Les vrais mystères de Paris. Eugène François Vidocq

Les vrais mystères de Paris - Eugène François Vidocq


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à laquelle le signal du feu d'artifice qui devait précéder le souper, devait être donné, était arrivée, et les invités attendaient leur hôte avec une certaine impatience, lorsque Salvador rejoignit la compagnie. Après s'être excusé du petit retard dont il s'était rendu coupable, et lorsque tout le monde se fut placé commodément, Silvia donna le signal et tout à coup mille gerbes de feu, de toutes les couleurs, s'élancèrent dans les airs et éclairèrent les parties les plus sombres du parc, et lorsque les dernières étincelles de la dernière fusée se furent éteintes sur le fond brun du ciel, on se rendit dans la salle à manger, où un magnifique ambigu attendait tous ceux que les plaisirs de la soirée avaient disposé à y faire honneur.

      Après avoir témoigné au marquis de Pourrières, la reconnaissance que leur inspirait sa généreuse hospitalité, et l'avoir prié d'agréer les vœux qu'ils faisaient pour son prochain retour, les convives se séparèrent au moment où les premiers feux du jour commençaient à dorer l'horizon.

      Silvia avait été forcée de se retirer avec la noble dame chez laquelle elle avait été reçue.

      Salvador, en rentrant dans son appartement y trouva Roman, ainsi que cela avait été convenu; ce dernier était réellement fâché d'avoir perdu des sommes aussi considérables; il regrettait surtout d'avoir pu, par sa conduite, exciter quelques soupçons; il tendit la main à son ami qui la serra dans la sienne.

      La paix étant faite, Salvador raconta à son complice ce qui lui était arrivé avec Silvia, et lui apprit que la marquise de Roselly et la cantatrice, dont leur compagnon d'évasion, Servigny, leur avait parlé au bagne de Toulon, étaient une seule et même femme, et que cette femme était devenue sa maîtresse. Roman engagea son ami à apporter la plus grande prudence dans ses relations avec cette syrène, et il ajouta, qu'il craignait que l'amour ne fît du tort à l'amitié; Salvador rassura son complice, et ils se séparèrent pour aller prendre quelques heures de repos.

      Les démarches que Salvador fut obligé de faire pour se procurer la somme nécessaire à ses frais de voyage et d'installation à Paris, furent couronnées de succès, mais elles le retinrent à Pourrières quelques jours de plus qu'il ne l'avait pensé. Enfin, il se mit en route, accompagné de son ami, et après qu'il eût rejoint Silvia, qui, ainsi que cela avait été convenu, l'attendait à Valence, à l'hôtel de la Poste; une bonne berline attelée de quatre vigoureux chevaux, les conduisit rapidement à Paris.

       Table des matières

      Le premier soin de Salvador, en arrivant à Paris, fut de chercher une maison en harmonie avec le rang, qu'il voulait occuper dans le monde; après en avoir visité plusieurs, il choisit le petit hôtel du faubourg Saint-Honoré, dans lequel nous avons introduit le lecteur en commençant cette histoire.

      Le local trouvé, il ne s'agissait plus que de le faire garnir de tous les objets qui doivent constituer une existence aristocratique, ce qui fut promptement exécuté, grâce à l'or que Salvador répandait avec profusion.

      Sa maison complétement montée, il s'occupa de celle de Silvia; il loua pour elle, aux Champs-Elysées, une charmante petite villa du style le plus coquet, qu'il fit meubler avec tout le luxe et tout le confort qui devaient nécessairement entourer une aussi jolie femme.

      Après avoir fait choix de domestiques rompus au service de gens de bonne compagnie, renouvelé leurs équipages et mis dans leurs écuries d'excellents chevaux, Salvador et sa maîtresse vinrent prendre possession de leurs nouvelles habitations; Roman, qui voulait, disait-il à son ami, faire pendant quelques jours encore le grand seigneur, avait conservé le petit appartement qu'il occupait à l'hôtel des Princes, où il était descendu avec Salvador et Silvia, lors de son arrivée à Paris.

