédier à un état de choses qu'il ne pouvait s'empêcher de déplorer.

      A vingt-cinq ans, le fils Chausserouge était devenu un dompteur accompli, mais il s'était acquis une réputation de noceur et de bourreau des coeurs dont il tirait vanité.

      Sur tout le Voyage, on ne l'appelait plus que «le beau François».

      Il était le chef reconnu de la jeunesse foraine et la chronique scandaleuse ne s'alimentait que du bruit de ses conquêtes et de ses exploits.

      Puis peu à peu et à mesure que sa renommée grandissait, le jeune homme se fit des relations en dehors de son monde.

      Il s'était trouvé en rapport avec des reporters, des boulevardiers à l'occasion des fêtes de bienfaisance pour lesquelles on avait réclamé son concours; il se lia avec eux et, dès lors, on put chaque soir, après sa représentation, le rencontrer sur le boulevard, habitué assidu des restaurants de nuit et des tripots clandestins.

      Le père Chausserouge s'alarma sérieusement et ce fut pour mettre fin à cette vie de débordements que, très inquiet de l'avenir de son établissement, lorsqu'il ne serait plus là pour veiller aux intérêts matériels de la ménagerie, il conçut un beau jour le projet de marier son fils.

      Peut-être, lorsqu'il saurait trouver chez lui une femme gentille, aimante, le jeune homme consentirait-il à renoncer aux joies turbulentes et dispendieuses du dehors.

      Justement, il avait quelqu'un à lui proposer.

      Un de ses rares amis, originaire de la même province et directeur d'un Musée mécanique, le père Collinet, avait une fille, qui passait sur tout le Voyage pour une vertu inexpugnable.

      Amélie avait vingt ans et était fille unique.

      A elle seule devait donc revenir un jour l'héritage du vieil Auvergnat, un malin lui aussi, qui à force d'économie, avait su arrondir sa pelote.

      C'était donc un parti. Le fils Chausserouge pouvait décemment épouser. Les deux compères eurent à ce sujet une longue conversation et ils tombèrent d'autant mieux d'accord, qu'Amélie, pressentie à ce sujet, laissa comprendre que son union avec le jeune dompteur mettrait le comble à ses voeux.

      François était son camarade d'enfance. Ils avaient été élevés côte à côte, la baraque de Collinet avoisinant toujours la ménagerie de Chausserouge.

      Puis, à mesure qu'ils avaient grandi, l'affection fraternelle que la jeune fille portait à son ami s'était changée en une sorte d'admiration muette qu'elle n'osait manifester.

      Elle avait été, comme tout le monde sur le Voyage, spectatrice attristée du changement si radical survenu dans la manière de vivre de François et, plus que personne, elle en avait souffert tout bas.

      Et voilà que ce rêve formé au plus profond de son coeur de devenir un jour la compagne du jeune dompteur allait peut-être se transformer en une réalité.

      Certes, une bien vive tendresse l'attachait à son père, dont elle était l'utile auxiliaire, mais elle n'hésiterait pas à quitter cette caravane dans laquelle elle avait vu le jour pour se consacrer toute entière à l'être chéri pour le bonheur duquel il lui semblait qu'elle était née.

      Depuis ses récents succès, François l'avait bien un peu négligée... Il avait paru oublier son amie des premiers ans, cette petite Amélie si douce, si aimante... Il lui en avait préféré d'autres plus belles, plus riches... Mais elle lui pardonnait toutes ses fautes passées, puisqu'il allait lui revenir et pour toujours!

      Et elle lui montrerait tant de soumission aveugle, tant de dévouement, qu'il finirait bien, à son tour, par l'aimer un peu!

      Son illusion fut de courte durée.

      Lorsque, le soir même du jour où il avait «pris des arrangements» avec Collinet, le père Chausserouge s'ouvrit à son fils de son projet d'avenir, il se heurta à un refus formel.


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