Zézette: moeurs foraines. Oscar Méténier

Zézette: moeurs foraines - Oscar Méténier


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on exploiterait le Nord, et l'on pousserait jusqu'en Belgique en faisant séjour à Amiens, à Arras, à Lille, puis après cette dernière tournée, qu'on espérait fructueuse, on rejoindrait définitivement le Voyage.

      Huit jours après, le père Collinet, le coeur un peu gros, embrassait sa fille dont il se séparait pour la première fois et la ménagerie se mettait en route.

      Les années qui suivirent marquèrent l'apogée de la fortune des Chausserouge. François marchait de succès en succès; d'étapes en étapes, les ovations succédaient aux ovations.

      Puissamment aidé par son père, qui se faisait vieux, mais dont l'entrain ne se ralentissait pas, il accomplit des exploits qui restèrent célèbres dans les annales de la banque.

      C'est ainsi qu'on le vit faire le pari de monter en ballon avec son lion Néron, et gagner son pari.

      A Bruxelles, une actrice célèbre ayant manifesté le désir d'entrer avec lui dans sa cage, il l'y autorisa et il sut tenir ses animaux en respect tandis que l'intrépide comédienne, d'une voix calme, récitait une pièce de vers de Victor Hugo devant un public frémissant d'enthousiasme.

      A la suite de cet exploit, il devint à la mode d'assister le dompteur dans ses exercices et nombre de personnalités connues défilèrent avec lui dans la cage centrale.

      Ce fut encore lui qui inaugura les séances d'hypnotisme au milieu d'animaux divers réunis pour la circonstance, et jamais un accident ne vint attrister une seule de ses représentations.

      Il fut engagé dans les théâtres pour jouer les rôles de dompteur. Il parut dans les Pirates de la Savane, le Juif-Errant, dans une féerie surtout où il eut l'audace d'entrer en scène, au mépris des règlements de police, suivi de deux lionnes en liberté.

      C'est à cette époque qu'il reçut en Belgique la croix du Mérite civil. Bref, François Chausserouge connut toutes les gloires, épuisa les honneurs.

      Sa fortune s'arrondissait de jour en jour, et il se sentait si sûr de lui que rien désormais ne pouvait ébranler sa confiance. Il était né, pensait-il, sous une heureuse étoile, et c'était tout.

      Le père Chausserouge marchait en plein rêve, tant ce prodigieux succès surpassait ses espérances. Quand il examinait le chemin parcouru, qu'il se reportait à ses débuts, il ne pouvait se défendre d'une certaine appréhension, d'un instinctif effroi.

      C'était trop de bonheur à la fois, d'autant plus que son fils était heureux jusque dans son ménage, François ayant justement trouvé dans Amélie la compagne dévouée et aimante qu'il lui fallait.

      Quoique d'apparence frêle, la fille du père Collinet avait puisé dans la tendresse qu'elle portait à son mari la force de remplir les devoirs nombreux qui lui incombaient dans cette incessante promenade à travers le monde.

      Elle avait bien eu à se plaindre parfois du caractère changeant, même un peu brutal de François, dont l'ardeur s'était calmée, mais elle s'était montrée si dévouée, si attentive et si prévenante que jamais leur union n'avait été troublée par un désaccord grave.

      Elle tenait à lui, elle l'aimait, elle eût souffert mille morts plutôt que d'encourir la colère de cet homme à qui elle avait consacré son existence, de s'aliéner l'affection de ce héros qu'elle n'était pas éloignée de prendre pour un demi-dieu.

      François Chausserouge était en représentations à Liège lorsqu'elle accoucha d'une fille à qui on donna le prénom d'Élisabeth.

      Elle salua cette naissance avec joie; c'était un lien de plus qui l'attachait au jeune dompteur et elle reporta sur le petit être, toute la tendresse dont elle était encore capable.