      Silvia, qui avait eu plusieurs fois l'occasion de rencontrer Roman chez Salvador, et qui n'avait pas oublié la conversation dont elle avait entendu quelques fragments dans le parc de Pourrières, lui avait plusieurs fois adressé des questions adroitement insidieuses; mais le vieux renard qui, lui aussi, avait de la mémoire, sut dissimuler tout en conservant son air bonhomme. Les obstacles que Silvia rencontra ne firent qu'augmenter l'envie qu'elle éprouvait d'être instruite et la rendre plus entreprenante; elle renouvela près de Salvador les tentatives qui avaient échoué près de Roman; mais ce fut en vain, elle dut se résigner à attendre un moment plus opportun, moment qui, dans sa conviction, ne devait pas être très-éloigné.

      Salvador avant de quitter le château de Pourrières, avait eu le soin de se munir de lettres d'introduction de toutes les notabilités nobiliaires de la Provence; grâce à ces lettres qu'on n'avait pas cru devoir refuser au denier rejeton d'une très-illustre famille, et aux chaleureuses recommandations faites en haut lieu par les autorités de son département, toutes les portes s'ouvrirent devant lui, et il se trouva reçu à la fois avec le plus vif empressement dans les salons du noble faubourg Saint-Germain, et dans ceux des puissances du jour; il fit la cour à une vieille duchesse à laquelle il eut le bonheur de plaire, et cette noble dame voulant récompenser un dévouement véritablement digne des plus grands éloges, voulut bien se charger d'introduire dans la bonne compagnie, la jolie marquise de Roselly, que sa beauté, son esprit et ses grâces firent du reste accueillir avec le plus vif empressement.

      Ce fut à cette époque que Salvador fut nommé auditeur au conseil d'Etat.

      Roman, après quelques semaines de séjour à Paris, et lorsque Salvador qu'il avait secondé dans les démarches qu'avait nécessité l'organisation de sa maison, n'eut plus besoin de lui, se laissa conduire un jour qu'il ne savait que faire, dans un de ces établissements connus sous la dénomination de tables d'hôtes, et qui sont cent fois plus dangereux que les tripots de la défunte administration de M. Bénazet.

      La police fait une rude guerre à ces sortes d'établissements, mais tous ses efforts, à ce qu'il paraît, demeurent sans résultats, car à peine a-t-elle fait fermer un de ces tripots au nº 4 de la rue Richelieu, par exemple, qu'il s'en ouvre un autre à l'instant même au nº 6.

      Un excellent dîner est servi tous les jours à heure fixe, aux personnes qui fréquentent ces maisons, c'est le prétexte honnête de la réunion; mais lorsque les convives passent dans le salon pour y prendre le café, les tables d'écarté, de trente et quarante et même de roulette sont déjà dressées.

      Ces maisons sont ordinairement tenues par des vétérantes de l'île de Cythère qui ne manquent pas d'esprit, et qui par leur ton et leurs manières, paraissent appartenir à la bonne compagnie; toutes ces femmes, s'il faut les croire, sont veuves d'un officier général, ou tout au moins d'un officier supérieur, mais ce serait en vain que l'on chercherait les titres et les états de services des défunts époux qu'elles se donnent, dans les cartons du ministère de la guerre.

      Nous venons de dire que ces sortes de maisons étaient plus dangereuses que les tripots jadis autorisés; en effet, ces derniers n'étaient tolérés qu'à la condition qu'il serait permis à l'autorité d'y exercer un contrôle de tous les instants; les gens qui les fréquentaient pouvaient donc facilement être tenus à l'index, et si toutes les chances du jeu étaient calculées de manière à assurer au banquier des avantages considérables, lorsque la fortune paraissait vouloir favoriser un ponte, on lui laissait le champ libre. Dans les maisons dont nous parlons, au contraire, ce n'est pas seulement contre les chances fatales du jeu que l'on est forcé de combattre, on doit encore se tenir constamment en garde contre les ruses d'une infinité de fripons de toutes les espèces et de tous les sexes auxquels elles servent de lieux de réunion.

      Beaucoup de gens qui jamais n'auraient mis les pieds dans un des antres de l'administration Bénazet, fréquentent cependant ces maisons auxquelles les fripons connus sous le nom de grecs[228], ont donné le nom d'étouffes ou d'étouffoirs[229]. C'est que pour les y attirer, la veuve du général ou du colonel a ouvert les portes de son salon à une foule de femmes charmantes: ce n'est point il est vrai, par la vertu que ces dames brillent; mais elles sont pour la plupart


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