Les vrais mystères de Paris. Eugène François Vidocq

Les vrais mystères de Paris - Eugène François Vidocq


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juif n'en demandera pas davantage; l'enfant du défunt et de Jazetta n'est pas un obstacle sérieux, il devient ton fils à dater d'aujourd'hui; nous verrons plus tard ce que nous pourrons en faire.

      —Allons, allons, tout est pour le mieux, me voilà marquis de Pourrières et possesseur d'au moins soixante mille francs de rente, s'écria Salvador qui avait repris toute sa gaieté.

      —Tu veux dire, reprit Roman, que nous voilà marquis de Pourrières et possesseurs de soixante mille francs de rente.

      —Cela coule de source; nous ne pouvons plus nous séparer maintenant.

      Le premier soin de Roman et de Salvador, fut de quitter, pour se loger plus convenablement, l'hôtel qu'ils habitaient sous des noms d'emprunt depuis leur arrivée à Paris. Ils ne craignaient pas du reste le résultat des recherches provoquées par la découverte que l'on avait faite du cadavre de leur victime, certains qu'ils étaient qu'on ne pourrait appliquer un nom à ces restes informes.

      Ils étaient retournés souvent au café dans lequel ils avaient rencontré pour la première fois l'infortuné de Pourrières, personne ne s'enquit auprès d'eux de celui qui n'était connu que sous le nom de Courtivon, et qui du reste avait annoncé son prochain départ à tous ceux qui le connaissaient.

      Après avoir bien étudié leur rôle et lorsque Salvador, qui possédait un très-grand talent de faussaire, fut parvenu à imiter parfaitement l'écriture du défunt, ils partirent pour Aix.

      Ils avaient pris la poste pour arriver dans cette ville, Salvador avait tous les papiers du marquis de Pourrières qui étaient parfaitement en règle, il avait fait teindre ses cheveux avec le plus grand soin, et cette opération avait tout à fait changé l'expression de sa physionomie; Roman avait pris le nom de Lebrun et se faisait passer pour son intendant.

      Il fut décidé que Salvador resterait à Aix, et que Roman, chargé d'une lettre dont l'écriture imitait à s'y méprendre celle du marquis, se rendrait seul chez le notaire dépositaire du testament, afin de prendre connaissance des affaires de la succession; il devait trouver bien et donner son approbation à tout ce qui avait été fait, tout en ayant soin de se montrer défenseur soigneux des intérêts de son maître.

      Le notaire qui du reste était un très-honnête homme, le reçut très-bien, et huit jours ne s'étaient pas écoulés qu'il avait accordé toute son estime à M. Lebrun; il était en effet difficile de rencontrer un intendant à la fois plus honnête homme et moins méticuleux.

      Le notaire, oncle et tuteur de Roman, était mort depuis longtemps, et comme le compagnon de Salvador n'était venu quinze ans auparavant que deux ou trois fois au village de Pourrières, il ne craignait pas d'être reconnu, il était donc parfaitement tranquille et il employait tous les instants qu'il ne passait pas avec le notaire, à recueillir à Pourrières et dans les environs, tous les renseignements de nature à faciliter l'entrée de son compagnon sur la scène; il apprit avec plaisir que le choléra avait fait dans cette partie de la Provence de tels ravages, que la moitié au moins de la population était descendue dans la tombe.

      Lors de sa première visite au château de Pourrières, il était accompagné du notaire; c'était en quelque sorte une démarche officielle, mais voulant, à ce qu'il disait, faire plus ample connaissance avec ceux qui allaient devenir ses camarades; il y revint seul plusieurs fois. Les domestiques, tous nouveaux serviteurs, craignaient que le jeune marquis ne les gardât pas à son service, encouragés par l'air bonhomme et la jovialité de M. l'intendant, ils osèrent lui faire part de leurs craintes; Roman les rassura: son maître, disait-il, ne voulait causer de peine à personne, il saurait au contraire récompenser les services de ceux que le défunt marquis aurait oubliés dans son testament; quant à vous, disait-il souvent au vieil Ambroise, vous n'aurez pas à vous plaindre; M. le marquis m'a fait part de ses intentions à votre égard, et comme vous n'êtes pas de ce pays, si vous désirez vous retirer dans votre village, il ajoutera douze cents francs de rente à ce que vous a laissé feu monsieur son père.