      Le père Chausserouge eut préféré un fils, mais il se résigna bien vite, quand il entendait sa bru lui dire en souriant:

      —Laissez donc, papa, elle est de votre sang, cette enfant-là! Nous en ferons une dompteuse... et vous n'aurez pas à rougir d'elle!

      —Oui, mais je n'aurai pas le temps de la voir et de l'applaudir! riposta le vieillard d'un ton mélancolique.

      Peut-être était-il hanté d'un sinistre pressentiment, car la venue de la petite Élisabeth, Zézette, comme l'appelait son grand-père, fut la dernière joie qu'il connut.

      Un soir, comme il venait de rentrer dans sa roulotte, des cris étouffés, venant de la ménagerie, parvinrent jusqu'à lui.

      Il prêta l'oreille, croyant avoir mal entendu. Cette fois, il ne s'était pas trompé, il reconnut la voix du veilleur appelant au secours.

      Il courut frapper à la porte de la caravane de son fils:

      —François, viens vite! Il se passe quelque chose de grave!

      Comme il soulevait l'auvent de la ménagerie, un hennissement s'éleva, plaintif et douloureux, scandé de rugissements furieux.

      —Mes chevaux qu'on saigne!... Nom de Dieu!

      Il s'élança, et en deux bonds parvint à l'angle de la baraque, dans lequel il voyait, à la lueur de la lampe fumeuse du veilleur, s'agiter des masses confuses.

      Un spectacle terrifiant et inattendu s'offrit à son regard. Un lion, échappé sans doute à la suite de l'imprudence du garçon de piste chargé de préparer la litière des animaux, s'acharnait sur un des poneys qu'il avait renversé dans son élan furieux, tandis que le second, à bout de longe, renâclait avec terreur.

      Abrité derrière la balustrade des premières, le veilleur le visage en sang, sans bouger, criait à l'aide.

      Le vieux dompteur s'arma d'une fourche et marcha résolument sur le lion, à qui il s'efforça de faire lâcher prise.

      L'animal releva la tête en grondant.

      Chausserouge reconnut alors l'un de ses plus redoutables pensionnaires, Pacha, une bête arrivée adulte chez lui, et qui s'était toujours montrée rebelle à toute éducation.

      Sous les coups redoublés dont il l'accablait, le lion abandonna sa proie; il recula en rampant, ses yeux injectés de sang et qui lançaient des flammes fixés sur son agresseur.

      —Arrière, Pacha..., sale bête!... arrière!... criait le dompteur en suivant le monstre dans sa retraite.

      Tout à coup, l'animal se sentit acculé... Il se détendit comme un ressort et bondit sur Chausserouge qu'il renversa...

      Alors, accroupi sur sa victime, il commença à lui déchirer la poitrine avec ses griffes.

      Chausserouge, sans perdre son sang-froid, plongea ses mains dans la crinière de la bête qu'il saisit à la gorge; mais ses forces s'épuisaient.

      Lentement ses doigts se desserrèrent, il rassembla toute son énergie et cria une fois encore:

      —A moi, François!

      Puis il ferma les yeux et perdit connaissance.

      Excités par le bruit et les grondements de Pacha, les animaux, réveillés, bondissaient dans leurs cages épouvantant de leurs rugissements le veilleur, dont les dents claquaient de terreur, quand soudain apparut François, à demi-vêtu, suivi des garçons de piste.

      Alors commença une lutte effrayante.

      François, armé d'une carabine, n'osait faire feu craignant d'atteindre son père.

      Il saisit un sabre-baïonnette que lui passa un des assistants et, à son tour, il frappa le lion pour le forcer à reculer.

      Mais le monstre ne lâchait pas sa proie.

      Rendu plus furieux encore par la douleur, bien que son sang s'échappât par vingt blessures, il continuait à s'acharner sur le corps pantelant du vieillard.

      François Chausserouge fit appel à toute sa vigueur et à tout son sang-froid.

      Il se pencha, saisit le


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