      —Mon jeune maître est bien bon, M. Lebrun, répondait toujours Ambroise à cette insinuation qu'il ne considérait cependant que comme un témoignage d'intérêt, mais j'habite la Provence depuis mon enfance et j'ai l'intention d'y terminer mes jours; à mon âge, voyez-vous, on a besoin de soleil.

      —S'il t'arrive malheur, c'est que tu l'auras voulu, vieux belître, se disait alors Roman.

      Roman puisait dans les longs entretiens qu'il avait souvent avec Ambroise, une foule de renseignements utiles qu'il transmettait journellement à Salvador, afin de lui donner le temps de les graver dans sa mémoire; Ambroise qui avait voué à la maison de Pourrières un attachement semblable à celui qu'éprouvait le vieux Caleb pour la maison des Rawensvood, aimait beaucoup à raconter; aussi était-il charmé lorsque M. l'intendant l'ayant fait demander dans sa chambre, dans laquelle il était toujours sûr de trouver une vieille bouteille de vin cuit, le mettait sur le chapitre de la famille; c'était en éprouvant le plus vif plaisir qu'il racontait les prouesses de son vieux maître à l'armée des princes et les premières fredaines du jeune marquis, et ses yeux étaient humides lorsqu'il parlait des chagrins qu'avait causé au vieux gentilhomme qu'il avait servi si longtemps l'absence prolongée de son fils.

      Ambroise, tout vieux qu'il était, paraissait avoir une excellente mémoire; il se rappelait très-bien son jeune maître, qu'il avait, disait-il souvent, fait sauter plus d'une fois sur ses genoux.

      —Je crois bien que je le reconnaîtrai; cependant il doit être bien changé: cette phrase terminait ordinairement ses discours.

      Ambroise était un obstacle sans doute, mais cet obstacle n'était pas de nature à faire renoncer à leur entreprise des hommes aussi audacieux que l'étaient Salvador et Roman; il fut donc décidé que le premier qui avait eu le temps de bien étudier le rôle qu'il devait jouer, ne ferait pas attendre plus longtemps à ses vassaux, le marquis Alexis de Pourrières.

      Salvador partit d'Aix, assez tard pour n'arriver à Pourrières qu'à la naissance de la nuit. Il se rendit de suite chez le notaire, et lorsqu'il se fut nommé, l'officier ministériel qui cependant avait vu souvent Alexis de Pourrières lorsqu'il était déjà âgé de plus de dix ans, s'empressa de le reconnaître, afin de faire preuve de perspicacité.

      Rassuré par l'heureux résultat de cette première démarche, Salvador, qui d'abord avait été quelque peu embarrassé, se sentit assez d'aplomb pour ne plus rien craindre. Après avoir approuvé à son tour tout ce que Roman avait trouvé bien, il parla au notaire de ses voyages, des égarements de sa jeunesse, et des regrets que lui inspirait la mort de son père, dont il aurait voulu fermer les yeux; puis il lui demanda des nouvelles d'Ambroise, de ce vieux et loyal serviteur de la famille, qu'il espérait, disait-il, retrouver encore plein de verdeur malgré son âge avancé.

      Le notaire, pour faire sa cour au nouveau seigneur de Pourrières, lui proposa d'envoyer chercher ce vieux domestique, et comme Salvador s'était empressé d'acquiescer à la proposition qui lui était faite, un clerc fut dépêché à l'instant même, après avoir reçu l'ordre de ne point revenir sans amener Ambroise avec lui.

      Le premier soin de ce jeune homme, qui avait entendu tout ce que venaient de dire le notaire et Salvador, fut de rapporter au vieux domestique, que son patron qui n'avait vu le marquis de Pourrières que lorsqu'il était âgé de dix ans, l'avait cependant reconnu de suite et que cela avait paru singulièrement flatter monsieur le marquis.

      Ambroise parut charmé du retour de son jeune maître.

      —Si votre patron l'a reconnu de suite, dit-il au jeune clerc, je suis bien sûr de le reconnaître aussi.

      Ambroise, aussitôt son arrivée, fut introduit dans le cabinet du notaire.

      —Te voilà donc, mon vieil ami? lui dit Salvador; il y a bien longtemps que nous ne nous sommes vus; allons, viens m'embrasser!...

      Salvador qui était vêtu d'un costume complet de deuil, paraissait vivement ému. Ambroise à qui sa présence rappelait une foule de vieux souvenirs, se jeta dans les bras de son jeune maître, qui le tint longtemps


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